L’ARP se prépare à dissoudre l’IVD, s'alarment 7 organisations

L’ARP se prépare à dissoudre l’IVD, s'alarment 7 organisations
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Sept associations et organisations - l'Association de Défense des Libertés Individuelles, Avocats Sans Frontières, l'Organisation Mondiale Contre la Torture, la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme, Labo’ démocratique, l'Association Al-Karama et le Réseau Tunisien pour la Justice Transitionnelle, ont publié en date du 13 mars 2018, un communiqué commun relatif à la décision de l'Assemblée des Représentants du Peuple par rapport à la prorogation du mandat de l'Instance Vérité et Dignité pour la durée d’un an...
"Alors que l’IVD vient à peine d’annoncer sa décision de proroger son mandat pour la durée d’un an, une démarche alarmante entreprise par le bureau de l’ARP risque de mettre un terme prématurément à l’ensemble du processus de justice transitionnelle. L’Instance Vérité et Dignité (IVD) a décidé, le 27 février 2018, conformément à l’article 18 de la loi sur la justice transitionnelle, de proroger son mandat pour une année tout en veillant à ce que ses travaux soient achevés le 31 décembre 2018. Dans sa décision, l’IVD indique que cette prorogation s’est révélée nécessaire, du fait notamment, des entraves rencontrées tout au long de son mandat en matière d’accès aux archives publiques de l’Etat et aux dossiers judiciaires, à l’absence de collaboration de l’Etat dans le cadre du mécanisme de réconciliation et d’arbitrage, et au nombre important de dossiers parvenus à l’Instance dépassant la barre de 63.000. Cette décision de l’IVD a été transmise à l’Assemblé des Représentant du Peuple (ARP) afin qu’elle en prenne acte et qu’elle en tire les conséquences nécessaires dans l’intérêt de processus de justice transitionnelle. Cependant, de manière étonnante, le bureau de l’ARP, réuni le 8 mars dernier, a adopté une décision non respectueuse de l’article 148-9 de la Constitution tunisienne et des dispositions de la loi organique n°2013-53 du 24 décembre 2013 relative à l’instauration de la justice transitionnelle et à son organisation. En effet, le bureau de l’ARP indique que la décision de prorogation du mandat de l’IVD serait une prérogative de l’ARP et qu’une assemblée plénière sera convoquée afin de soumettre cette décision au vote de l’ensemble des députés. Ni la Constitution tunisienne, ni le règlement intérieur de l’ARP ne donnent la prérogative au pouvoir législatif de décider du renouvellement du mandat de l’IVD. Ceci relève de la seule compétence de l’Instance. Celle-ci a motivé sa décision comme le dispose explicitement l’article 18 de la loi organique n°2013-53. L’IVD est une autorité administrative et ses décisions sont des actes administratifs susceptibles d’être contrôlées uniquement par le Tribunal administratif. L’ARP a tout à fait le droit de convoquer une assemblée plénière portant sur la prorogation du mandat de l’IVD. Toutefois, l’objectif en serait de tenir un débat sur la suite du processus de justice transitionnelle et particulièrement sur les motivations avancées par l’Instance. Cependant, elle ne peut en aucun cas prévoir un vote sur la décision prise de l’IVD. Les déclarations de certains membres du bureau de l’ARP laisseraient croire, en effet, à une mauvaise compréhension des prérogatives de l’ARP en cette matière, pourtant inscrites dans la Constitution tunisienne et encadrées par le Règlement Intérieur de l’ARP. En décidant de soumettre la décision de renouvellement du mandat de l’IVD au vote des députés en assemblée plénière, l’ARP outrepasserait ses compétences législatives, empièterait sur celles juridictionnelles du juge administratif, et violerait les dispositions de la Constitution tunisienne et du Règlement Intérieur de l’Assemblée. Depuis son démarrage en 2014, le fonctionnement de l’IVD a connu des entraves incessantes et n’a pas joui du soutien des plus importantes autorités de l’Etat. L’ARP, qui refuse à ce jour de combler les postes vacants au sein de l’IVD et qui a adopté la loi de réconciliation dans le domaine administratif contrairement aux objectifs de la justice transitionnelle, vient aujourd’hui insinuer qu’elle pourrait mettre un terme au mandat de cette Instance alors qu’elle vient tout juste d’entamer le volet judiciaire suite aux investigations effectuées jusqu’ici. Étant donné que les chambres spécialisées ont commencé à être saisies des dossiers des violations graves des droits de l'homme, mettre un terme au mandat de l'IVD va nécessairement l'empêcher de transmettre le reliquat des dossiers qu'elle a instruits et qu'elle comptait transmettre auxdites chambres avant la fin du mandat (fin mai 2018). Ce qui, au final, va créer une discrimination choquante et illégitime dans le traitement juridictionnel des affaires dont a été saisie l'IVD, c'est à dire une inégalité entre les victimes (des violations des droits de l’Homme devant la justice et devant la loi et ce, en violation non seulement des principes fondamentaux de la procédure pénale mais aussi de l'esprit général sur lequel est fondée la justice transitionnelle. Une telle initiative de l’ARP risquerait de déclencher une colère grandissante des victimes et d’accroître leur sentiment déjà présent de méfiance envers l’Etat. Elle risquerait aussi d’empoisonner le climat social et politique du pays à un stade important de la consolidation de la transition démocratique. Les organisations signataires appellent le bureau de l’ARP à prévoir une assemblée plénière afin de combler les vacances au sein de l’IVD, à prendre acte de la décision de cette Instance de proroger son mandat comme le prévoit la loi sur la justice transitionnelle. La réalisation du processus de justice est une obligation constitutionnelle à la charge de l’Etat tunisien conformément à l’article 148.9 de la Constitution tunisienne qui dispose clairement que « L’État s’engage à mettre en application le système de la justice transitionnelle dans tous ses domaines et dans les délais prescrits par la législation qui s’y rapporte. ». En tant que pouvoir législatif, l’ARP se doit de jouer un rôle majeur dans la réussite du processus de justice transitionnelle et d’en protéger les objectifs, à savoir, le traitement des violations des droits de l’Homme commises par l’Ancien régime, le dévoilement de la vérité et l’identification des responsabilités de leur auteurs, les réparations pour les victimes, la mise en place de garanties de non répétition et la consécration du système des droits de l’Homme. Une réelle et durable réconciliation nationale n’est nullement possible sans cela".



André Parant juge nécessaire de préserver les acquis démocratiques en Tunisie

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