Le 11 novembre courant, a été commémoré, dans les pays concernés, le centenaire de l’armistice qui mit fin à la sanglante 1ère Guerre mondiale (1914-1918) au cours de laquelle furent tués des millions de soldats, à la fleur de l’âge.
Environ 30.000 soldats tunisiens furent tués au cours de cette guerre. Quant aux blessés, leur nombre atteignit les 10.000.
Mais commençons par le commencement : après l’instauration du protectorat, les autorités coloniales n’eurent pas à former une armée tunisienne à partir de zéro, il leur a suffi de réorganiser l’armée beylicale.
N’étaient, en effet, exemptés du service militaire que les Juifs, les Tunisois, les soutiens de famille et les instruits, étudiants de la Zitouna et titulaires du certificat d’études primaires.
4212 recrues étaient levées annuellement par tirage au sort parmi, environ, 13.000 non exempts, âgés de 20 ans.
Ceux qui tiraient le bon numéro devaient se présenter, de nouveau, l’année suivante.
Moyennant 1000 francs, on pouvait se faire remplacer par un conscrit pauvre qui, lui, avait tiré le bon numéro (dispensant du service militaire). Ce service durait trois ans, suivis de sept ans de réserve.
Pendant la guerre, le recrutement fut intensifié par tous les moyens. En 1916, l’on avança la date d’incorporation et l’on relèva le contingent à 5272 soldats.
La somme à payer pour se faire remplacer augmenta sensiblement et le nombre de bons numéros diminua de plus en plus.
Quant aux inaptes et aux soutiens de famille, ils furent recrutés (sauf dans des cas très rares) comme travailleurs, affectés, notamment, à l’agriculture en France.
A la fin de la guerre, et, plus exactement, lors de la conclusion de la paix, le nombre de soldats tunisiens sur les champs de bataille était de 73.000 dont 10.000 étaient des engagés volontaires. Ce nombre était supérieur à celui des Algériens et des Marocains.
La solde des conscrits tunisiens était plus élevée que celle des Français.
D’autre part, les réservistes et les conscrits retenus outre terme bénéficiaient d’une allocation familiale.
La quasi-totalité des soldats étaient des paysans recrutés ou attirés au volontariat surtout par les primes. L’embarquement, à Bizerte, des troupes tunisiennes pour la France, ne se passa pas, parfois, sans troubles. Les influences allemandes et panislamiques s’exercèrent sur les soldats tunisiens et des mutineries éclatèrent mais furent étouffées dans le sang.
D’autre part, les transports de soldats furent attaqués par les sous-marins allemands et un bataillon entier périt avec son paquebot torpillé.
Au fur et à mesure que la guerre traînait en longueur, et malgré la propagande qui vantait les avantages inhérents à la situation de soldat français : (bonne nourriture, bienveillance paternelle, accueil fraternel des populations de France, enfin la mâle joie de la bataille et l’orgueil de la victoire), les engagements volontaires se raréfiaient à vue d’œil.
Le nombre de déserteurs, lui, augmentait de jour en jour. Des mesures de rétorsion étaient alors exercées sur leurs familles.
Mais rien n’y fit comme nous l’avons dit plus haut, environ 30.000 soldats tunisiens furent tués au cours de cette guerre. Quant aux blessés leur nombre atteignit les 10.000.
Cela est dû au fait que les soldats coloniaux étaient, toujours, exposés aux premiers coups, jetés, immédiatement, dans la fournaise, ménageant, ainsi, autant de vies françaises.
Il y eut même des pertes parmi les travailleurs dont un millier succomba à différentes maladies. « Un soldat tunisien écrivit à son père « que de troupes, ô mon Dieu, il y a chez eux. Le chrétien a imaginé un moyen de protection (lunettes, masque, casque) alors que tu vois le musulman fatigué de cette vie ... Le Bey nous a vendus … comme du bétail. Nos cadavres restent abandonnés, servant de pâture aux rats. Le Chrétien fait bon marché de notre vie … Mais c’est la volonté de Dieu, nous devons nous y résigner.
L’on alla jusqu’à supprimer les permissions car les permissionnaires, décrivant avec force détails les horreurs de la guerre, risquaient d’encourager à la désertion.
D’autre part, au pays natal, ces permissionnaires se comportaient comme en pays conquis et désobéissaient à leurs supérieurs leurs compatriotes (qui, soit dit en passant, ne pouvaient aspirer à de hauts grades).
Mais la suppression des permissions provoqua un mouvement de rébellion. Les déserteurs et les prisonniers de guerre tunisiens étaient accueillis à bras ouverts par les Allemands qui, les traitant le mieux du monde, visaient à les gagner à leur cause et à les inciter à s’enrôler dans l’armée turque, l’Allemagne et la Turquie étant alliées. C’est ainsi que 500 Tunisiens furent envoyés en Roumanie « pour des travaux de culture » et d’autres firent leur apparition sur le front oriental.
Le ministre français de la guerre décida, alors, de décerner des décorations aux soldats tunisiens pour qu’ils ne soient plus tentés de rejoindre les lignes allemandes et turques.
L’on installa, d’autre part, des cafés maures dans les dépôts des troupes tunisiennes et on se mit à envoyer au front du tabac, des dattes, du couscous et des vêtements français que les Tunisiens refusèrent de revêtir.
De même, dans les hôpitaux, les blessés tunisiens étaient aussi bien traités que leurs camarades français et on les instruisait en arabe et en français.
L’on facilitait, d’autre part, autant que faire se pouvait, aux soldats musulmans la pratique de leur religion et l’observation de tous les rites religieux. C’est ainsi que les musulmans tombés au champ d’honneur étaient inhumés selon leurs rites.
Quant aux pensions servies aux veuves des soldats tunisiens morts à la guerre, et à leurs enfants devenus orphelins, une campagne fut menée pour qu’elles fussent alignées sur celles allouées aux veuves et orphelins français.
Par la suite, un décret réservera certains emplois aux anciens combattants. Mais l’avancement militaire, lui, ne pouvait être obtenu par les soldats tunisiens que s’ils se naturalisaient français. Sinon, ils ne pouvaient accéder, tout au plus, qu’au grade de lieutenant ou, exceptionnellement, à celui de capitaine sans commandement.
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Sources : « Libération ou annexion, aux chemins croisés de l’histoire tunisienne, 1914-1922 »
(Daniel Goldstein-M.T.E. 1978)
Moncef CHARFEDDINE Tunis-Hebdo du 26/11/2018