La 6ème édition du Festival d’El Gouna s’est déroulée exceptionnellement du 14 au 21 décembre 2023. Initialement prévu en octobre, l’événement a été reporté en raison de la guerre entre Israël et la Palestine, qui a débuté le 7 octobre.
Face à cette situation délicate, les organisateurs ont pris une décision courageuse en maintenant l’édition et en la dédiant à la Palestine, un geste de solidarité fort envers un peuple meurtri par les crimes israéliens.
Le dilemme de la solidarité cinématographique
Lors de la cérémonie de clôture, Naguib Sawiris, le cofondateur du festival, a exposé les hésitations qui ont marqué le processus de décision : « Nous avons beaucoup hésité, fallait-il garder ou annuler cette édition? Mais c’est un festival qui a pour slogan « Cinéma pour l’Humanité », il était donc logique de l’offrir à la Palestine. Notre festival est au service de l’humanité qui fait un peu défaut ces derniers temps. » Cette déclaration résume l’essence du festival, mettant en avant son engagement envers l’humanité et la nécessité de donner une plateforme au cinéma pour transcender les frontières et les différences.
La décision de maintenir le festival, malgré les défis, se distingue d’autres événements culturels, tels que les Journées Cinématographiques de Carthage (JCC) en Tunisie et le Festival International du Film du Caire (CIFF) en Égypte, qui ont préféré annuler leurs éditions par solidarité envers les Palestiniens. Il est important de souligner que l’annulation d’événements culturels n’est pas une solution bénéfique pour la cause palestinienne ou pour toute autre cause. Un festival de cinéma, bien plus qu’une simple distraction, offre une plateforme pour réfléchir, donner de la voix, gagner en visibilité et débattre.
Les JCC et le CIFF : Des annulations décevantes
Les JCC, dès le début de la guerre, avaient envisagé de modifier leur programme pour donner une voix aux Palestiniens. Des films palestiniens devaient être programmés, et des cinéastes palestiniens étaient invités. Cependant, une décision du Ministère tunisien des affaires culturelles a conduit à l’annulation de l’édition. Cela a provoqué la déception des cinéastes palestiniens, privés de l’occasion de partager leur narratif avec le monde. Le réalisateur et acteur palestinien Mohamed Bacri, qui devait participer, a exprimé à la radio tunisienne sa frustration et a reproché au ministère des affaires culturelles tunisien d’avoir privé les Palestiniens de la possibilité d’exprimer leurs points de vue et de raconter leur narratif.
À l’inverse, le Festival d’El Gouna a assumé son rôle de solidarité et d’aide envers la Palestine. La section « Fenêtre sur le cinéma palestinien » a présenté plusieurs films, dont le remarquable « La porte du soleil » de Yousry Nasrallah, un film de 4 heures retraçant la Nakba de 1948 à 1996. De plus, plusieurs cinéastes palestiniens ont été invités à participer à diverses activités, notamment un panel consacré aux problèmes du cinéma palestinien.
Rencontres internationales et narratif palestinien
Au-delà de la programmation cinématographique, le festival a été une opportunité pour les cinéastes palestiniens de rencontrer des journalistes étrangers venus de France, d’Angleterre, d’Inde, et d’autres pays. Ces rencontres sont cruciales, offrant aux Palestiniens la possibilité de partager leur réalité souvent méconnue avec des médias internationaux.
Les cérémonies d’ouverture et de clôture ont été des moments forts, mettant en lumière la cause palestinienne à travers des chansons et des films. Les organisateurs ont imposé un dress code strict, contribuant à l’élégance et la solennité de l’événement: costume noir pour les hommes et robes de soirée sobres pour les femmes. Certains invités ont arboré des signes distinctifs palestiniens, comme la Keffieh, montrant ainsi leur solidarité. Quelques femmes ont revêtu des costumes traditionnels palestiniens. Des programmes spéciaux Palestine ont enrichi ces cérémonies, avec des artistes tels que la chanteuse palestinienne Elyanna qui a chanté « Branch of Olive » et le chanteur égyptien Abu qui a chanté « The world is blind » en ouverture, et le groupe égyptien Cairokee qui a interprété deux chansons engagées et dédiés à la Palestine : « Tilka Al-Qadiya » (Cette Cause) et « Ana Njim » (Je suis une étoile) en clôture.
Une soirée spéciale de collecte de fonds a été organisée pour soutenir les Palestiniens, mettant en avant la chanteuse tunisienne Ghalia Benali.
Le festival a également proposé des panels spéciaux, dont « Caméra en crise : un objectif sur la Palestine », avec des panélistes exclusivement palestiniens, explorant le rôle du cinéma palestinien et son avenir.
D’autres panels, tels que « Circulation et mobilisation : que peuvent faire les cinémas indépendants en temps de crise ? », ont mis en avant le rôle du Palestine Film Institut et du Palestine Film Plateforme, surtout en temps de crise. Les discussions ont également présenté le Palestine Cinema Days, initialement prévu à Ramallah mais organisé dans plusieurs pays à travers le monde en raison du conflit et « Regards de Palestine », organisé par Cinemadart à Tunis, un cycle de films autour de la Palestine, reversant l’ensemble des recettes au Croissant Rouge tunisien pour soutenir les Palestiniens de Gaza. Le panel a mis l’accent sur le rôle du cinéma pour manifester sa solidarité et aider ceux qui en ont besoin.
Un Festival au service de la Palestine
La décision intelligente des organisateurs du Festival d’El Gouna de maintenir l’événement en décembre 2023 et de le dédier à la Palestine a marqué un exemple puissant de solidarité concrète. La programmation cinématographique, les cérémonies, les rencontres internationales, et les panels ont tous contribué à donner une voix et une visibilité accrues à la cause palestinienne. Le festival a démontré que la véritable solidarité ne réside pas dans l’annulation d’événements culturels, mais dans le maintien de ces derniers, en offrant une tribune aux Palestiniens pour qu’ils puissent s’exprimer, imposer leur narratif, et partager leurs points de vue avec le monde. Au croisement du cinéma, de la solidarité internationale, et des rencontres culturelles, le Festival d’El Gouna 2023 restera dans les annales comme un exemple éclatant de l’impact positif que peut avoir la culture dans des moments de crise et de conflit.
Neïla Driss