Dès les deux premiers jours de cette 74ème édition du festival de Cannes qui se tient cette année exceptionnellement du 6 au 17 juillet 2021, il y a eu projection de deux films qui traitent du sujet des agressions sexuelles et viols dans deux pays musulmans. Même thème, mais deux films tellement différents.
Le premier est Rehana Maryam Noor (Bangladesh), réalisé par Abdullah Mohammad Saad, en compétition dans la section Un Certain Regard. Ce film est d’ailleurs le premier film bangladais en sélection officielle au Festival de Cannes (grande émotion de l’équipe du film d’ailleurs).
Un très beau film, et qui prouve, si nécessaire, la vocation du festival de Cannes, qui permet de donner de la visibilité et de promouvoir les cinémas du monde entier, y compris de pays lointains et donne l’occasion aux jeunes cinéastes du monde entier de côtoyer pendant quelques jours les plus grands professionnels du cinéma du monde.
Rehana Maryam Noor est le second film d’Abdullah Mohammad Saad après Live from Dhaka (2016), qui lui avait permis de remporter le prix du meilleur réalisateur au Festival international du film de Singapour et d’être sélectionné dans plusieurs festivals. Comme son premier film, Rehana Maryam Noor repose sur des personnages à fort caractère, à l’image de sa protagoniste incarnée par Azmeri Haque Badhon.
Son mari étant décédé, Rehana se retrouve seule à devoir travailler et s’occuper de sa petite fille. Elle doit également prendre en charge son grand frère chômeur et sa mère.
Ses journées sont très chargées et elle doit jongler entre ses obligations de médecin et d’enseignante et ses obligations familiales de mère, sœur et fille.
Rehana est professeure adjointe dans un hôpital universitaire de Dhaka (Bangladesh). Comme elle forme de futurs médecins, elle prend son métier très au sérieux et essaye de l’exercer avec grande conscience et même une certaine intransigeance.
Un jour, elle est témoin d’une agression sexuelle de son collègue sur une étudiante. Elle ne sait pas quoi faire, se taire ou dénoncer ? C’est la deuxième solution qu’elle choisit : elle ne peut pas se taire et faire comme si elle n’avait rien vu.
Et c’est là que son monde bascule. Personne ne veut savoir ni voir. Personne. Une telle affaire ne peut que porter préjudice au collègue, à sa famille et à la réputation de la faculté. On lui demande de se taire. La victime elle-même la supplie de se taire, en la menaçant même de se suicider si jamais elle parlait.
La directrice de la faculté, qui est-elle même une femme, lui demande également le silence. L’épouse du collègue aussi ne veut rien voir. L’essentiel est de sauvegarder l’apparence de l’honneur.
Une réplique est d’ailleurs significative. Lorsque Rehana demande à l’épouse comment elle pouvait accepter de vivre avec un agresseur sexuel, sa réponse avait été : « tant qu’il croit que je ne sais pas… ». Oui, les apparences. Sauvegarder les apparences et fermer les yeux pour avoir la paix. L’important est que l’honneur est sauf.
Ce que ne peut concevoir Rehaha, qui semble avoir un sens aigu de la justice.
Le collègue agresseur, qui a commencé par nier les faits, la supplie de se taire et la menace même. Mais Rehana est déterminée, plus elle subit de pressions et plus elle est décidée à parler et à dénoncer. Elle ne peut accepter de tels agissements.
Elle va en payer le prix très cher. Tous vont se détourner d’elle. Mais elle ne recule pas.
Elle reçoit au même moment une plainte de l’école concernant le comportement inhabituel de sa fille de six ans. Mais Rehana, intransigeante, refuse d’accepter l’absurdité et l’injustice de la société patriarcale et mettra tout en jeu pour que justice soit rendue à son étudiante et à sa fille, qu’elle voudrait devenir comme elle.
Le film est très bien fait. Les personnages sont très bien étudiés et convaincants. On sent la tension que subit Rehana, on la comprend, on comprend ses motivations et d’ailleurs on ne peut qu’être solidaire, même si le film pousse à se demander : si j’étais à sa place, qu’aurais-je fait ? Aurais-je été prête à tout sacrifier pour pouvoir dénoncer et obtenir justice?
Une standing ovation méritée à l’issue de la projection. Avec l’actrice Azmeri Haque Badhon tellement émue qu’elle en sanglotait presque, totalement à l’opposé de cette femme froide et déterminée du film.
Cannes 2021 – L’actrice Azmeri Haque Badhon, qui joue le rôle de Rehana, pleure d’émotion
Le deuxième film est Lingui, les liens sacrés, du réalisateur tchadien Mahamat Saleh Haroun en compétition officielle.
Le même sujet est traité complètement différemment, avec une insistance sur la place de l’islam dans la société, avec un imam qui croit avoir le droit de s’immiscer dans la vie privée des gens et de leur donner ses conseils et même d’essayer de les imposer.
Dans cette société très pieuse (ou qui essaye de le faire croire), Amina (Achoucack Abakan Souleymane) est fille mère. Lorsque jeune elle avait été enceinte, elle avait été renvoyée de l’école et bannie par sa famille. Mal vue par tous, elle travaille dur pour élever sa fille. Mais un jour, elle est convoquée par la directrice de l’école, qui lui annonce le renvoi de Maria (Rihane Khalil Alio) parce qu’enceinte. Sa propre histoire qui se répète avec sa fille.
Amina va devoir trouver une solution pour faire avorter sa fille dans un pays où la religion et la loi interdisent l’avortement. Elle ne veut pas que sa fille subisse le même sort qu’elle.
Même si le but du film est louable et qu’il essaye de démontrer l’hypocrisie de la société, la très forte place de la religion qui s’immisce dans la vie quotidienne des gens et veut s’y imposer presque par la force, le combat des femmes qui essayent de trouver des solutions pour faire face aux agressions sexuelles, aux grossesses non désirées, à l’excision, et qui sont solidaires entre elles, quitte à tricher pour duper les hommes, il échoue lamentablement sur la forme. « Il faut rester indulgent » a déclaré un journaliste français, « c’est un film africain, et on ne peut lui demander d’être de la même qualité que nos films ».
Oui, on peut être indulgent, parce qu’il est évident que les cinéastes africains n’ont pas les mêmes moyens financiers et techniques que les cinéastes européens ou américains, mais il y a quand même un minimum, qu’on ne trouve pas dans ce film, très mal construit.
Les clichés se suivent, on sait d’avance ce qu’il va se passer puisque les personnages sont tellement prévisibles. Les acteurs ne sauvent pas la mise, au contraire, ils ne sont pas naturels, ils n’interprètent pas des rôles, ils récitent…
Il y a des scènes qui sont très mal jouées, oui qui ne servent à rien, ou sont carrément illogiques. Par exemple, Maria portant une longue robe blanche, se jette dans une rivière pour tenter de se suicider. Elle est sauvée par un groupe de jeunes hommes, qui vont la réanimer et la ramener chez elle. Ce qui est étonnant est que la robe blanche va rester propre. Oui, propre, alors qu’elle a été dans l’eau, touchée… Pas de taches ? Pas de déchirures ? Pas de boue ?
La question est : comment un tel film a-t-il pu être sélectionné au festival de Cannes ? Encourager ces jeunes cinéastes, oui bien sûr, mais ne doit-on pas exiger d’eux un minimum de qualité?
Neïla Driss
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