Mahmoud Kamel, le réalisateur passionné !

Mahmoud Kamel, le réalisateur passionné !
Culture
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Le réalisateur égyptien Mahmoud Kamel, qui a à son actif plusieurs films et feuilletons dont Mekano (2009), Adrenaline (2009), Out of Order (2015) et Triangles (2017), faisait partie des invités d’honneur de la 28ème édition des Journées Cinématographiques de Carthage (JCC).

Je le voyais aller d’un groupe de personnes à un autre, discuter de films, faire des projets, poser des questions… et surtout assister au maximum de projections de films qu’il pouvait, de tous genres et de tous pays.

Une dizaine de jours plus tard, je l’avais retrouvé au Festival International du Film du Caire (CIFF). Il était là tous les jours, du matin au soir, allant également d’un film à un autre, avec une moyenne de quatre films par jour. Il était boulimique de films !

En fait, ce réalisateur m’avait intriguée. Il me semble bien qu’il était le seul à voir autant de films, à courir d’une salle à l’autre…. Il lui arrivait même de prendre des billets pour deux films projetés à la même heure. Il allait à l’un, si au bout de cinq à dix minutes, le film n’est pas intéressant, il courait à l’autre.

J’ai pu le rencontrer entre deux films et lui poser quelques questions.

J’ai pensé à cette interview parce que vous êtes le seul réalisateur qui voit autant de films lors des festivals. Pourquoi le faites-vous ?

J’assiste aux festivals de cinéma depuis déjà 21 ans, en fait depuis que j’avais 22 ans et que j’étais étudiant en pharmacie.

Vous avez fait des études de pharmacie ?!

En effet, mais après la pharmacie, j’ai suivi des études de cinéma en Egypte, ensuite en Italie et après aux USA.

Je voulais absolument faire des études de cinéma, mais ma famille était contre. Chez nous, personne n’est dans ce domaine du cinéma ou n’a un lien quelconque avec l’Art.

Tous les membres de ma famille avaient fait des études scientifiques ou juridiques et pour eux, il n’était pas question de faire des études de cinéma. Il a donc fallut les contenter et avoir un diplôme « sérieux ».

Lorsque j’étais étudiant en pharmacie, j’étais en même temps critique de cinéma.

J’allais voir les films, je prenais part aux conférences, je posais des questions, je demandais l’avis des gens, j’assistais même aux cours de l’Institut Supérieur du Cinéma alors que je n’y étais pas inscrit... Il est même arrivé que des professeurs s’étonnent de ne pas me voir passer les examens, et lorsque je leur disais que malheureusement je ne faisais pas partie des étudiants de l’institut, ils ne me croyaient pas !

Toute ma vie est liée au cinéma. Le cinéma est mon environnement, je ne peux pas le quitter. Quand je suis loin du cinéma, je sens que j’étouffe, comme un poisson qu’on sort de l’eau.

Lorsque je ne suis pas en tournage, je me sens mal.

Pourquoi est-ce que je vois autant de films ? C’est parce que je pense que les cinéastes doivent savoir tout ce qu’il se passe dans le monde du cinéma, non seulement à l’échelle nationale ou régionale, mais également à l’échelle mondiale.

Un cinéaste doit, tout comme un chirurgien, être à jour, il doit être au courant de tout ce qu’il se passe dans le monde entier. Mais en même temps, il ne doit pas être influencé par ce qu’il voit et cela est très difficile. La création, c’est être réel et authentique, il ne faut pas copier ou ressembler à qui que cela soit.

Chaque cinéaste doit avoir une identité, une empreinte, un style.

Beaucoup regarder, ne rien prendre et garder son identité est une équation difficile. C’est ce que j’essaie de faire et j’apprends.

J’apprends beaucoup. Le cinéma EST la culture.

Lorsqu’on a accès au cinéma du monde entier, on a accès à la culture du monde entier.

Le cinéma a permis des miracles. Le cinéma a changé l’humanité entière. Le cinéma a permis à des personnes se trouvant par exemple en Tunisie, de voir des événements qui ont lieu en France, ou en Chine. Par rapport au cerveau humain c’était quelque chose d’incompréhensible et d’inconcevable. Exactement comme dans le film L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat des frères Lumières. En 1896, les spectateurs se sont échappés en courant parce qu’ils n’avaient pas compris que le train n’existait pas réellement dans la salle ! Dans le cerveau humain, le cinéma a inventé/créé quelque chose qui a assimilé une connaissance et un concept qui n’existaient pas.

