Présenté dans la section ACID au Festival de Cannes 2025, le film « Put Your Soul on Your Hand and Walk » a été suivi d’une conférence de presse marquée par les interventions de Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU, et de représentants d’ONG actives sur le terrain. Tous ont souligné l’importance de faire entendre la voix de Fatma et des Palestiniens, et dénoncé les mécanismes qui cherchent à réduire au silence les témoins de crimes.
Sous un soleil éclatant, ils étaient nombreux à s’être rassemblés au Pavillon Palestinien du Village International du Festival de Cannes pour assister à la conférence de presse bouleversante organisée par la cinéaste iranienne Sepideh Farsi, réalisatrice du documentaire Put Your Soul on Your Hand and Walk, présenté dans la sélection ACID au Festival de Cannes 2025. L’assistance, en très grande majorité occidentale, comprenait des journalistes et des cinéastes, dont l’acteur argentin Nahuel Pérez Biscayart, membre du Jury Un Certain Regard, venu témoigner de son soutien. Un événement à la fois politique et intime, marqué par une émotion vive, une indignation collective et un besoin urgent de témoignage.
Le point de départ de cette conférence était tragique : la photojournaliste palestinienne Fatma Hassouna, qui a travaillé avec Sepideh Farsi sur le film, a été assassinée par l’armée israélienne vingt-quatre heures seulement après l’annonce de la sélection du film à Cannes. « Elle a été tuée parce que le film a été sélectionné, et personne n’a rien fait », a déclaré Sepideh Farsi, ajoutant que c’était la première fois dans le monde qu’une personne était tuée en représailles directes à la sélection d’un film dans un festival de cinéma.
Sepideh Farsi a lu publiquement un extrait du rapport d’enquête sur l’assassinat de Fatma Hassouna. Le texte, bouleversant, démontre clairement qu’elle a été « visée exprès ».
À ses côtés, des voix engagées. Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les territoires palestiniens occupés, était présente, ainsi que des représentants de Reporters Sans Frontières, de Médecins Sans Frontières, d’Amnesty International, et d’autres ONG. Tous ont pris la parole. Tous ont dénoncé ce qu’ils qualifient clairement de génocide.
Francesca Albanese a ouvert son intervention par une déclaration lourde : « Au moment même où nous parlons, des Palestiniens sont en train d’être tués par centaines. Cela fait vingt mois de massacre non-stop. » Elle a exprimé son malaise à Cannes, en découvrant les festivités dans une ville qui semble vivre « dans une bulle », pendant que « des enfants palestiniens meurent de faim ». Venue pour soutenir la presse indépendante qui essaye de donner une voix aux palestiniens parce que les mainstream sont silencieux, elle a insisté sur le rôle crucial des journalistes dans la documentation des crimes commis, et sur le fait qu’ils sont aujourd’hui « délibérément ciblés ». Selon elle, Israël serait dans une « phase finale de l’extermination des Palestiniens, y compris en Cisjordanie ».
Elle a rappelé que « 200 journalistes ont été tués, plus que lors de la Seconde Guerre mondiale, plus que dans toute autre guerre au monde ». C’est, selon elle, un génocide manifeste : « Dès le début, l’intention a été l’extermination, et ils le disaient ouvertement. » Et de souligner que Gaza a mis à nu les failles des démocraties occidentales et le caractère « élastique » des droits humains. « Les droits de l’homme sont en train d’être tués, et ils nous manqueront quand ils ne seront plus là », a-t-elle conclu.
Un message de Ken Loach a été lu à cette occasion. Le réalisateur britannique, absent physiquement, a tenu à exprimer sa solidarité. Dans sa lettre, il rappelle que « le monde regarde, mais personne ne réagit ». Il insiste : « Tous les États ont l’obligation d’arrêter un génocide. Ils doivent agir. Ils disent respecter la loi, mais ils ne font rien. »
La représentante d’Amnesty International a ensuite pris la parole. Elle a rappelé que son organisation, qui documente la situation depuis vingt mois, a publié en décembre dernier un rapport concluant que « Israël commet un génocide », tel que défini par le droit international. Elle a décrit la situation à Gaza comme celle d’un peuple affamé, privé d’eau, d’électricité, de nourriture. « Israël est en train de détruire les mosquées, les églises, tout ce qui constitue la mémoire palestinienne. Il détruit aussi le futur, en attaquant écoles, universités, tout ce qui pourrait permettre une vie. »
Elle a affirmé que « tout est documenté », que « personne ne pourra dire qu’il ne savait pas ». Le monde, selon elle, est « à un carrefour », et les États échouent à agir, et cela restera dans les consciences. Elle a appelé à la fin de l’impunité et à un embargo sur les armes et à la responsabilité des États qui continuent à fournir Israël. « Netanyahou doit être traduit devant la justice. Aucune immunité. »
Un témoignage particulièrement fort est venu d’une membre de Médecins sans frontières, qui revenait tout juste de Gaza. Elle y a passé plusieurs mois, depuis décembre. Elle a décrit des conditions de vie inhumaines : « Les gens n’ont plus rien. Pas de travail, pas de nourriture, pas d’eau, pas de soins. Tout a été détruit. Les enfant seuls, sans familles, se comptent par milliers». Elle a expliqué que la population est déplacée en permanence, que les gens vivent avec des inconnus, qu’ils doivent brûler n’importe quoi pour faire du feu, faute de gaz, ce qui entraîne de nombreux brûlés. Et que la moitié des patients qui arrivaient dans les hôpitaux mourraient, faute de soins adaptés.
