L’impact d’une guerre en Libye sur notre économie ?

L’impact d’une guerre en Libye sur notre économie ?
Tunis-Hebdo
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Le Parlement turc a autorisé, jeudi, l'envoi par Ankara de troupes en Libye, augurant, tôt ou tard, d’une escalade militaire entre l’armée de Hafter et les forces ottomanes. Une guerre qui aurait, à coups sûrs, des incidences néfastes sur notre économie.
La Tunisie retient son souffle. L’imminente intervention militaire turque en Libye n’est pas sans inquiéter au plus haut degré notre pays, non seulement sur le plan sécuritaire avec l’éventuelle infiltration de groupes terroristes à partir de la frontière-sud, mais en raison des conséquences humanitaires et surtout économiques qu’elle peut engendrer.
Vers le retour de la diaspora tunisienne !
Une guerre sonnera le glas, à première vue, à de nombreux intérêts économiques qu’entretiennent des sociétés tunisiennes établies en Libye et accélèrerait, dans le même temps, le retour au bercail de milliers de travailleurs tunisiens. Ils seraient entre 25 et 30 mille installés, actuellement, en Libye, contre 150 mille avant la chute du régime Kadhafi. Ce nombre ne tient pas compte, bien évidemment, des Jihadistes qui ont rallié les milices extrémistes, ou encore, ceux et celles qui transitent à travers la porte de Ras Jedir, quotidiennement, dans les deux sens pour des visites de familles ou pour des affaires commerciales. Quels sont les intérêts économiques que les Tunisiens entretiennent en Libye ? Quel type de sociétés y sont établies, leur envergure et les secteurs d’activité dans lesquelles elles opèrent ? Les entreprises tunisiennes en Libye, petites et grandes, exercent dans plusieurs secteurs, à l’instar de celui du bâtiment et des travaux publics (BTP) et du secteur des matériaux de construction. On y dénombre, également, des unités industrielles, des sociétés de distribution de produits alimentaires et quelques sociétés de services. La majorité d’entre elles fait appel à des travailleurs et cadres tunisiens et opèrent, généralement, soit en association avec des partenaires libyens soit en gestion pour compte d’établissements publics libyens ou sociétés locales. Si une guerre venait à se déclencher, la facture économique serait, à bien des égards, lourde à supporter pour ces entreprises et les milliers de Tunisiens qu’elles emploient. En plus des arrêts de production, fermetures d’usines et le manque à gagner qui s’ensuivront, ces entreprises doivent supporter le non-recouvrement de leurs dus et les salaires de leurs employés contraints au repos forcé. Par ailleurs, sur le plan national, un retour de notre diaspora libyenne constituera un problème de plus pour notre marché de l’emploi incapable d’absorber, déjà, les quelque 650 mille chômeurs. Il ne faut pas oublier que ceux et celles qui fuiront la guerre en Libye laisseront derrière eux des biens et des avoirs qu’ils ne récupèreront, peut-être, jamais…
Quelles incidences sur nos importations ?
La Libye a toujours été un débouché de choix pour nos entreprises, non seulement en raison de la proximité géographique mais, également, en raison de la présence d’une forte communauté tunisienne. Les quelque 200 mille tunisiens établis en Libye avant la révolution consommaient principalement tunisien (et européen). En 2011, la Tunisie a exporté 30% de ses produits agricoles et agroalimentaires vers le marché libyen, ce dernier a supplanté le marché italien qui était jusque-là la première destination des produits agricoles et agroalimentaires tunisiens. En 2011 également, la Libye est le premier client arabe et africain de la Tunisie et son 5ème client mondial. Nous exportions, principalement, des produits alimentaires, des biens de consommation ainsi que des matériaux de construction et importions, en contre partie, du pétrole à tarif préférentiel. La souplesse des démarches administratives et le fait que les Libyens payaient cash avaient rendu le commerce florissant et les échanges fructueux. Une guerre remettrait, sans aucun doute, tout en cause et affecterait tous ses acquis. Nos exportations vont être, par conséquent, substantiellement réduites et il sera difficile à nos entreprises de trouver d’autres marchés à l’international, en raison de la conjoncture et de la concurrence étrangère. Une guerre en Libye sonnera le glas, par ailleurs, à des secteurs dans lesquels nous sommes fortement impliqués traditionnellement. Les Français, les Allemands et les Turcs, en particulier, ont déjà étendu leurs tentacules sur le sol libyen, à travers l’établissement d’entreprises dans la perspective d’une reconstruction qu’ils estiment les plus à même de s’approprier...
Le marché informel à l’affût !
Si nos exportations vers la Libye vont être réduites à sa portion congrue, cela ne veut pas dire que nous allons arrêter d’acheminer des marchandises à notre voisin du sud. Il faut rappeler que parallèlement aux échanges officiels, il existe déjà un commerce informel intense entre les deux pays dont le fief est Ben Guerdane. Un commerce qui échappe à tout contrôle, et, par conséquent, à toute contrainte fiscale ce qui le rend attractif, aussi bien pour les consommateurs, les commerçants que pour les contrebandiers. Quand les obus commenceront à tomber sur Tripoli, il s’agira pour tous ces agents d’une manne du ciel et ils imploreront Dieu pour que cela se prolonge le plus longtemps possible. Sur le plan économique, une guerre en Libye contractera davantage notre croissance, déjà au pied du mur, elle alimentera l’inflation, celle-ci sera affectée par la demande additionnelle que les réfugiés libyens exerceront sur nos produits, mais pas seulement ceux destinés à la consommation. Le prix des services connaîtront la même trajectoire, ceux du loyer, en particulier, les hébergements dans les établissements hôteliers, le transport, etc. Le seul secteur qui profitera du chaos, c’est celui de la santé, principalement les cliniques qui accueilleront les blessés. Mais les entrées d’argent que celles-ci généreront pouvaient-elles panser les plaies d’une économie, déjà, saignée à blanc.

Chahir CHAKROUN Tunis-Hebdo du 06/01/2020




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