Les deux heures qu’on passe à regarder un film sont en soi une expérience humaine.

On connait par exemple une personne pendant 20 ou 30 ans. Si on veut résumer cette relation, et faire un montage, on verra que les scènes les plus importantes font une heure et demi ou deux heures. C’est cela un film. Ce qui peut te résumer une relation, un fait historique, des événements… en une heure et demie.

C’est la meilleure invention dans l’histoire de l’humanité.

Alors que dire d’Internet ?

Internet a fait plus que cela, d’accord, mais Internet a des aspects négatifs et a causé bien des problèmes, pas le cinéma. Le cinéma n’a aucun aspect négatif et a au contraire accru la connaissance !

Ce qui est bien avec Internet est qu’il a donné l’accès à plus de contenu : des séries web, des shows, des vidéos, des spots, mais a aussi permis de rapprocher le cinéma des spectateurs. L’accès aux films devient plus facile, on peut les voir chez soi sur son téléviseur, sur son PC et même sur son téléphone mobile !

Quel tournant décisif !

Vous venez d’assister à deux festivals l’un après l’autre, n’est-ce pas trop ?

En réalité je viens d’en faire quatre, l’un après l’autre.

J’ai d’abord été au Festival International du Film de San Pedro (Los Angeles - USA) et au Festival International du Film WIND (Los Angeles-USA), où j’avais mon film Dreams I Never Had en compétition. Co-réalisé avec Iyad Hajjaj, avec dans les rôles principaux Malcolm McDowell, Iyad Hajjej et Robin Givens, Dreams I Never Had est mon deuxième film américain.

A San Pedro, le film a remporté le Prix du meilleur film et au festival WIND, il a remporté le Prix du jury, le Prix du meilleur film de l’année 2017, le Prix du meilleur second rôle masculin, le prix du meilleur second rôle féminin et le Prix du meilleur producteur.

Juste après ces deux festivals je suis allé aux JCC, et ensuite au Festival International du Film du Caire.

Même aux USA, vous avez fait comme ici, d’un film à un autre ?

J’ai essayé, mais comme mon film était en compétition, je ne pouvais pas vraiment, il fallait que je m’occupe de sa promotion.

Affiche du film Dreams I Nerver Had
Affiche du film Dreams I Nerver Had, co-réalisé par Mahmoud Kamel

 

Que pensez-vous des JCC ? Est-ce la première fois que vous y assistez?

C’est la troisième fois que j’assiste aux JCC, qui est un festival très important. En Tunisie, j’ai aussi assisté une fois au Festival International du Film pour l'Enfance et la Jeunesse à Sousse.

Je trouve que le peuple tunisien est parmi les peuples les plus cultivés au monde et pas seulement de la région.

Participer aux JCC est une expérience importante en ce qui concerne la réaction des spectateurs. Les salles de cinéma sont presque toujours au complet, il y a des files d’attente énormes, les gens « boivent » le cinéma comme s’ils étaient assoiffés. Les tunisiens vivent leur festival.

J’aime les JCC parce que justement j’aime cette ambiance cinématographique qui règne partout. Où qu’on aille, il y a des débats à propos de cinéma. Les gens discutent et je les écoute. Cette interaction avec le public est extraordinaire.

En Tunisie, on a l’impression que les JCC sont un RDV, une saison. Les gens disent : on se rencontre avant ou après les JCC… J’adore cela.

Et que pensez-vous de l’organisation ?

L’organisation était bonne, mais le problème est qu’il y a un monde fou et beaucoup de mesures de sécurité, il faut donc venir tôt et on perd trop de temps. En plus, il faut réserver très tôt parce que c’est toujours complet. On devrait laisser plus de temps entre les films, même si c’est un peu difficile avec le grand nombre de films programmés.

Mais ce qui est bien, c’est que comme à Cannes ou à Venise, tout est centralisé : le centre de presse, l’hôtel, les salles de cinéma… tout est à l’avenue Habib Bourguiba. C’est ce qui permet de tout suivre en même temps.

Par ailleurs, j’ai beaucoup apprécié que les JCC se déplacent dans les régions et même les prisons. C’est quelque chose d’extraordinaire.