Elle a rappelé que depuis onze semaines, aucune aide n’est entrée dans Gaza. L’aide humanitaire est retenue à l’extérieur. Elle a précisé que lorsqu’il y avait de l’aide qui entrait à Gaza, plusieurs produits étaient interdits, y compris le matériel médical.
« Contrairement aux allégations d’Israël, l’aide n’allait pas au marché noir, elle était réellement distribuée par les ONG. » Aujourd’hui, Israël veut imposer la distribution de l’aide uniquement dans le Sud, dans le but de forcer les déplacés à s’y concentrer. « 80 % du territoire est sous ordre d’évacuation, il ne reste que 20 % pour tout le monde, sans eau, sans sanitaires, sans hygiène, et toujours sous les bombes. »
Elle a décrit la situation dans les hôpitaux : médecins exténués, médecins étrangers bloqués à l’entrée, ONG empêchées d’agir, plus de matériel, plus de médicaments, plus rien. « Nos collègues palestiniens travaillent jour et nuit alors qu’ils vivent dans les mêmes conditions que tous, qu’ils ont faim et que leurs familles sont sous les bombes. »
Le drame de Fatma Hassouna a été abordé à nouveau : six membres de sa famille sont morts sur le coup, sa mère a survécu mais, en ouvrant les yeux, a refusé de se nourrir. « Elle ne voulait plus vivre », a-t-elle dit.
Le représentant de Reporters Sans Frontières a poursuivi : « Chaque fois qu’un journaliste est tué, il faut faire du bruit. Or, cela fait vingt mois que les journalistes sont tués en permanence. » RSF a porté plainte, mais l’impunité persiste. « C’est grâce aux journalistes que le monde voit ce génocide. » Il s’est indigné qu’on pose aujourd’hui la question à chaque fois qu’un journaliste est tué : « Êtes-vous sûr que ce journaliste n’était pas un terroriste ? » Une question dangereuse, selon lui, qui alimente la violence.
« Fatma était une photojournaliste. Grâce à elle, nous voyons Gaza. Elle a payé de sa vie. Elle n’a pas été la dernière. Il faut que cela cesse. Chaque personne dans le monde doit dire NON. »
Sepideh Farsi a tenu à rappeler que le combat pour la Palestine ne devait pas être assimilé à une hostilité envers d’autres peuples. « Se battre pour une cause n’empêche pas de se battre pour une autre. Parler pour la Palestine ne fait pas de nous des antisémites. Il s’agit simplement de défendre des vies humaines. »
Elle a évoqué les mandats d’arrêt contre Netanyahou et d’autres responsables israéliens. Elle espérait qu’ils changeraient les choses. Fatma lui avait dit que non. Et en effet, « cela n’a rien changé ».
C’est le réalisateur Rashid Masharawi, né et grandi à Gaza, qui a conclu l’événement. En contact permanent avec sa famille, il a partagé un échange récent avec son frère. Ce dernier vit avec trente personnes dans un appartement. On leur a ordonné d’évacuer. Il doit décider pour tous: « Rester et risquer d’être tués ou partir et risquer d’être tués. » Une responsabilité qu’il a peur d’assumer.
Il a évoqué un programme d’aide mené avec la productrice Laura Nikolov pour faire sortir une trentaine d’artistes de Gaza, mais la majorité reste livrée à elle-même. « Nous aimons la vie. Cela finira un jour. Mais il restera une honte pour certains pays qui ont permis, et même aidé, à cela. »
Rashid a aussi dénoncé la régression démocratique. Il a évoqué les États-Unis, mais aussi la France : « Cette conférence devait avoir lieu au Majestic. Sans raison, elle a été annulée. Heureusement, le Pavillon palestinien nous a ouvert ses portes. »
Francesca Albanese est intervenue une dernière fois pour rappeler que les humanitaires et les acteurs privés ne pouvaient pas être les seuls à agir : « Il faut un engagement politique ». Elle a insisté sur l’anormalité d’une situation où ceux qui dénoncent sont systématiquement combattus – que ce soit à titre personnel ou à travers la suppression des financements de leurs ONG. « Ce n’est pas normal », a-t-elle répété. Elle a également évoqué les entraves documentées à la liberté d’expression : les interdictions de manifester en faveur des Palestiniens, y compris en France, et la répression violente subie par les étudiants aux États-Unis. « Beaucoup ont été poussés au silence pour avoir dénoncé un génocide. Or c’est bien un génocide. »
La conférence s’est conclue par un remerciement appuyé à l’ACID, aux journalistes qui ont relayé la voix de Fatma, et à tous ceux qui ont fait le choix de ne pas se taire.
Le film Put Your Soul on Your Hand and Walk a été projeté à Cannes à guichets fermés, dans des salles combles. Le public y était très nombreux, attentif et profondément touché. La presse internationale s’est emparée du film et de son histoire, lui offrant une large couverture. Fatma Hassouna avait dit qu’elle voulait que sa mort fasse du bruit. Israël l’a assassinée pour que sa voix ne porte pas. Or, c’est l’inverse qui s’est produit : sa voix est devenue plus forte. Selon le vendeur international du film, celui-ci a déjà été demandé par plusieurs festivals et distributeurs, et il sortira prochainement dans de nombreux pays.
Neïla Driss