Voltaire et l’islam

Voltaire et l’islam
Tunis-Hebdo
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Depuis son avènement et durant sa longue histoire pourtant ponctuée de discordes et de conflits sanglants, jamais l’islam n’aura été aussi dénigré et voué aux gémonies qu’en ce moment. A vrai dire, les différentes manifestations du radicalisme religieux, Al Qaida, le FIS, Aqmi, Boko Haram, l’Etat islamique, etc. et à un degré moindre l’islam politique, ont porté un coup très dur à la troisième religion monothéiste, générant ce phénomène rampant appelé islamophobie qui se nourrit d’un racisme anti arabe.
En ces temps éminemment troubles que traverse l’islam, beaucoup estiment que la religion du Prophète Mohammed a besoin d’un Voltaire arabe pour sortir la communauté musulmane de l’obscurantisme et de l’impasse où elle se trouve. Dès lors, il importe d’abord de prendre connaissance avec le célèbre philosophe des Lumières, connu pour son combat contre ce qu’il appela « l’infâme », c’est-à-dire l’intolérance religieuse, ensuite de cerner sa perception de l’islam.
Combattre l’intolérance
Voltaire est né à Paris en 1694 et mort en 1778. Tout à la fois écrivain et philosophe, il marque de son empreinte le XVIIIème siècle à travers une œuvre prodigieuse constituée de contes, de poèmes, de pièces théâtrales et d’essais philosophiques. Il est sans doute celui qui incarne le mieux les Philosophes des Lumières par son engagement dans la lutte contre toute forme d’injustice et dans son combat pour la liberté d’expression. Les idées et les valeurs qu’il défend contribuent de façon significative à la Révolution de 1789 qui sonnera le glas de la Monarchie absolue. Mort onze ans avant cet événement majeur dans l’histoire de France, Voltaire entre au Panthéon en 1791, sur décision de l’Assemblée constituante en guise de reconnaissance à son œuvre monumentale et aux différents combats menés. La question de l’intolérance religieuse y occupe une place centrale. En effet, rien n’exaspérait plus Voltaire que l’injustice, raison pour laquelle il publie en 1763 Traité sur la tolérance. Le livre puise son origine dans la célèbre affaire Calas, homme de confession protestante (interdite alors sous la monarchie absolue de Louis XVI), accusé d’avoir tué son fils qui a voulu se convertir au catholicisme. Victime du fanatisme religieux, Jean Calas est réhabilité grâce au livre de Voltaire. Parce que la question religieuse l’intéressait sans restriction aucune, toutes confessions confondues, Voltaire s’est penché sur l’islam, religion face à laquelle ses opinions donnent à voir une pensée qui évolue caractérisée par un remarquable sens du discernement.
Perception et appréhension de l’islam
Le premier texte se référant à l’islam date de 1736 où il rédige une tragédie intitulée Le fanatisme ou Mahomet le Prophète qui, dans le contexte de la conquête de la Mecque, présente ce dernier sous un visage intégriste, fanatique, avide de pouvoir et qui encourage un disciple à l’assassinat politique. La représentation qui a eu lieu en 1741 a connu un court succès, très vite interrompu par son interdiction. Les autorités auraient compris que derrière la charge contre le Prophète et l’islam, Voltaire visait la religion catholique et son extrémisme. Dès 1742, dans une lettre le même Voltaire confirme ses réelles intentions : « Ma pièce représente, sous le nom de Mahomet, le prieur des Jacobins mettant le poignard à la main de Jacques Clément. » Comment pouvait-il en être autrement quand on sait que les Mahométans (comme on les appelait à l’époque) ne pouvaient pas être touchés par la tragédie en question ? Non, voltaire ne saurait passer pour un islamophobe. D’ailleurs, en 1948 dans un article sur Le Coran il précise avec nuance son opinion sur la religion de Mohammed : « Si son livre est mauvais pour notre temps et pour nous, il était fort bon pour ses contemporains, et sa religion encore meilleure. Il faut avouer qu’il retira toute l’Asie de l’idolâtrie. » Dans cet ordre d’idées, il est intéressant de rappeler les propos de Goethe (le traducteur de la tragédie en allemand) adressés à Napoléon Bonaparte qui n’aima pas la pièce : « … Dans cette tragédie, dans ces tirades contre le fanatisme, ce n’était pas l’islam qui était visé mais l’Eglise catholique », souligne le philosophe allemand. De là à avancer que Voltaire fait l’apologie de l’islam, c’est un pas qu’on ne peut franchir sachant pertinemment la réserve et la méfiance que le philosophe a à l’égard de toutes les religions. C’est dans son Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, publié en 1756 que Voltaire développe son analyse de la religion musulmane à travers deux articles. « Alcoran », et « De l’Alcoran, de la loi musulmane » sont les deux titres d’une réflexion qui entend mettre l’islam à l’épreuve de la raison. Voltaire rejette les accusations qui font de l’islam une religion misogyne. S’il dénonce la violence à laquelle recourent les prosélytes, il reconnaît que les commandements énoncés dans le texte sont d’une grande sagesse : « son dogme est admirable en ce qu’il a de conforme avec le nôtre, mais les moyens sont affreux », écrit-il. Et le philosophe, tout en relevant certaines « incohérences » dans le texte coranique, considère que les lois qui y sont édictées, relatives à l’interdiction de la consommation de l’alcool et du porc, sont l’expression du bon sens. Le dernier texte portant sur l’islam se trouve dans le Dictionnaire philosophique, publié en 1764. Il est évoqué dans l’article intitulé « Fanatisme », considéré comme une folie qui résulte du rigorisme avec lequel les lois religieuses sont appliquées donnant ainsi lieu à la violence. Aux yeux de Voltaire, seul « l’esprit philosophique » (la Raison) est à même de combattre le fanatisme religieux. Il faut se souvenir que les réflexions de Voltaire sur l’islam remontent à plus de deux siècles ; elles témoignent d’un réel intérêt pour la religion des « Mahométans », sans préjugé aucun. Par là même, elles dénotent un sens réel du discernement qui lui a permis de reconnaître que le Prophète Mahomet a changé la face d’une partie du monde. Mais ceci et l’aspect judicieux de certains commandements du texte coranique qu’il reconnaît ne l’ont pas empêché d’exercer la raison critique sur l’islam sans jamais l’essentialiser. Toutes ces réflexions donnent la mesure du déisme de Voltaire, attitude qui consiste à croire en un Dieu unique tout en tournant le dos à la religion, comme l’atteste sa célèbre « Prière à Dieu ». Est-ce à dire que l’islam a besoin d’un Voltaire arabe ? Rien n’est moins sûr

Abbès BEN MAHJOUBA Tunis-Hebdo du 03/09/2018




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