Le ministère de la Défense tunisien confirme l'évacuation imminente de 114 réfugiés du camp de Choucha

Le ministère de la Défense tunisien confirme l'évacuation imminente de 114 réfugiés du camp de Choucha
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Le camp de réfugiés de Choucha, dans le sud de la Tunisie, va être évacué "le plus tôt possible, mais pas demain, c'est une question de procédure et d'organisation", nous a assuré ce mardi 14 octobre le lieutenant-colonel Belhassen Oueslati, porte-parole du ministère de la Défense. "L'évacuation fait l'objet de plusieurs réunions. Je ne peux rien vous dire mais la procédure est en cours", a-t-il ajouté. Le blog "Voice of Choucha", tenu par des résidents du camp, a pourtant indiqué dans un post publié le 6 octobre dernier que des représentants de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) et du Croissant rouge tunisien (CRT), en visite au camp de Choucha le 3 octobre, avaient informé les réfugiés que celui-ci serait évacué demain, le 15 octobre. Plus d'un an après la fermeture officielle du camp, il reste encore des réfugiés à Choucha Le camp de Choucha, qui avait ouvert en février 2011 dans le gouvernorat de Médenine pour accueillir des dizaines de milliers de réfugiés fuyant la guerre en Libye, et était géré par le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), a été officiellement fermé le 30 juin 2013 par le HCR. Il reste pourtant "114 réfugiés de différents pays africains" à Choucha, nous a indiqué Belhassen Oueslati. Messaoud Romdhani, membre du comité directeur du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), nous parle quant à lui de "quelques dizaines de personnes". "Il y a encore entre 60 et 80 personnes sur place", indique de son côté une lettre ouverte des réfugiés de Choucha datée du 26 juillet 2014, qui évoque leur "survie" dans le camp, la "mendicité au bord de la route et dans les épiceries pour avoir de quoi manger". Depuis la fermeture "officielle" du camp l'année dernière, ces personnes vivent en plein désert, sans eau, sans électricité et sans services médicaux sur place. Seuls restent des militaires de l'armée tunisienne, chargés de "sécuriser" le camp. Des "réfugiés" sans statut Une partie d'entre eux n'ont aucun statut. En effet, dès la création du camp, le HCR s'est chargé d'examiner les dossiers des différents réfugiés pour leur attribuer ou non le statut officiel de "réfugiés" politiques, la Tunisie ne disposant pas d'une loi sur l'asile. Certains réfugiés ont donc été considérés comme de simple "migrants économiques", et se sont vus déboutés de leur statut de réfugié.
"Migrants irréguliers [...], nous vivons en Tunisie sans aucun droit et sans la possibilité de circuler, de travailler et d'avoir un espace où rester sans devoir vivre dans l'insécurité du lendemain", peut-on lire dans la lettre ouverte.
Certains réfugiés "reconnus" ont pu bénéficier en 2011 d'un programme de réinstallation dans des pays tiers disposant du droit d'asile. Mais les places étaient limitées, et ce programme ne s'appliquait qu'aux réfugiés entrés sur le territoire tunisien avant la fin du mois de décembre 2011. "Le HCR a accordé le statut de réfugié à plus de 4 000 personnes", indique l'agence, et environ 3 600 réfugiés ont eu la possibilité de s'installer entre autres aux États-Unis, en Norvège, en Suède, en Australie, au Canada et en Allemagne. Les autres réfugiés se sont vu proposer de participer à un programme local d'intégration en Tunisie, mis en place par le gouvernement et le HCR avec le concours du Croissant rouge tunisien et de l'association Islamic Relief. "Environ 300 réfugiés n'ont pas souhaité bénéficier d'une assistance en milieu urbain", indique le HCR Les "déboutés" - environ 300 selon le HCR - ont eux la possibilité de retourner dans leur pays d'origine, avec l'assistance de l'OIM. Qui a décidé d'évacuer Choucha, et pourquoi ? Il est aujourd'hui difficile de savoir comment et par qui exactement a été décidée l'évacuation imminente du camp de Choucha. Nous avons joint Houda Chalchoul, responsable du département protection au HCR, qui nous a indiqué que cela concernait "les autorités tunisiennes", sans pouvoir les citer. Même réponse du côté de l'OIM : "Cela concerne les autorités tunisiennes", nous a indiqué Imen Ghidaoui, chargée de l'information publique à l'OIM.
