PrĂ©sentĂ© en sĂ©lection officielle au Festival de Cannes, « Les Filles d’Olfa » offre une expĂ©rience cinĂ©matographique captivante et thĂ©rapeutique. Ce film explore l’histoire d’une mère courageuse et de ses filles, abordant les thèmes de la justice, de la rĂ©silience et de l’amour familial, tout en mettant en lumière les rĂ©alitĂ©s complexes de la sociĂ©tĂ© tunisienne.
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Depuis qu’il a été annoncé en sélection officielle long métrage à la 76ème édition du festival de Cannes, Les filles d’Olfa, réalisé par Kaouther Ben Hania est attendu avec impatience et fierté par tous les tunisiens. D’abord parce qu’il s’agit de la première sélection d’un film tunisien en compétition officielle depuis 1970, ensuite parce que cette jeune réalisatrice a le don d’étonner à chaque fois. D’ailleurs, quelle sera sa proposition cette fois-ci?
En rĂ©alitĂ©, Les Filles d’Olfa est une Ĺ“uvre difficile Ă dĂ©finir catĂ©goriquement. Est-ce un documentaire ? Est-ce de la fiction ? Est-ce un making-of ? Le film est une fusion rĂ©ussie de tous ces Ă©lĂ©ments, un vĂ©ritable hybride qui mĂ©lange les genres avec brio.
Avec Les Filles d’Olfa, Kaouther Ben Hania continue d’explorer de nouvelles formes cinĂ©matographiques, faisant preuve d’une audace et d’une originalitĂ© sans pareil. Son travail d’architecture dans la construction de ses films lui confère une place de choix tant au niveau national qu’international. Une fois de plus, elle nous prouve qu’elle est une rĂ©alisatrice talentueuse, capable de repousser les limites du cinĂ©ma et de crĂ©er des Ĺ“uvres captivantes et uniques.
Depuis ses dĂ©buts, Kaouther Ben Hania n’a cessĂ© d’expĂ©rimenter de nouvelles structures dans ses films. Du faux documentaire avec Le Challat de Tunis (SĂ©lection ACID 2013), Ă la fausse fiction avec Zeineb n’aime pas la neige (Tanit d’Or aux JCC 2016), en passant par les neufs chapitres en plans sĂ©quences de La Belle et la Meute (Un certain regard 2017), elle a toujours cherchĂ© Ă repousser les limites du cinĂ©ma. Son esthĂ©tique singulière dans L’Homme qui a vendu sa peau, rappelant des tableaux de peinture, a certainement contribuĂ© Ă lui valoir une nomination Ă l’Oscar du Meilleur film international en 2021.
Avec une filmographie aussi remarquable, les attentes autour de ses nouveaux projets sont Ă©levĂ©es, les dĂ©fis Ă relever toujours plus grands. Pourtant, une fois de plus, Kaouther Ben Hania rĂ©ussit Ă surprendre avec Les Filles d’Olfa. Comme mentionnĂ© prĂ©cĂ©demment, ce film nous plonge dans une histoire difficile Ă dĂ©finir, mĂŞlant documentaire, fiction et making-of. Il offre Ă la fois un rĂ©cit authentique de la vie d’Olfa et de ses quatre filles et une thĂ©rapie pour elles, ainsi qu’une expĂ©rience cinĂ©matographique intense pour tous les spectateurs et mĂŞme pour des acteurs confirmĂ©s tels que Hend Sabry et Majd Mastoura, qui ont eu le courage d’y participer.
Cette aventure a commencĂ© en 2016, lorsque Kaouther Ben Hania a Ă©tĂ© captivĂ©e par la façon dont Olfa racontait son histoire Ă la radio. Sa manière d’exprimer ses pensĂ©es et ses Ă©motions a marquĂ© la rĂ©alisatrice, qui a immĂ©diatement perçu en elle un personnage cinĂ©matographique intĂ©ressant. Elle a dĂ©cidĂ© de la contacter avec l’intention de rĂ©aliser un documentaire sur son histoire. Cependant, une fois le tournage commencĂ©, la rĂ©alisatrice a ressenti le besoin de repenser le format initial du film. C’est ainsi que le projet a Ă©voluĂ© vers une forme hybride, oĂą les frontières entre les genres ont commencĂ© Ă s’estomper. «J’avais un personnage intĂ©ressant et je n’avais pas envie qu’Olfa raconte. Par ailleurs souvent mes acteurs, sur les tournages me demandent les motivations des personnages, lĂ les acteurs pouvaient directement demander. J’avais aussi besoin des acteurs pour poser les questions et j’avais envie de revisiter la mĂ©moire d’Olfa et ses filles et comprendre ce qu’il s’est passé » a dĂ©clarĂ© la rĂ©alisatrice.
