Plus que trois jours, et les lauréats des oscars 2021 seront annoncés. Pour la première fois de son histoire, la Tunisie a un film nommé dans la catégorie Meilleur Film International.
Parmi les cinq films nommés dans cette catégorie, soit Drunk (Danemark), Better Days (Hong Kong), Collective (Roumanie), The Man Who Sold His Skin/L’homme qui a vendu sa peau (Tunisie) et Quo Vadis, Aida? (Bosnie-Herzégovine), c’est le film L’homme qui a vendu sa peau réalisé par Kaouther Ben Hania, qui mérite, à mon avis, de remporter la fameuse statuette, parce que non seulement il traite d’un sujet très intéressant, mais surtout parce qu’il est très bien réalisé.
Synopsis : Pour échapper à la guerre, Sam Ali, un jeune Syrien sensible et impulsif, a quitté son pays pour le Liban. Pour pouvoir voyager en Europe et vivre avec l’amour de sa vie, il accepte de se faire tatouer le dos par l’un des artistes contemporains les plus sulfureux du monde. Transformant son propre corps en une œuvre d’art prestigieuse, Sam se rendra toutefois compte que sa décision pourrait en réalité signifier autre chose que la liberté.
L’homme qui a vendu sa peau est nommé à l’Oscar 2021 du Meilleur film International
L’homme qui a vendu sa peau a été tourné en grande partie en Tunisie, avec dans les rôles principaux le jeune acteur syrien Yahya Mahayni (Prix du meilleur acteur au Festival de Venise, section Horizons, pour ce rôle), Dea Liane, Koen De Bouw et la belle actrice italienne Monica Bellucci.
Présentant son film, Kaouther Ben Hania a déclaré : « le projet de L’homme qui a vendu sa peau est né de la rencontre entre deux mondes. Le monde de l’art contemporain, et plus particulièrement l’œuvre de l’artiste belge Wim Delvoye (Tim, 2006) et le monde des réfugiés politiques – en particulier les réfugiés syriens, leur lutte avec les documents de voyage et les permis de séjour… Je me suis en effet demandée : « Que se passerait-il si un artiste célèbre proposait à un réfugié de devenir son œuvre d’art pour résoudre son problème de liberté de mouvement ? ». Ainsi est né le voyage de Sam Ali, un jeune réfugié passionné jeté dans un monde cynique. Un homme ordinaire face à une aventure extraordinaire. Le film est aussi une histoire d’amour où le protagoniste est séparé de la femme qu’il aime, et il tente de s’en remettre même s’il doit perdre sa dignité et sa peau dans le processus. Ou que signifie être libre quand le jeu est déjà truqué, quand on n’a pas beaucoup de choix ? L’homme qui a vendu sa peau est une allégorie sur la liberté personnelle d’une personne dans un système inégalitaire abordant une signification plus large de nos problèmes du monde réel. »
Inspiré donc en partie d’un fait réel, L’homme qui a vendu sa peau aborde plusieurs sujets, et pose de nombreuses questions. Ce qui est très original est que la réalisatrice le fait en liant essentiellement deux thématiques très différentes qui n’étaient pas faites pour se rencontrer. En les emboitant l’une dans l’autre, elle livre une réflexion sur la condition des réfugiés et sur l’art contemporain.
Voici donc Sam Ali, né du mauvais côté des frontières, qui pour pouvoir aller en Europe rejoindre sa bien-aimée accepte de se faire tatouer un énorme visa Schengen sur le dos. Ce visa si onéreux et si inaccessible pour la grosse majorité des citoyens du monde.
Paradoxalement, ce visa tatoué sur le dos, en octroyant à Sam Ali la liberté de se déplacer, de voyager et de traverser les frontières, le transforme en même temps en objet et en marchandise, le jeune homme ayant accepté d’exposer son dos dans des galeries d’art et des musées. Statut qui sera d’ailleurs confirmé dès la séance de photos publicitaires : on demande à Sam Ali de baisser la tête. Sam Ali n’est plus une personne, il n’a plus d’identité, il n’est pas un corps entier, il n’est plus qu’un dos. Sur lequel s’est d’ailleurs greffée la tête de l’artiste. Comme une signature. La signature de l’artiste sur son œuvre.
Sam Ali n’est plus qu’un dos, sur lequel s’est greffée la tête de l’artiste…
Sam Ali savait-il, en acceptant ce marché, à quoi il allait se soumettre ?
Manifestement pas, mais avait-il le choix ?
