Vingt nuits en Octobre

Vingt nuits en Octobre
Tunis-Hebdo
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Comme chaque année, ponctuel et placé sous le signe de la grenade punique, l’Octobre musical est de retour. Pensée par Mustapha Okby, cette grande manifestation musicale réunira des musiciens de onze pays qui se succéderont sur la scène de l’Acropolium de Carthage. En vingt-quatre ans, ce festival a créé une tradition classique en Tunisie. Pour être précis, il faudrait écrire que l’Octobre musical a restauré cette tradition qui a un ancrage des plus profonds. Dans le temps, l’Orchestre symphonique de Tunis et plusieurs formations musicales irriguaient le champ classique et nourrissaient le public des mélomanes. Ainsi, le Théâtre municipal avait sa saison classique et les plus grosses pointures s’y produisaient. A Sousse, Sfax et dans d’autres villes, cette tradition existait aussi et se maintient tant bien que mal. A la radio tunisienne, la présence dans les studios de nombreux pianos atteste de la pratique musicale classique. En effet, dans le temps, on jouait des concerts en direct à partir des studios 5 et 6. On avait même pour un temps diffusé une émission de gymnastique tonique sur fond de piano ! Revenons à Mustapha Okby. Au-delà de son action en tant que directeur de l’Acropolium de Carthage, Okby est celui qui aura contribué à sauver et préserver un monument historique. En effet, c’est en 1990 qu’il a obtenu après cinq années de négociations, la concession de l’ancienne cathédrale. Devenue l’Acropolium, la cathédrale était alors littéralement abandonnée. Ne l’oublions pas, c’est Mustapha Okby qui a entrepris, dans le cadre d’un partenariat public privé, la restauration et la mise en valeur du monument alors délaissé. C’est lui qui a pris tous les risques, y compris celui des quolibets ou des œillères de ceux qui ne comprenaient pas qu’on puisse redonner vie à cette église. Depuis, l’Acropolium est devenu un espace culturel et convivial incontournable. Toutefois, la restauration continue ! Il s’agit d’un travail de patience qu’il faut reprendre chaque jour. Tous les détails comptent et c’est ainsi que Okby a récemment entrepris de rendre au monument ses couleurs initiales en insérant des bandes peintes en bleu vénitien au fronton de la cathédrale. Il faut écouter Okby vous parler de l’Acropolium pour comprendre la passion qui anime l’homme et la mission qu’il s’est donnée. Le directeur de l’Acropolium peut parler musique puis, par digression, évoquer par exemple les travaux de Jean Feron, un des meilleurs connaisseurs de la cathédrale. Toujours engagé pour que l’Acropolium soit l’un des pôles culturels des côtes de Carthage, Mustapha Okby revient vers nous chaque mois d’octobre, porteur d’un message musical. Grâce à son effort initial, des Octobre musicaux ont pu naître à travers le pays et le classique a pu retrouver une partie de son rayonnement. D’ailleurs, l’Orchestre symphonique de Tunis a commencé à retrouver sa splendeur avec l’avènement de l’Octobre musical. De même, la musique de chambre est revenue en haut de l’affiche depuis la création de l’Octobre musical, véritable matrice de la culture musicale classique. Ce festival est désormais ouvert à d’autres expressions que le classique. Toutefois, avant d’en parler, peut-être convient-il de feuilleter quelques pages d’histoire et retrouver les origines de la cathédrale Saint-Louis qui, de nos jours, abrite l’Acropolium. Tout le monde ou presque a oublié les origines de l’Acropolium de Carthage. Bien évidemment, une cathédrale se trouvait en haut de la colline de Byrsa. Qualifiée de « primatiale », cette cathédrale Saint-Louis a longtemps servi de lieu de culte puis a fermé ses portes en 1964. Elle est alors restée fermée pour une bonne trentaine d’années. Comme une étrange nef au-dessus de Carthage, elle était auréolée de mystère. L’histoire nous apprend qu’en ce lieu, avant même la construction de la cathédrale à la fin du dix-neuvième siècle, il existait une chapelle dédiée à Saint-Louis. En effet, c’est le bey Hussein qui en 1830 offrit à la France, à la demande de Louis-Phillipe, un terrain sur la colline de Byrsa. Ce terrain sera clairement délimité le 23 juillet 1840 lorsque le consul français de l’époque prit possession des lieux. Un cyprès fut symboliquement planté et, dès le 25 août, une messe sera célébrée sur cet emplacement sur les hauteurs de la colline la plus haute de Carthage. Des chroniques d’époque racontent cette cérémonie qui fut présidée par le père Emmanuel sur un autel provisoire. Le consul Largan et l’amiral Rosamel posèrent la première pierre de ce qui allait devenir la chapelle Saint-Louis. Cette pierre de fondation provenait d’un site antique et fut scellée alors que sonnaient les clairons, roulaient les tambours et résonnaient 21 coups de canon. En effet, une escadre de la marine était alors présente et