C’est une excellente nouvelle pour le monde arabe, pour les passionnés de cinéma, mais aussi pour le Festival de Cannes lui-même : l’Égypte fait son grand retour au Marché du Film de Cannes à travers un pavillon national commun, fruit d’une collaboration entre trois piliers du secteur cinématographique égyptien — le Festival international du film du Caire (CIFF), le Festival du film d’El Gouna (GFF) et la Commission Égyptienne du Film (EFC). Cette initiative, qui prendra place lors de la 78e édition du Festival de Cannes, marque un moment important dans la redéfinition de la place de l’Égypte dans l’industrie cinématographique mondiale.
Il faut rappeler que le Festival de Cannes, est aujourd’hui le rendez-vous cinématographique le plus prestigieux au monde, tant pour les sélections artistiques que pour son Marché du film, créé en 1959 et devenu le plus grand au monde. Selon les données officielles du Marché, en 2024, ce dernier a accueilli 15 000 professionnels du cinéma venus de tous les continents : producteurs, distributeurs, programmateurs, acheteurs, institutions, journalistes. Être présent à Cannes, c’est exister sur la carte mondiale du cinéma.
Pendant trop longtemps, l’absence du cinéma égyptien à Cannes avait de quoi surprendre, voire attrister. Car il ne s’agit pas de n’importe quel cinéma : l’Égypte détient la plus longue et la plus riche tradition cinématographique du monde arabe, une industrie fondée dès les premières décennies du XXe siècle, qui a produit des milliers de films, façonné des générations d’acteurs et de cinéastes, et irradié toute la région par sa créativité, sa diversité et son rayonnement culturel. Pendant des décennies, elle a été surnommée « le Hollywood du Nil » ou encore « la mère du cinéma arabe ».
Et pourtant, cette présence s’était amenuisée ces dernières années, et l’on ne pouvait que constater avec regret la discrétion, voire l’absence, de l’Égypte à Cannes, que ce soit en termes de films en sélection officielle ou de représentation institutionnelle. Ce pavillon national, organisé conjointement par les trois entités les plus influentes du pays, vient donc réparer cette anomalie, et marquer un retour stratégique, concerté et ambitieux.
Fait du hasard ou signe du destin, ce retour au Marché du film coïncide avec une année exceptionnelle pour le cinéma égyptien à Cannes. Pour la première fois depuis plusieurs années, deux films liés à l’Égypte figurent dans les sélections officielles : en section Un Certain Regard, le film Aisha Can’t Fly Away Anymore du jeune cinéaste Morad Mostafa a été sélectionné ; et en Compétition officielle, c’est le réalisateur suédois d’origine égyptienne Tarik Saleh qui représentera son nouveau film Les Aigles de la République. Une présence artistique qui vient renforcer et justifier pleinement ce retour institutionnel tant attendu.
Un pavillon commun pour relancer une présence nationale
Installé au cœur du Marché du Film, ce Pavillon égyptien unifié aura plusieurs objectifs : il s’agira d’un espace de visibilité pour les projets égyptiens en développement ou en production, d’une plateforme de dialogue avec les professionnels internationaux, et surtout d’un symbole de rassemblement pour toute la filière cinématographique égyptienne.
Il accueillera une série d’événements variés :
• Des tables rondes sur l’avenir du cinéma arabe et égyptien, où interviendront des professionnels venus d’Égypte, du monde arabe et d’ailleurs pour échanger sur les défis du secteur, les perspectives de production et les enjeux de circulation des œuvres.
• Des rencontres de réseautage, sous forme de réceptions informelles, destinées à favoriser les connexions entre réalisateurs, producteurs, distributeurs et institutions culturelles internationales.
• Des discussions professionnelles ciblées, qui auront pour but de :
- Renforcer la collaboration entre les festivals de cinéma égyptiens et arabes, en mettant notamment en place des échanges de programmations, des soutiens conjoints à la distribution ou des formations croisées.
- Soutenir les cinéastes en explorant les opportunités de coproductions, notamment en facilitant les mises en relation avec des fonds européens, des producteurs du Sud ou des partenaires asiatiques.
- Encourager les jeunes talents égyptiens, en leur offrant des espaces de pitch, des retours sur projets et des perspectives concrètes de collaboration avec des décideurs internationaux.
Le projet ne se contente pas de redorer une image : il vise à renforcer les dynamiques concrètes, notamment à travers le soutien aux coproductions, la valorisation des talents émergents, et la promotion de l’Égypte comme destination de tournage. Avec plus de 60 productions internationales récemment accueillies sur son territoire, l’Égypte retrouve également une position attractive dans le domaine du tournage, que la Commission égyptienne du film, récemment revitalisée, entend pleinement soutenir.
Le Festival du Caire, pilier historique
Si cette initiative est commune, elle est aussi portée avec une conviction forte par le Festival international du film du Caire, fondé en 1976 et seul festival du monde arabe et d’Afrique reconnu par la FIAPF. Dans cette nouvelle phase de rayonnement, le CIFF entend jouer un rôle central, non seulement comme vitrine du cinéma égyptien, mais aussi comme acteur diplomatique de la culture cinématographique arabe.
Son président, l’acteur et cinéaste Hussein Fahmy, n’a pas manqué de souligner la portée symbolique et stratégique de ce retour:
« Nous sommes ravis de voir l’Égypte effectuer un retour fort au Marché du film de Cannes à travers un pavillon national qui réunit les deux principaux festivals du pays, aux côtés de la Commission égyptienne du film. À travers ce pavillon, nous visons à mettre en lumière le cinéma égyptien – contemporain comme classique – en offrant une image distinguée de l’Égypte après une longue absence. »
Ce retour passe aussi par une mise en avant du patrimoine cinématographique égyptien, l’un des plus riches du continent africain et du monde arabe, avec des cinéastes emblématiques comme Youssef Chahine, Chadi Abdel Salam, ou plus récemment Marwan Hamed ou Mohamed Diab. Le pavillon proposera également des discussions sur la valorisation de cette mémoire cinématographique, et sur les manières de mieux intégrer ce patrimoine dans les circuits de distribution et de restauration internationaux.
Une ambition partagée
Le Festival d’El Gouna, plus jeune mais déjà incontournable depuis sa création en 2017, apporte quant à lui une énergie nouvelle, une ouverture vers le cinéma indépendant, et une vision moderne du rôle des festivals dans le soutien aux jeunes talents. À travers sa CineGouna Platform, le GFF travaille activement au développement de projets arabes à fort potentiel, et cette participation à Cannes en partenariat avec le CIFF et l’EFC traduit un alignement des ambitions et une vision collective.
Du côté de la Commission égyptienne du film, rattachée à la Egyptian Media Production City, la volonté est claire : positionner l’Égypte comme une destination de tournage internationale, en mettant en avant ses paysages, son patrimoine, mais aussi ses infrastructures techniques et humaines.
Ce retour au Marché du film de Cannes est donc bien plus qu’un simple stand : il s’agit d’une déclaration d’intention forte. L’Égypte ne veut plus être un souvenir glorieux du cinéma arabe, elle veut en être à nouveau le moteur.
Ce pavillon commun, né d’une volonté collective, annonce peut-être une nouvelle ère pour le cinéma égyptien. Il rappelle à tous que ce pays, qui fut longtemps la capitale du septième art arabe, a toujours des histoires à raconter, des talents à révéler, et un rôle majeur à jouer sur la scène mondiale.
Neïla Driss