InvitĂ© Ă une rĂ©ception donnĂ©e lors de la derniĂšre Ă©dition du Festival de Cannes, M. Serge Basilewsky, prĂ©sident de lâassociation «CinĂ© Croisette» qui organise le Festival du CinĂ©ma Tunisien Ă Cannes, a insistĂ© sur le succĂšs de la session de mars 2016 de cet Ă©vĂ©nement, succĂšs confirmĂ© par M. Franck Chikli, adjoint au maire de Cannes. Ce dernier a dâailleurs ajoutĂ© que cela avait suscitĂ© lâĂ©tonnement gĂ©nĂ©ral : le public, majoritairement français, Ă©tait venu en masse assister aux projections.
InterrogĂ© sur cet engouement du public europĂ©en pour le cinĂ©ma arabe, M.Frank Chikli a rĂ©pondu que d’aprĂšs lui, les EuropĂ©ens dĂ©couvrent la culture arabe et sont assoiffĂ©s de connaissance de cette culture. Il a ajoutĂ©: «Lorsque nous Ă©tions jeunes, nous adorions regarder les films de western amĂ©ricains, nous Ă©tions tous fans de John Wayne, et pourtant on ne peut pas dire que nous nous identifions Ă cette sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine lĂ , mais nous Ă©tions juste curieux, curieux de connaitre ce monde et cette pĂ©riode. Il en est de mĂȘme aujourdâhui avec les Arabes, nous sommes curieux de connaitre leur culture.»
Cette curiosité explique-t-elle à elle seule cet engouement ?
Ou bien existe-t-il dâautres raisons?
Le cinéma arabe serait-il devenu plus accessible et plus facile à comprendre par des non Arabes? Permet-il au spectateur étranger une identification plus aisée avec les personnages des films ?
Lors dâune interview, Ă une question posĂ©e par une journaliste qui lui demandait sâil ambitionnait de mener une carriĂšre internationale comme celle de son compatriote Omar Sharif, lâacteur Egyptien Khaled Abol Naga avait rĂ©pondu qu’en effet il le souhaitait, non pas en jouant dans des films Ă©trangers mais plutĂŽt en espĂ©rant que le cinĂ©ma arabe devienne international, ce qui serait possible si ce cinĂ©ma s’universalise. Il avait ajoutĂ© qu’il espĂ©rait que le cinĂ©ma arabe puisse s’exporter de plus en plus et que les thĂšmes traitĂ©s soient de plus en plus universels tout en gardant leurs particularitĂ©s.
Les films arabes qui ont laissĂ© le cotĂ© folklorique pour traiter de sujets universels sont ceux qui ont le plus de fortune Ă lâĂ©tranger, mĂȘme si, paradoxalement, parfois le succĂšs commercial nâest pas au rendez-vous dans leurs propres pays. Ces films se sont Ă©loignĂ©s des stĂ©rĂ©otypes, ils ne se focalisent plus sur «lâindigĂšne» dans son milieu «naturel», mais traitent de sujets universels, humains, et posent des questions que lâon se pose partout dans le monde.
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Affiche du film Ăgyptien « DĂ©cor »
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A titre dâexemples, on peut citer quatre films qui ont eu du succĂšs en Europe ces deux derniĂšres annĂ©es, soit auprĂšs du public d’Ă©vĂ©nements spĂ©ciaux, soit dans des festivals, et qui ont en commun le fait de traiter justement de thĂšmes universels : le film Palestinien «Eyes of the thief», le film Egyptien «DĂ©cor» et les deux films Tunisiens «Nhebbik HĂ©di» et «A peine jâouvre les yeux».
PrĂ©sente Ă la derniĂšre Ă©dition du Festival de Cannes, la rĂ©alisatrice Palestinienne Najwa Najjar a racontĂ© que son film «Eyes of the thief» a Ă©tĂ© projetĂ© dans plusieurs villes europĂ©ennes oĂč il a Ă©tĂ© trĂšs bien accueilli. Mais ce qui lui a fait Ă©normĂ©ment plaisir a Ă©tĂ© le grand succĂšs quâil a remportĂ© lors de sa programmation en avril dernier Ă Florence, en Italie, dans le cadre du Festival Middle East Now. Elle avait Ă©tait Ă©tonnĂ©e par le nombre de spectateurs venus assister Ă la projection. La salle de cinĂ©ma Ă©tait archicomble et le public italien Ă©tait enthousiasmĂ©.
«Eyes of a thief» est lâhistoire dâun rĂ©sistant Palestinien qui rentre chez lui aprĂšs 10 ans dâemprisonnement et qui part Ă la recherche de sa petite fille perdue.
Alors quâelle aurait pu montrer un combattant Palestinien hĂ©ros ou terroriste, la rĂ©alisatrice a prĂ©fĂ©rĂ© montrer un homme sensible et complexe. En rĂ©alitĂ©, bien quâon ait un bref aperçu de la vie quotidienne palestinienne, câest lâhumain qui prime dans ce film. Cette histoire qui a lieu en Palestine, dans un contexte trĂšs particulier, raconte avec beaucoup de subtilitĂ©, une histoire, des sentiments, des Ă©motions et des prĂ©occupations humaines, qui peuvent ĂȘtre partagĂ©s par tous.