Il faut que le cinéma arrive à toute la population ; il n’est pas normal par exemple qu’en Egypte il soit cantonné au Caire et à Alexandrie. Il faut aller dans les régions.

Actuellement il y a de rares initiatives privées comme le « Panorama du Film Européen » et « Les Journées Cinématographiques du Caire » qui, en plus de la capitale se tiennent également dans les régions où ils observent une très forte affluence, mais ce n’est pas suffisant.

Que pensez-vous des films que vous avez vus à Carthage ?

Les films sont de qualité, bien que pour les JCC, il y a une difficulté à trouver de bons films. Les JCC ont lieu en fin d’année, les plus beaux films ont déjà fait le tour des grands festivals comme Berlin, Cannes ou Venise.

L’orientation arabo-africaine des JCC est plutôt rare. D’habitude, c’est soit arabe, soit africain, soit international. Ce choix fait le lien entre ces deux régions, ce qui est très bien parce qu’en fin de compte, aussi bien l’Egypte que la Tunisie appartiennent à ces régions et il est très intéressant de faire le lien entre ces deux cultures.

Avez-vous vu des films tunisiens et qu'en pensez-vous ?

Les films tunisiens sont parmi ceux que j’ai le plus aimés, encore plus que tous les autres films arabes, y compris égyptiens. Ils ont un style particulier. Le cinéma tunisien est un cinéma nouveau, un cinéma qui veut se renouveler et ne tombe pas dans la facilité.

J’ai adoré le public tunisien des films tunisiens. Cela m’a rappelé l’ambiance des matchs de foot. Il y a des files d’attente où on a l’impression qu’on va assister à un match entre l’Espérance et l’Etoile et pas à un film ! Les spectateurs sont nombreux, ils sont impatients, ils sont enthousiastes. C’est génial !

 

Mahmoud Kamel lors du tournage du film Dreams I Never Had
Mahmoud Kamel lors du tournage du film Dreams I Never Had

 

Alors qu’au CIFF, pas de films égyptiens cette année en compétition…

Contrairement aux JCC où il y avait plusieurs films tunisiens, et la plupart en première, au Caire, c’est une catastrophe. Pour la première fois en 40 ans, il n’y avait aucun film égyptien en compétition officielle !!

Un des problèmes du Festival International du Film du Caire est que les producteurs lui préfèrent d’autres festivals, comme par exemple celui d’El Gouna qui offre des avantages pécuniaires et une meilleure visibilité pour les films.

En plus de cela, il y a un autre problème en Egypte où le cinéma est une véritable industrie qui obéit à la loi du marché. On fait de plus en plus des films qui correspondent aux désirs et goûts du grand public pour qu’ils rapportent de l’argent. En Egypte, le profit est un des buts les plus importants de l’industrie du cinéma.

En conséquence, les beaux films, qui sont différents, qui ont par exemple un genre ou un style particulier, ont des difficultés de distribution. Le cinéaste fait face à plusieurs problèmes et lutte pour se trouver dans les festivals et pour prendre une date de distribution.

Il arrive qu’un festival demande un film, mais le distributeur imposera une date de sortie précise qui lui conviendra à lui mais qui ne correspondra pas aux conditions du festival.

En plus, en Egypte, l’Etat ne subventionne pas le cinéma comme dans plusieurs autres pays arabes, Maghrébins ou Européens. Pourtant c’est ce même Etat qui organise les festivals et s’étonne ensuite de ne pas y avoir de films à présenter !

Si on n’encourage pas et on ne subventionne pas un cinéma de qualité, il ne faut pas s’étonner qu’il devienne juste un commerce et un moyen de loisirs.

Il n'y a pas de réflexion, pas de culture, pas d’enseignement, alors que c’est ce dont nous avons cruellement besoin actuellement, surtout pour faire face à l’intolérance et à l’extrémisme.

Les cinéastes égyptiens doivent trouver un nouveau moyen de production et de distribution pour pouvoir faire des films différents, dans des formes différentes, avec une façon de raconter différente, pour des goûts différents et avec des stars différentes.

Aujourd’hui, avant toute chose, le producteur exige une star pour qu’un film se fasse, parfois il ne lit même pas le scénario. Ce qui l’intéresse est qu’une star a accepté de faire le film, qu’elle demande tel chiffre, et que donc le film coutera tant d’argent et rapportera tant d’argent. Seul le profit l’intéresse.