hissa le drapeau français. Les travaux de construction purent enfin commencer et seront ardus. En effet, il n’y avait pas d’eau disponible en haut de la colline et il faudra avoir recours à des chevaux pour ravitailler le chantier. Un an plus tard, le 11 août 1841, une statue représentant Charles V fit son arrivée au port de La Goulette à bord du « Polinure », un vaisseau français. On la hissa jusqu’en haut de la colline dans des conditions homériques. En effet, le père François Darnier nous apprend que la statue fut placée dans un chariot lui-même construit à bord du bateau. Toutefois, douze chevaux ne suffirent pas à tirer l’équipage et il faudra avoir recours à 250 soldats qui, au bout de quatre heures d’efforts, purent accompagner la statue de La Goulette à Carthage. L’inauguration officielle de cette chapelle eut lieu le 25 août 1841, date qui correspond à la fête de Saint-Louis. C’est encore une fois le père Emmanuel qui officia en présence du consul Largan. Bâtie avec des pierres provenant des ruines de Carthage et des carrières de Soliman, la chapelle était clairement de style gothique et reproduisait, en plus petit, les plans de la chapelle royale d’Evreux, en France. L’abbé François Bourgade en sera l’aumônier jusqu’en 1858, date de son départ de Tunisie. La chapelle Saint-Louis restera ensuite dans un état de demi-abandon jusqu’en 1875. A cette date, Lavigerie, alors archevêque d’Alger, envoya à Carthage les premiers pères Blancs qui y arrivèrent en juin 1875. L’un d’entre eux, le père Bresson, sera le chapelain de cette chapelle Saint-Louis. Les autres l’assisteront et mettront en place, en août 1880, le collège Saint-Louis, en haut de cette colline de Byrsa. En ce temps et jusqu’en 1889, chaque 25 août, Saint-Louis sera célébré avec faste en cette chapelle, en présence d’officiels tunisiens et français. Entretemps, une nouvelle basilique a vu le jour et deviendra la primatiale de Carthage. Le projet de construction de cette cathédrale remonte au début des années 1880 et c’est encore une fois Lavigerie qui en est l’initiateur. Le culte quittera la chapelle pour la cathédrale dès l’inauguration de cette dernière. Quant à la chapelle Saint-Louis, menaçant ruine, elle sera démolie en 1950. Elle demeure toutefois dans la mémoire collective comme l’ancêtre de la cathédrale qui lui succéda et deviendra l’actuel Acropolium de Carthage. De nos jours, l’Acropolium domine la plaine et préserve silencieusement le souvenir de Saint-Louis, roi de France, mort à Carthage en 1270. En arrivant à l’Acropolium, les visiteurs ne manquent jamais d’admirer la statue qui se trouve à proximité du guichet. Cette statue est une reproduction de l’original qui se trouve au musée de Carthage. Placée face à un miroir, au fond d’une niche, elle représente le Génie de Carthage dont le buste est exposé au musée alors que la statue en pied se trouve au seuil de l’Acropolium. C’est le 27 juillet 1995 que l’équipe de terrassement (qui travaillait sur les fondations des structures d’accueil de l’Acropolium) a découvert des vestiges d’époque romaine. Sans le savoir, les terrassiers venaient de découvrir un temple. Et dans les soubassements de l’abside de ce temple, ils allaient découvrir un buste en marbre dont un bras tient une corne d’abondance. C’est ce buste que l’on admire en arrivant à l’Acropolium. Le portrait semble être celui d’Antinous et devrait dater du deuxième siècle. En tout état de cause, cette statue représente un Apollon ou encore le Génie de Carthage qui est une représentation allégorique de la cité. Avec sa toge, sa chevelure et sa couronne, la statue reconstituée surprend par son sourire placide et sa musculature d’éphèbe. Placée à l’entrée de l’Acropolium, cette statue attire tous les regards et les conditions de sa découverte font désormais partie de la légende de Carthage. De fait, une soirée à l’Octobre musical est aussi une occasion en or pour effectuer une promenade architecturale. Entre les mille détails qui se cachent dans les replis de la Cathédrale et les dizaines d’objets qui sont exposés, que de trésors attendent l’œil aguerri du découvreur. Et puis, il faut savoir se laisser aller lorsque règne la musique. Cette saison, on entendra beaucoup de genres musicaux. Par exemple, des airs de l’époque de Don Quichotte seront interprétés par l’ensemble « Almas Dichosas » (Espagne). De même, le koto, cet instrument japonais immémorial, serait à l’honneur avec Mieko Miyazakin. Toutes les musiques sur un plateau pour une vingtaine de soirées où résonneront harpes, pianos, guitares et violons. Avec en prime la beauté subtile d’une église et une acoustique qui est probablement la meilleure du pays grâce aux trois pianos dont dispose l’Acropolium. Qu’on se le dise, l’Octobre musical, c’est au bonheur des mélomanes !

Hatem Bourial Tunis-Hebdo du 15/10/2018




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