"Selon une information non officielle que nous avons eu, c'est une demande de l'armée, explique quant à lui Messaoud Romdhani, du FTDES. Les réfugiés qui restent à Choucha devraient être redirigés notamment vers le centre de rétention de Ouardia."
Sans nous préciser qui avait décidé de l'évacuation, le porte-parole du ministère de la Défense Belhassen Oueslati évoque "une question de sécurité" : "C'est une charge, c'est un problème. On n'a pas besoin d'une autre charge pour l'armée tunisienne, d'autant qu'on a de grands défis à relever avec le terrorisme et les élections. Il faut alléger la charge de travail de l'armée et se concentrer sur les vrais problèmes." "C'est une responsabilité !, ajoute le lieutenant-colonel. Si quelque chose arrive à ces gens-là, le premier responsable est l'armée tunisienne." Installer les réfugiés "en milieu urbain" À la fin du mois d'août 2014, l'agence TAP a rapporté la tenue, au ministère des Affaires sociales, d'une réunion de coordination consacrée à la régularisation de la situation des résidents de Choucha et à celle des réfugiés sans statut. Présidée par le ministre des Affaires sociales Ahmed Ammar Yumbai et en présence de représentants de la Présidence du gouvernement, des ministères de la Défense nationale, de la Justice et des Affaires étrangères, la réunion avait porté sur un démantèlement éventuel du camp et l'installation des réfugiés "en milieu urbain". Un programme d'installation local serait ainsi proposé également aux réfugiés "non reconnus". Il était ainsi prévu d'évacuer Choucha "après la sensibilisation de ses résidents à la nécessité de s'installer en milieu urbain pour qu'ils puissent être protégés et afin d'assurer la sécurité aux frontières tunisiennes". Certains refusent de rester en Tunisie Une partie des réfugiés persiste néanmoins à demander la réinstallation dans un pays tiers, disant ne pas pouvoir, pour des raisons sécuritaires, retourner dans leur pays d'origine, et refusant également de s'installer en Tunisie, en raison du racisme dont ils sont victimes et de la situation instable du pays.
"Les difficultés d'intégration [...] sont bien présentes entre autres à cause du racisme", lit-on dans la lettre ouverte des réfugiés de Choucha, qui ajoute : "Trouver un logement décent et un travail sans se faire exploiter ne sont pas tâches faciles."
Certains choisissent ainsi de quitter la Tunisie par la mer en passant par la Libye, pays qu'ils ont pourtant fui en 2011 : "Plus de 300 réfugiés de Choucha ont déjà rejoint la Libye en passant la frontière illégalement pour trouver du travail sur place et rejoindre l'Italie par la mer", peut-on lire dans la lettre. Un programme d'intégration en Tunisie aux résultats mitigés Le programme local d'intégration en Tunisie mis en place en 2013 semble avoir eu des résultats mitigés. Ce programme prévoyait le don à chaque famille d'une somme de 1 500 dinars ainsi qu'une aide financière mensuelle (90, puis 120 dinars) pendant six mois. Des formations ont également été mises en place, en langue (français, arabe), en informatique, ou pour apprendre un métier.
"Beaucoup de réfugiés sont rentrés à Choucha pour un manque de sentiment de sécurité et pour le loyer cher après avoir essayé de s'intégrer dans les villes autour. [...] Même si leur vie quotidienne y est plus précaire et les conditions de vie y sont plus dures, ils s'y sentent plus sûrs et ne doivent pas payer de loyer", témoignent néanmoins dans un rapport des représentants de la fondation allemande Stiftung Do, du réseau Afrique-Europe-Interact, du Conseil des réfugiés d'Allemagne et du groupe tunisien Article 13 après une visite à Choucha en janvier 2014.