Si on présente à un producteur un film qui ne soit pas linéaire, ou qui comporte plusieurs histoires ou intrigues en parallèle, ou est fait en chapitres, ou comporte des divisions originales, bref, un film qui ait une forme différente de la forme habituelle, il va le refuser arguant du fait qu’il n’est pas commercial et que les spectateurs ne le comprendront pas.

Que pensez-vous de l’organisation du CIFF en général et de la cérémonie d’ouverture en particulier et du fait que les invités ne sont pas restés pour regarder le film d’ouverture, réalisé par  Hany Abou Assad, pourtant membre du jury de la compétition officielle? Que les artistes invités soient partis, je pense qu’il s’agit d’un problème d’organisation. Je ne pense pas que cela avait un lien avec le film.

Pour la première fois, l’organisation de la cérémonie d’ouverture a été confiée à une chaîne de TV qui n’avait aucune expérience en la matière. Le lieu de la cérémonie était trop loin du centre ville. Trop de retards. Les gens en avaient assez d’attendre et sont partis.

D’ailleurs une des qualités des JCC, est que tout est proche, les gens marchent et on évite ainsi les problèmes de transport, d’attentes, de retards….

Mais peut-être est-ce le problème des festivals qui souffrent de budgets insuffisants ?

En effet, et la chaine de TV DMC a exigé d’organiser les cérémonies d’ouverture et de clôture. C’était une condition pour sponsoriser le festival.

Ce qui est également étonnant au Caire est que, contrairement à Tunis, il n’y a pas vraiment de professionnels aux projections. Pourquoi ?

A Tunis j’ai vu tous les réalisateurs. Ils assistaient surtout aux projections des films tunisiens. Il y avait également les directeurs photos, les producteurs, les monteurs… En fait, aux JCC, tous les professionnels et techniciens tunisiens sont présents. Les acteurs aussi d’ailleurs. Ils sont tous là, même ceux qui n’ont pas de films, ils sont tous ensemble, ils discutent, ils réagissent. Personnellement,  j’étais très intéressé par le fait de discuter avec eux de projets nouveaux.

Au Caire, je pense que l’absence des professionnels s’explique d’abord par le fait qu’il n’y avait pas de film égyptien en compétition.

Ensuite, en plus des arguments que j’ai développés plus haut, il faut savoir que le festival se tient pendant une période où se font tous les accords pour les projets qui vont se réaliser prochainement. La plupart des professionnels sont en train de s’entendre sur les films à faire et sur les feuilletons de ramadan dont les tournages vont bientôt commencer.

En plus, en Egypte, le cinéma qui est lié aux festivals a la réputation d’être un cinéma qui n’intéresse pas le public et qui n’est pas rentable. Remporter un prix dans un festival va ternir la réputation d’un film. Cela sera interprété comme signifiant qu’il s’agit d’un film difficile à comprendre, sombre, lourd, destiné à une élite instruite…. C’est à l’inverse de ce qu’il se passe dans les autres pays, y compris chez vous en Tunisie. Aux USA, un film qui remporte un oscar verra ses revenus augmenter considérablement !

Quels sont vos projets d’avenir ?

Je travaille actuellement sur une production égyptienne, mais également sur un projet en coproduction avec la Tunisie. Je prépare aussi un nouveau film américain Buddy qui sera tourné l’année prochaine entre Los Angeles et Las Vegas.

Travailler aux USA était un rêve que j’avais depuis des années. Lorsque j’y suis allé, je pensais m’y installer définitivement. Mais je me suis aperçu que je ne pouvais pas non plus abandonner ma culture et ma patrie, et laisser ma place comme cinéaste arabe, j’ai réalisé donc qu’il fallait que je fasse les deux.

En fait, j’aimerais travailler partout, en Egypte, dans les pays arabes, en Europe, aux USA… D’ailleurs, j’ai également un projet de film italien.

 

Mahmoud Kamel, Malcolm McDowell et Robin Givens
Mahmoud Kamel avec Malcolm McDowell et Robin Givens, les deux acteurs principaux de Dreams I Never Had

Bien qu’il soit en plein tournage actuellement, Mahmoud Kamel fera un saut au Festival du Film International de Sharm El Sheikh, dont la deuxième édition va se dérouler du 3 ou 9 mars 2018, pour accompagner son film Dreams I never Had qui y sera en compétition officielle !

Neïla Driss

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