Ce n’est qu’en arrivant en Europe que Sam Ali va se rendre compte de sa situation. Il va se rendre compte de la violence exercée sur lui. Violence symbolique sur sa peau et son corps, mais aussi violence morale puisqu’il devient une œuvre d’art, donc un objet. Mais qu’est-ce qu’une œuvre d’Art ? Peut-on aller au-delà du respect de la vie humaine pour l’Art ? Peut-on transgresser toutes les limites au nom de l’Art ?
En s’octroyant le droit d’exploiter les êtres humains, et même de les acheter et de les vendre, cette élite artistique, cette intelligentsia européenne qui se croit supérieure, n’a-t-elle pas elle-même perdu son humanité ?
Est-ce que cet Art a été poussé à l’extrême, au point de dépasser l’humain ?
Ces thématiques sont nouvelles pour le cinéma tunisien. Ce qui a surpris étrangers et tunisiens. Les premiers étant étonnés et parfois même jaloux qu’une tunisienne ait osé aborder des thèmes qu’ils croyaient réservés aux seuls occidentaux et les deuxièmes reprochant au film de ne pas refléter la réalité et les préoccupations tunisiennes.
« Tous mes films ont été faits en Tunisie, sauf peut-être Zaineb n’aime pas la neige (2016) que j’ai tourné en Tunisie et au Canada. L’homme qui a vendu sa peau s’est imposé à moi, c’est une histoire internationale. Je vis à Paris qui est une ville cosmopolite, je voyage beaucoup, donc il est normal que je raconte une histoire internationale. L’histoire s’impose à moi, je l’écris, peu importe qu’elle soit tunisienne ou pas. Je raconte des personnes, pas des lieux. Des personnes qui ont des histoires humaines, le lieu n’est que le contexte » a expliqué Kaouther Ben Hania.
D’ailleurs, pourquoi est-ce qu’un cinéma devrait coller à un pays ou un groupe de personnes. Ne peut-il pas tout simplement être humain ? Manifestement oui, et c’est bien ce qu’a prouvé Kaouther Ben Hania à travers ce film universel et humaniste.
La réalisatrice a donc raconté son histoire, mais elle a su le faire d’une manière originale, en utilisant une écriture qui lui est propre. Elle a su donner une esthétique et une forme à son film, qui en fait aussi une œuvre d’Art. Elle a adapté la forme au fond. Et c’est aussi ce qui donne sa force au film.
Depuis ses débuts, la réalisatrice a su donner à chacune de ses histoires ou films, son propre style et sa propre forme. Lorsqu’on filme à l’intérieur d’un musée ou d’une galerie d’Art, quoi de plus logique que de s’adapter au lieu et au thème et de filmer comme si on peignait?
Au début du film, Kaouther Ben Hania utilise un blanc immaculé, aseptisé, presque inhumain, mais qui rappelle étrangement cette ambiance froide de certains musées d’art contemporain. Les employés qui, sans aucune émotion, accrochent les œuvres aux murs ressemblent plus à des robots qu’à des hommes. A l’image justement de ces collectionneurs et marchands d’Art, qui eux-mêmes sont sans sentiments, sans état d’âme, prêts à se faire de l’argent, spéculer, se pavaner, discuter de la valeur d’une œuvre d’Art tout en faisant abstraction de l’humain. La réplique de l’assureur qui préférerait que Sam Ali décède d’un cancer plutôt que dans l’explosion d’une bombe est très significative. Pour lui, la vie de Sam Ali n’a aucune importance, ce qui compte est de préserver intacte l’œuvre d’Art, donc le dos.
Également pour rappeler le monde de l’Art, tout au long du film, tout en accordant une attention particulière aux couleurs, aux lumières et à l’esthétique, non seulement les personnages évoluent souvent dans des musées et des galeries d’Art, mais en plus, on les voit très souvent dans des encadrements (des portes, des miroirs, des fenêtres, des grilles…), comme s’ils étaient eux-mêmes des peintures exposées dans une galerie ou un musée.
La réalisatrice Kaouther Ben Hania et Nadim Cheikhrouha, l’un des coproducteurs du film, en route pour Hollywwod.
En plus de cet aspect esthétique, ce qu’a accompli Kaouther Ben Hania dans ce film est un travail d’architecture. Pour exprimer sa pensée, elle a construit son film comme le ferait un architecte. Chaque détail est à sa place et a son importance. Strictement rien n’est laissé au hasard. Chaque plan, chaque couleur, chaque mouvement, chaque phrase… a un sens. Sans oublier la magnifique musique, composée par Amine Bouhafa.