"Les réfugiés se débrouillent pour trouver du travail à Ben Guerdane [la ville la plus proche de Choucha] et se retrouvent en concurrence avec les habitants de Ben Guerdane et Médenine", témoigne Sonia Garziz, membre d'Article 13, qui s'est rendue dans le camp en juillet 2013. Sonia Garziz témoigne également des "grands problèmes de communication" qui se sont posés au moment de la mise en place du programme d'intégration : "À Choucha, il y a des clans, selon la nationalité, la religion, entre les réfugiés reconnus et les non reconnus. Et il y a une grosse barrière entre eux, raconte-t-elle. Lorsque les représentants d'Islamic Relief et du Croissant rouge sont venus au camp parler du programme d'intégration, ils ont parlé aux délégués des groupes, et certains, qui refusent de sortir du camp pour autre chose qu'aller en Europe, ont bloqué l'information pour que les autres réfugiés n'acceptent pas le programme." Le droit d'asile est garanti par la constitution tunisienne Face à la complexité et à la difficulté de la situation, le FTDES, dans un communiqué daté du 9 octobre, réclame "le réexamen des demandes d'asile des réfugiés ayant reçu un rejet définitif de leur dossier", et "sollicite les pays européens pour accueillir les réfugiés fuyant la guerre et les conflits politiques dans leur pays et garantir leur droit d'asile conformément aux conventions internationales".
Il condamne également "les menaces de fermeture définitive du camp et réitère son appel au respect du droit d'asile, en insistant sur le caractère non constitutionnel des violations de ce droit, garanti par l'article 26 de la constitution tunisienne".
L'article 26 de la nouvelle constitution stipule en effet : "Le droit d'asile politique est garanti conformément aux dispositions de la loi [...]." Mais il n'y a toujours pas de loi sur l'asile en Tunisie, alors que le gouvernement s'était engagé à le faire et qu'il a commencé à travailler sur la conception de cette loi en 2012, avec l'appui du HCR. "Le projet de loi est au ministère de la Justice, il est discuté entre différents départements ministériels. On est en train de suivre, les travaux sont en cours", nous indique Heda Chalchoul, du HCR. Après l'adoption de la nouvelle constitution, en janvier 2014, un responsable du ministère des Affaires sociales, Khalil Laâmari, avait pourtant déclaré à l'agence TAP que le projet de loi serait présenté "dans les prochains jours au nouveau gouvernement et soumis ensuite à l'assemblée constituante pour adoption finale". En attendant, le FTDES demande l'octroi d' "un statut juridique stable à ces réfugiés leur permettant l'exercice de l'ensemble de leurs droits en Tunisie, comme le convenait le gouvernement tunisien en juillet 2013". Toujours pas de cartes de séjour, malgré la promesse du gouvernement En juillet 2013, le gouvernement s'était en effet engagé à fournir des cartes de séjour provisoires aux réfugiés restant en Tunisie, le temps que soit adoptée une loi sur l'asile. Dans un communiqué publié le 18 juillet 2013 par la Présidence du gouvernement, on peut lire :
"[...] le ministère des Affaires sociales annonce qu'il fournira [...] des cartes de séjour provisoire. Les personnes ayant le titre de réfugié et qui n'ont pas été réinstallées et celles qui n'ont pas ce titre, sont tenus de se rendre aux postes de police et de la garde nationale pour régulariser la situation de leur séjour en Tunisie, de manière à pouvoir bénéficier des services publics."
"J'ai donné mes empreintes digitales en juillet 2013, mais je n'ai aucune nouvelle depuis et je n'ai pas de papiers", témoigne ainsi H., un réfugié "non reconnu" de nationalité ivoirienne qui travaille aujourd'hui à Tunis. Selon lui, 62 personnes auraient donné leurs empreintes et sont toujours en attente d'une carte de séjour. Nous avons contacté le ministère des Affaires sociales, qui nous a redirigé vers le HCR et le ministère de l'Intérieur pour avoir des informations. Le ministère de l'Intérieur était injoignable, tandis que le HCR renvoie la balle au ministère des Affaires sociales. "Si quelqu'un doit s'exprimer sur le sujet, c'est eux [le ministère des Affaires sociales] et pas nous", déclare Dalia Alachi, porte-parole du HCR en Tunisie. Contacté une nouvelle fois, le ministère des Affaires sociales n'a pas donné suite. Sans papiers, les réfugiés sont particulièrement vulnérables Sans papier, les réfugiés sont donc particulièrement vulnérables. Le FTDES rapporte ainsi dans son communiqué le cas de Bamba Omar, un Ivoirien de 31 ans résidant à Choucha, qui a été arrêté le 27 septembre à Kairouan et emprisonné pour "séjour illégal sur le territoire tunisien et non détention d'un papier d'identité valide". Bamba Omar a été acquitté et libéré le 9 octobre par le tribunal de première instance de Kairouan. Mais il doit repasser devant le tribunal en appel le 16 octobre.



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