Toujours Ă Cannes, une coorganisatrice du Panorama des CinĂ©mas du Maghreb et de Moyen-Orient Ă Paris, a racontĂ© avoir Ă©tĂ© aussi trĂšs surprise par lâimmense succĂšs du film Egyptien «DĂ©cor», du rĂ©alisateur Ahmed Abdallah, projetĂ© en avril dernier lors de la 11Ăšme Ă©dition du Panorama. Le succĂšs avait Ă©tĂ© tellement important que suite Ă la demande du public, une nouvelle projection avait Ă©tĂ© prĂ©vue pour le mois de juin.
Ce film aussi traite dâun thĂšme universel: le choix. Faire un choix de vie et l’assumer ou pas. A un moment de sa vie, tout ĂȘtre humain s’arrĂȘte et se pose des questions sur les dĂ©cisions quâil a prises, sur la volontĂ© et le pouvoir de les assumer et de continuer, ou de les changer. Et câest ce que fait Maha l’hĂ©roĂŻne de ce long-mĂ©trage.
Ce film, tournĂ© dâune façon trĂšs intelligente, oblige le spectateur Ă accompagner Maha dans ses questionnements en la suivant dans ses diffĂ©rentes vies, rĂ©elle et imaginaire, jusquâĂ ce quâelle dĂ©cide enfin de ce quâelle veut vraiment. «DĂ©cor» est sans aucun doute lâune des plus belles Ćuvres cinĂ©matographiques Ă©gyptiennes des derniĂšres annĂ©es.
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Affiche du film Tunisien « Nhebek HĂ©di«Â
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De mĂȘme son thĂšme universel explique peut-ĂȘtre la raison pour laquelle le film tunisien «Nhebbek Hedi» de Mohamed Ben Attaia, a Ă©tĂ© le premier film arabe sĂ©lectionnĂ©, depuis 20 ans, en compĂ©tition officielle du Festival International du Film de Berlin en 2016. Il y a dâailleurs mĂȘme remportĂ© deux prix.
Ce film raconte lâhistoire dâun jeune homme qui mĂšne une vie bien rangĂ©e, bien monotone, obĂ©issant aux rĂšgles sociales conventionnelles, laissant sa mĂšre, envahissante et autoritaire, et son frĂšre organiser son mariage, faire des choix pour lui et prendre des dĂ©cisions Ă sa place… Jusquâau jour oĂč il rencontre Rym qui, Ă lâopposĂ©, mĂšne une vie libre, insouciante et sans contraintes. Il vivra avec elle une relation amoureuse passionnelle et sera obligĂ© de faire des choix et enfin prendre ses propres dĂ©cisions.
«HĂ©di est finalement un personnage universel, un individu qu’il soit homme ou femme, opprimĂ© par la sociĂ©tĂ©. Ce personnage existe partout ailleurs avec la seule diffĂ©rence que les contraintes ne sont pas les mĂȘmes», a expliquĂ© Mohamed Ben Attaia
Pareillement, ce qui explique le succĂšs du film aux 25 rĂ©compenses quâest «A peine jâouvre les yeux» de la Tunisienne Leila Bouzid, est peut ĂȘtre le fait quâil montre justement aux EuropĂ©ens que nos jeunes Arabes ont les mĂȘmes aspirations que tous les jeunes du monde entier: la libertĂ©.
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Affiche du film tunisien « A peine j’ouvre les yeux »
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Bien que les Ă©vĂ©nements du film se dĂ©roulent dans un contexte particulier, Ă savoir la pĂ©riode juste avant la rĂ©volution, le thĂšme en lui mĂȘme est universel. Tous les jeunes, quelque soit leur pays, voudraient sâĂ©manciper de leurs parents et de la sociĂ©tĂ©, ĂȘtre libres et pouvoir s’exprimer sans retenue ni oppression. En rĂ©alitĂ©, tous vivent les mĂȘmes Ă©mois, dĂ©couvrent lâamour et le sexe, font face Ă la sociĂ©tĂ©, veulent sâaffirmer et faire leurs propres choixâŠ.
A lâinstar de tous ces jeunes, Farah, lâhĂ©roĂŻne du film dĂ©couvre le monde des adultes et se dĂ©bat avec les rĂšgles et entraves quâon veut lui imposer, aussi bien sur le plan familial, que sociĂ©tal ou politique. Elle essaye de sâaffirmer et de se libĂ©rer de tous ces liens quâon veut lui imposer. Et contrairement aux vĆux de ses parents qui voudraient la voir faire des Ă©tudes de mĂ©decine, elle veut devenir chanteuse. Farah veut faire entendre sa voix, aussi bien au sens propre quâau figurĂ©. Elle veut Ă©lever la voix comme le dit si bien Youssef Chahine dans son film «Al Massir».
Cet engouement pour le cinéma arabe a-t-il augmenté aprÚs les révolutions arabes ?
SĂ»rement. Ces rĂ©volutions ont permis de mettre sous les projecteurs ces peuples arabes dont les EuropĂ©ens ne connaissaient pas grand chose Ă part des stĂ©rĂ©otypes et des prĂ©jugĂ©s. Elles ont permis aux EuropĂ©ens de dĂ©couvrir que les Arabes ont les mĂȘmes soucis, aspirations, ambitions, rĂȘves et Ă©motions que tous les peuples du monde entier. Quâils veulent surtout se dĂ©barrasser du joug des dictatures et aspirent tout simplement Ă VIVRE !
Cet engouement ouvre-t-il de nouvelles perspectives pour le cinéma arabe? Se traduira-t-il par une plus grande distribution des films arabes dans les salles de cinéma de ces pays européens ou se limitera-t-il aux divers événements et festivals, donc juste à une certaine élite ?
Neila Driss
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