Dès les premières images du film, Kaouther Ben Hania explique sa dĂ©marche. Elle souhaite raconter une histoire vraie, celle d’Olfa et de ses deux filles disparues, « mangĂ©es par le loup », tout en comblant le vide laissĂ© par leur absence. Deux actrices professionnelles se glissent ainsi dans leurs rĂ´les, apportant une nouvelle dimension Ă l’histoire. Pour Ă©pauler Olfa et la remplacer occasionnellement, Hend Sabry, fait Ă©galement partie du casting. En rĂ©alitĂ©, les trois actrices sont prĂ©sentes non seulement pour incarner des rĂ´les, mais aussi pour aider, ĂŞtre un miroir et mĂŞme une conscience, pour Olfa et ses filles. Cette structure a surement contribuĂ© Ă rendre le film unique et intĂ©ressant. Non seulement il permet de rendre l’histoire de cette famille plus captivante, mais il permet Ă©galement une rĂ©flexion et une remise en question, en permettant aux protagonistes de s’y voir de l’« extĂ©rieur ».
Tout au long du film, on fait la connaissance de cette famille et on pĂ©nètre son intimitĂ© Ă travers les anecdotes, les confidences et les reconstitutions. On dĂ©couvre l’histoire tragique d’une femme forte, porteuse d’une certaine violence, mais aussi d’un amour profond pour ses filles. Elle aspire Ă les Ă©lever correctement, mais elle Ă©choue. Elle incarne les contradictions de la sociĂ©tĂ© arabo-musulmane tunisienne, qui n’a pas rĂ©ussi Ă se dĂ©faire de son conservatisme et de ses superstitions pour s’adapter pleinement au monde actuel. On dĂ©couvre Ă©galement une famille meurtrie par la disparition de deux de ses filles aĂ®nĂ©es, Rahma et Ghofrane.
ProfondĂ©ment tunisien, Les Filles d’Olfa est un film qui explore les rĂ©alitĂ©s complexes de la sociĂ©tĂ© tunisienne, mettant en lumière les traumatismes individuels et collectifs, ainsi que les luttes personnelles et sociĂ©tales.
Par exemple, Olfa, le personnage central du film, qui a toujours Ă©tĂ© mĂ©fiante envers les hommes, essayant de protĂ©ger ses filles d’eux, reproduisant tous les interdits liĂ©s au corps et Ă la « pudeur » dĂ©clare, lorsqu’elle a Ă©tĂ© amoureuse et heureuse, avoir fait sa rĂ©volution en se dĂ©barrassant de certaines idĂ©es conservatrices. Paradoxalement Ă ces idĂ©es, elle ramène chez elle son amant Wissem, et le loge chez elle. Il profite de la situation et abuse des filles. Une scène particulièrement Ă©mouvante montre l’une des jeunes filles raconter comment l’amant de sa mère l’a abusĂ©e, mais elle lui pardonne car il a Ă©tĂ© une figure paternelle pour elle. Quelle souffrance est dĂ©gagĂ©e de cette scène !! Cette jeune fille pardonne Ă son violeur, juste parce qu’il a su remplacer pour elle le père absent. C’est incroyable !
Les filles d’Olfa aborde Ă©galement la question de la jeunesse tunisienne en quĂŞte de repères et d’un avenir. On voit les jeunes suivre diffĂ©rents mouvements, sans savoir rĂ©ellement ce que cela leur apportera. Le film permet de mieux comprendre la sociĂ©tĂ© tunisienne et les choix de certains individus. Il Ă©claire sur la façon dont certains peuvent ĂŞtre bernĂ©s ou embrigadĂ©s.
