La semaine dernière, une vendeuse dans une boutique m’avait répondu que chez eux, les tailles s’arrêtaient au 42 et que leurs clientes mangeaient « light ». En réalité, très souvent on me fait cette remarque : « chez nous, on s’arrête à la taille 42 ». Comme si les femmes qui portent plus que cette taille 42 n’existaient pas. Or elles existent. Nous existons. J’existe.
En fait, l’industrie de la mode semble depuis plusieurs années, être prisonnière d’une obsession pour les tailles standards, marginalisant ainsi celles qui ne rentrent pas dans ces normes préétablies.
Il est aberrant que les fabricants de vêtements et de chaussures continuent à ignorer la diversité des morphologies féminines en se limitant à des tailles standards, souvent petites, voire même très petites. Que peuvent faire celles qui ne correspondent pas à ces critères? Les femmes en surpoids, ou très grandes de taille, ou celles avec de petits ou grands pieds, se trouvent souvent confrontées à un marché qui les ignore.
Pourquoi devrions-nous standardiser les gens? Chacune devrait avoir le droit de s’exprimer à travers sa tenue sans être limitée par des tailles restrictives. Cette exclusion des femmes hors normes est un sujet urgent qui nécessite une remise en question de l’industrie de la mode.
En plus, dans les rares magasins spécialisés en grandes tailles ou en chaussures extrêmes, les options proposées sont souvent décevantes. Les modèles disponibles sont trop classiques, voire démodés, ne permettant pas aux femmes hors normes de suivre les tendances de la mode et de s’habiller comme elles le souhaiteraient. C’est comme si on devait les punir de ne pas entrer dans un moule.
Pourquoi ces personnes hors normes ou tailles standards ne pourraient-elles pas être élégantes et sexy? L’esthétique ne devrait pas être réservée à une seule catégorie de personnes. Les magasins spécialisés doivent repenser leurs collections, offrant des vêtements modernes et élégants pour toutes les morphologies.
Il m’est personnellement arrivé d’essuyer des remarques désobligeantes de vendeuses peu respectueuses et non professionnelles parce que ne correspondant pas à ces normes établies et ne rentrant pas dans ces tailles standards du 36/40. Et cela un peu partout, dans plusieurs pays du monde, essentiellement en Europe et en Tunisie.
Ces expériences désagréables, bien que personnelles, illustrent une réalité universelle : la stigmatisation des femmes hors normes, souvent accompagnée de préjugés sur leur mode de vie. On leur reprocherait presque de ne pas savoir se comporter et prendre soin d’elles-mêmes, après tout ces personnes ne savent pas manger équilibré et « light », elles ne savent pas faire du sport, elles n’ont aucune volonté… Parfois ces préjugés de poids et d’apparence peuvent influer sur la vie de ces personnes, par exemple sur leur embauche dans certains emplois… On oublie que souvent ces gens en surpoids, peuvent avoir des problèmes de santés, ou qu’il s’agit de leur morphologie naturelle. D’ailleurs que dire pour les personnes trop petites ou trop grandes, ayant de tout petits pieds ou au contraire de très grands pieds. Que peuvent-elles faire contre la nature ?
La remarque de la semaine dernière, appuyant le fait que « leurs clientes mangeaient light », et donc à contrario pas moi, m’a rappelée une anecdote rapportée par la sociologue marocaine Fatema Mernissi, relatée dans son livre « Le Harem et l’occident » : dans un grand magasin de New York, elle avait voulu s’acheter une jupe, mais la vendeuse lui avait fait remarquer que ses hanches trop larges ne lui permettaient pas de trouver une jupe à sa taille dans ce grand magasin. Elle lui avait expliqué que les tailles 36 et 38 sont la norme, voire l’idéal, et que les tailles hors norme, notamment la sienne, ne sont disponibles que dans des magasins spécialisés.
Le livre de Fatema Mernissi aborde cette question avec une profondeur critique. La sociologue marocaine, met en lumière les défis auxquels sont confrontées les femmes qui ne se conforment pas aux normes établies par la société.
Elle exprime son indignation face à cette norme arbitraire qui dévalue soudainement ses hanches, auparavant perçues comme le signe d’une maturité épanouie. Elle soulève la question fondamentale : qui décide de ce qui est normal? Elle conteste les règles établies et interroge la vendeuse sur la légitimité de la norme de la taille 38.
La vendeuse explique que la norme ou la taille idéale est dictée par ce qu’on trouve partout, dans les magazines, à la télévision, sur les affiches, et par les grands noms de la mode. Fatema Mernissi interroge alors le concept de normalité et souligne l’influence des médias et de l’industrie de la mode dans la définition des normes corporelles.
Par la suite, l’auteure élargit son propos en évoquant la manière dont l’Occident impose des normes esthétiques. Elle critique la focalisation sur la jeunesse et la minceur, dénonçant le fait que la beauté idéale est associée à des critères inatteignables pour la majorité des femmes. Elle rappelle que selon l’écrivain Naomi Wolf, le poids des top models, images contemporaines de la beauté idéale, ne cesse de s’éloigner du poids de la population féminine dans son ensemble: « Il y a une génération, le poids du mannequin moyen était environ 8 % inférieur à celui de l’Américaine moyenne. Aujourd’hui la différence est de 23 % [ … ]. Ce rétrécissement de la silhouette idéale est à l’origine de l’accroissement des cas d’anorexie et autres problèmes de santé ».
Par ailleurs, la sociologue constate qu’en occident, l’industrie de la mode est contrôlée par les hommes, qui imposent leurs règles aux femmes et les enferment dans un « harem », différent du harem oriental, n’imposant pas un enfermement dans l’espace, mais imposant un enfermement dans un « idéal » esthétique.
Fatema Mernissi fait par ailleurs référence à la théorie de Pierre Bourdieu sur la « violence symbolique », expliquant comment des normes corporelles sont imposées par la société et acceptées spontanément par les femmes, contribuant à maintenir une forme de domination sur elles.
En fin de compte, l’auteure conclut que cette oppression, bien que peu visible, est réelle et se manifeste à travers des codes corporels qui paralysent l’aptitude des femmes à accéder au pouvoir. Elle dénonce la pression constante sur l’apparence physique des femmes et son impact sur leur confiance en elles, soulignant que la fixation sur la minceur est davantage liée à un désir d’obéissance qu’à une obsession de la beauté.
La réflexion de Mernissi invite à remettre en question les préjugés profondément enracinés et à promouvoir une acceptation de la diversité des corps et à une émancipation de la domination des hommes à travers ces codes imposés.
Il est temps de dénoncer cette domination et s’en libérer. L’injustice vestimentaire persistante envers les femmes hors normes ne peut être ignorée. Il est impératif que l’industrie de la mode évolue vers une approche plus inclusive, abandonnant les tailles standardisées au profit d’une variété de choix répondant à toutes les morphologies. La diversité mérite d’être célébrée, et chaque femme, quelle que soit sa taille, devrait avoir le droit de s’exprimer librement à travers la mode sans subir de stigmatisation. Il est temps de mettre fin à la tyrannie de la taille unique et d’embrasser la beauté sous toutes ses formes.
Neïla Driss