C’est justement cet aspect du film qui le rend exceptionnel et qui, à mon avis, lui donne le plus de chances de remporter l’oscar du meilleur film international. Originalité de propos mais surtout de forme et d’écriture. Ce qui manque aux quatre autres films nommés à l’oscar, qui, bien qu’abordant des thèmes importants et très intéressants, restent quand même très classiques dans leur traitement.
La 93ème cérémonie des Oscars se tiendra dans la nuit du 25/26 Avril 2021 et aura lieu exceptionnellement en plein air à la Union Station, Los Angeles et au Dolby Theatre, Hollywood.
LISTE DES NOMINATIONS DES OSCARS 2021:
Meilleur film :
The Father
Judas and the Black Messiah
Mank
Minari
Nomadland
Promising Young Woman
Sound of Metal
Les Sept de Chicago
Meilleur acteur :
Riz Ahmed (Sound of metal)
Chadwick Boseman (Le Blues de Ma Rainey)
Anthony Hopkins (The Father)
Gary Oldman (Mank)
Steven Yeun (Minari)
Meilleure actrice :
Viola Davis (Le Blues de Ma Rainey)
Andra Day (The US VS Billie Holiday)
Vanessa Kirby (Pieces of a Woman)
Frances McDormand (Nomadland)
Carey Mulligan (Promising Young Woman)
Meilleur acteur dans un second rôle :
Sacha Baron Cohen (Les Sept de Chicago)
Daniel Kaluuya (Judas and the Black Messiah)
Leslie Odom Jr (One night in Miami)
Paul Raci (Sound of Metal)
Lakeith Stanfield (Judas and the Black Messiah)
Meilleure actrice dans un second rôle :
Maria Bakalova (Borat 2)
Glenn Close (Hillbilly Elegy)
Olivia Coleman (The Father)
Amanda Seyfried (Mank)
Yoon Yeo-jeong (Minari)
Meilleur réalisateur :
Thomas Vinterberg (Drunk)
David Fincher (Mank)
Lee Isaac Chung (Minari)
Chloe Zhao (Nomadland)
Emerald Fennell (Promising Young Woman)
Meilleur film d’animation :
En avant
Voyage vers la lune
Shaun le mouton : la ferme contre-attaque
Soul
Le Peuple loup
Meilleur court-métrage d’animation :
Burrow
Genius Loci
If anything happens I love you
Opera
Yes-people
Meilleur scénario adapté :
Borat 2
The Father
Nomadland
One night in Miami
The White Tiger
Meilleur scénario original :
Judas and the Black Messiah
Minari
Promising Young Woman
Sound of Metal
Les Sept de Chicago
Meilleure photographie :
Judas and the Black Messiah
Mank
News of the World
Nomadland
Les Sept de Chicago
Meilleur documentaire :
Collective
Crip Camp
The Mole Agent
My Octopus Teacher
Time
Meilleur court-métrage documentaire :
Colette
A Concerto is a conversation
Do Not Split
Hunger Ward
A Love song for Latasha
Meilleur court-métrage de fiction :
Feeling Through
The Letter Room
The Present
Two distant strangers
White Eye
Meilleur film étranger :
Drunk
Better Days
Collective
The Man Who Sold His Skin/L’homme qui a vendu sa peau
Quo Vadis, Aida ?
Meilleur Montage :
The Father
Nomadland
Promising young woman
Sound of metal
Les Sept de Chicago
Meilleur son :
Greyhound
Mank
News of the world
Soul
Sound of metal
Meilleurs décors :
The Father
Le Blues de Ma Rainey
Mank
News of the World
Tenet
Meilleure musique originale :
Da 5 bloods
Mank
Minari
News of the World
Soul
Meilleure chanson originale :
« Fight for you » (Judas and the Black Messiah)
« Hear my voice » (Les Sept de Chicago)
« Husavik » (Eurovision Song Contest : The Story of Fire Saga)
« Io si » (La vie devant soi)
« Speak now » (One night in Miami)
Meilleurs coiffures et maquillages :
Emma
Hillbilly Elegy
Le Blues de Ma Rainey
Mank
Pinocchio
Meilleurs costumes :
Emma
Le Blues de Ma Rainey
Mank
Mulan
Pinocchio
Meilleurs effets spéciaux :
Love and Monsters
The Midnight Sky
Mulan
The One and only Ivan
Tenet
Croisons les doigts pour notre film tunisien, qui mérite réellement de remporter l’Oscar du Meilleur Film International!
Neïla Driss
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