Le film tente de comprendre pourquoi ces deux jeunes filles ont pu se laisser endoctriner et partir ainsi. À travers leur histoire, il offre peut-être une explication pour tous ces jeunes hommes et jeunes filles qui partent soudainement sans prévenir. Il invite à une réflexion profonde sur les motivations et les influences qui conduisent à de telles décisions.
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Écouter ces jeunes, leur donner la parole, est un Ă©lĂ©ment central du film qui interroge le point de vue de tous les personnages, mettant en lumière leurs failles et leurs contradictions d’une manière magnifique.
Kaouther Ben Hania offre une Ĺ“uvre puissante et captivante, oĂą les frontières entre la rĂ©alitĂ© et la fiction s’estompent pour mieux plonger le spectateur dans une rĂ©flexion profonde sur les thèmes universels de la famille, de l’amour et de la rĂ©silience.
MĂŞlant documentaire, fiction et thĂ©rapie, il est lĂ©gitime de se demander quelle part du film est rĂ©elle et quelle part est Ă©crite. La diffĂ©rence par rapport Ă un docufiction classique rĂ©side dans la prĂ©sence des vĂ©ritables protagonistes qui racontent, dirigent et conseillent les acteurs. Sans oublier qu’il y a une rĂ©elle interaction entre eux, ajoutant une dimension d’authenticitĂ© et de vĂ©ritĂ© Ă l’ensemble. En plus, les actrices, surtout Hend Sabry posent souvent des questions, ou font des remarques, qui permettent Ă Olfa et ses filles de se remettre en question, de voir les choses sous un angle diffĂ©rent.
La dĂ©cision de cette mère de livrer sa famille, parfois avec des dĂ©tails intimes, au public soulève une autre question lĂ©gitime : pourquoi le fait-elle ? Pourquoi se dĂ©voile-t-elle ainsi ? Lors de la confĂ©rence de presse qui a succĂ©dĂ© Ă la projection, elle rĂ©pond en disant qu’elle le fait pour dĂ©fendre une cause. En tant que grand-mère d’une petite fille de huit ans, emprisonnĂ©e dans un pays Ă©tranger, elle lance un appel Ă toutes les ONG de dĂ©fense des droits de l’homme et Ă tous les militants engagĂ©s pour agir en faveur de ces enfants qui ne devraient pas payer pour les actes de leurs parents. Elle souhaite Ă©galement que ses filles et tous ceux qui sont partis avec elles soient rapatriĂ©s en Tunisie et qu’ils puissent bĂ©nĂ©ficier de procès Ă©quitables.
Cette maman utilise le pouvoir du cinĂ©ma pour sensibiliser le public Ă une situation difficile et injuste, en dĂ©voilant son histoire et celle de sa famille. Son objectif est d’attirer l’attention sur les enfants pris au piège de conflits qui les dĂ©passent, plaidant pour leur droit Ă une justice Ă©quitable. Son acte de courage et de vulnĂ©rabilitĂ© devant la camĂ©ra vise Ă susciter une action concrète de la part des organisations de dĂ©fense des droits de l’homme et des militants engagĂ©s. Elle espère que leur histoire touchera les cĹ“urs et les consciences, incitant ainsi les spectateurs et les acteurs de la scène internationale Ă prendre des mesures pour protĂ©ger les droits de ces enfants et favoriser leur retour dans leur pays d’origine.
Les Filles d’Olfa transcende les limites d’un simple film pour devenir un cri du cĹ“ur, un appel Ă l’aide et un fervent dĂ©sir de provoquer le changement. Cette Ĺ“uvre puissante pousse Ă remettre en question la sociĂ©tĂ© tunisienne, les choix individuels et collectifs, tout en offrant une exploration Ă©motionnelle et une comprĂ©hension plus profonde des rĂ©alitĂ©s vĂ©cues par ces jeunes personnes.
Est-ce que Les filles d’Olfa saura conquĂ©rir le jury prĂ©sidĂ© par Ruben Ă–stlund, rĂ©putĂ© lui-mĂŞme pour son audace et ses constructions cinĂ©matographiques originales ? L’espoir est de mise, non seulement pour ce film en particulier, mais aussi pour l’ensemble du cinĂ©ma tunisien.
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