Ne jouons pas à l’autruche ni ne nous cachons la tête sous un tapis : si la Tunisie était une entreprise, elle serait tout simplement en faillite. Notre bon vieux pays serait tout bonnement déclaré insolvable, criblé de dettes et acculé au dépôt de bilan.
Je crois que pratiquement tous les Tunisiens pressentent cette évidence et, heureusement pour nous, la Tunisie n’est pas astreinte aux rigoureux critères qui président à la vie et la mort des entreprises.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment un pays en état de marche (mais gangréné par la corruption) se retrouve-t-il quasiment en cessation de paiement en cinq ans ? Pourquoi les escarmouches politiques et sociales continuent-elles malgré les urgences auxquelles nous invite la fragilité de notre situation ?
PRINCES WAHABITES, COWBOYS TEXANS ET GRANDS ARGENTIERS
Si la Tunisie était une entreprise, elle aurait été déclarée en faillite depuis longtemps… Elle aurait disparu ou aurait été obligée de fusionner avec une entité plus grande. Elle aurait dû mettre un genou à terre et se soumettre à plus fort et plus riche qu’elle, qu’il soit un prince wahabite, un cowboy texan ou un grand argentier. Elle aurait un destin d’Etat phagocyté de l’intérieur, bouffé par ses propres enfants.
Le constat est amer et, hier encore, des affrontements entre clans sudistes nous suggèrent que notre pays replonge dans les querelles tribales. Feutrée, tue, éludée, la discorde politique continue à régner sur fond de coups de poignards dans le dos au sein d’une majorité incompatible. Et la fuite en avant continue…
Pressions sociales surgies de partout, déclarations belliqueuses venant du camp des semeurs de peur, avènement de nouveaux seigneurs de la corruption et, parfois, crises de folie meurtrière comme celle qui s’est emparée de ce militaire de Bouchoucha et qui nous remet en mémoire cette autre fusillade qui, en 1985, avait vu un policier ouvrir le feu sur trois fidèles juifs abattus devant la Ghriba de Djerba. A l’époque aussi, on avait parlé de troubles mentaux et d’un meurtrier malgré lui, influencé par des émissions de radio diffuses à partir de la Libye…
Si la Tunisie était une entreprise, nous serions en train de mettre la clé sous la porte en baissant le rideau… La Troika a grassement compensé « les souffrances de ses militants » en les faisant profiter de ses largesses au détriment du trésor public. Les syndicats accentuent leur pression sur des caisses vides avec un gouvernement qui fait mine de gérer tout en étant complétement déboussolé et livré à la merci de cette junte barbue qui dicte ses desiderata à un Etat à genoux.
LA START-UP DE MEHDI JOMAA ENTERRÉE PAR LES BUREAUCRATES
Si la Tunisie était une entreprise, elle aurait ce sursaut d’orgueil qui consisterait à demander des comptes à ceux qui se bousculent au portillon des responsabilités pour se contenter ensuite, du haut de leurs maroquins, d’avouer leur impuissance.
Dans une entreprise, ils auraient été nombreux à avoir été virés sans espoir de retour. Ils auraient été nombreux ceux mis à l’index pour une gestion laxiste ou des ordres venus d’ailleurs. Ils auraient été démasqués les coupables de délits d’initiés et autres dérives impardonnables. Ils auraient été nombreux à se voir rappeler à l’ordre les « cavaliere » peu soucieux du service public, ces fossoyeurs inavoués de la république tunisienne.
Que faire alors au lieu de se complaire dans ces litanies éplorées, sur fond de turpitudes ?
Peut-être est-il encore temps de faire renaitre le rêve de start-up de Mehdi Jomaa, une start-up couveuse de démocratie et soucieuse d’une économie équitable ?
Peut-être est-il temps de reconnaitre que la bureaucratie reste toujours trop puissante ? Après tout, ce pauvre Bouazizi en s’immolant ne faisait que hurler son exaspération face à une bureaucratie qui punit… Par certains aspects, la Tunisie continue à ressembler à ces anciens pays communistes qui punissaient l’initiative, faisaient de leur mieux pour l’anesthésier, l’annihiler.
Faudrait-il souligner qu’une bureaucratie souveraine est un indice de sous-développement, une caractéristique bien tiers-mondiste ? Tout comme d’ailleurs la crasse partout, les mendiants en guenilles sur les avenues huppées et le commerce informel qui campe dans les villes. Tout cela « travaille » à l’effritement de l’Etat.
QUAND L’ESPRIT D’ENTREPRISE EST AU SOMMET DE L’ETAT
A contrario, il faut savoir regarder les exemples venus d’ailleurs. Comme en Chine ou au Vietnam, des pays qui ont une philosophie d’entreprise et qui agissent dans la complexité du monde actuel. Dans ces pays, l’esprit d’entreprise est au sommet de l’Etat mais pas chez nous, un petit pays dans lequel tout le monde s’amuse, impunément, à marquer contre son propre camp.
Si la Tunisie était une entreprise, nul doute qu’elle serait en grand danger car en perte d’éthique, de repères et de projet. Une Tunisie livrée à un peuple en voie d’hilalisation et en quête de leaders pleinement engagés. Une Tunisie écartelée entre son rêve révolutionnaire, une crise sans précédent, une classe politique en mal de patriotisme et la terreur intégriste qui menace de tout emporter…