Le paysage audiovisuel tunisien est encore en attente d’une instance qui a pour vocation de veiller à la régulation et au bon fonctionnement des chaînes de radio et de télévision. Entretemps et pour peu que l’on se penche sur les programmations, les émissions, les choix des invités, il se dégage des trois principales chaînes de télévision des orientations ou du moins des tendances politiques plus ou moins claires.
Nessma TV semble avoir choisi son camp dès le 15 janvier 2011. La ligne éditoriale de la chaîne de Nabil Karoui semble tournée résolument vers un libéralisme politique. Incarnée par le chroniqueur Sofiène Ben Hamida, cette ligne paraît soutenir la laïcité fondée sur la séparation du politique et du religieux. C’est vraisemblablement cette option qui insupporte et indispose le mouvement Ennahdha. Le torchon a fini par brûler entre eux à l’occasion de la diffusion du film franco-iranien Persépolis. Depuis, aucun dirigeant du parti islamiste n’a remis les pieds dans les studios de Nessma. Cependant il apparaît de plus en plus clair que Béji Caïd Essebsi et les valeurs qu’il incarne aient la faveur de la chaîne privée du Grand Maghreb. On ne compte plus le nombre d’interviews de l’ancien Premier Ministre. Le plateau qui lui a été réservée au lendemain de la fin de sa mission mais aussi l’émission qui lui a été consacrée ne sont pas dénués de signification. La tendance politique de Nessma est devenue un secret de polichinelle.
Il en va autrement de Hannibal TV. De proche en proche, le voile tombe et ses « flirts » avec le parti de Rached Ghannouchi paraissent une tendance indéniable. La part belle que le journaliste Mokdad Mejri accorde au fondateur du parti islamiste tunisien ainsi que les choix de ses invités ne font que corroborer cette espèce de liens tacites. Certes il serait exagéré de parler de connivence entre Hannibal et Ennhadha, mais la chaîne de Larbi Nasra semble de plus en plus exprimer sa prédilection pour les islamistes. Tour à tour et en un laps de temps court, la parole fut donnée à Rafik Abdesselem, Noureddine Bhiri, Ali Laârayedh et bien entendu à Rached Ghanouchi. Samir El Ouafi, lors de son émission avec Moncef Ben Salem, a donné, par sa courtoisie inhabituelle ce soir là, l’illustration de ce qui ressemble fort à un soutien à Ennhadha.
Par ailleurs, la chaîne nationale tente peu ou prou de faire de la résistance et à garder une forme d’autonomie en dépit des désignations récentes du Gouvernement, et des critiques qui lui sont adressées par Lotfi Zitoun, le conseiller de Hammadi Jebali.
D’autre part, comment ne pas parler dans cet ordre idée du lancement d’une chaîne privée du fournisseur de service Internet Gnet de Nasr Ali Chakroun, l’ami personnel de l’actuel Président de la République Moncef Marzouki, comme en témoigne le blogueur Sami Ben Abdallah ? Ce dernier soupçonne Chakroun d’avoir financé la campagne électorale de Marzouki. Il est à rappeler que la fille de l’homme d’affaires tunisien, Meriem Chakroun, fait partie du cabinet de président de la République provisoire, chargée de « suivre les actualités politiques », selon le décret présidentiel n°13.
De telles configurations d’intelligence entre les hommes politiques et les médias laissent entrevoir sinon des lobbys en tout cas des influences sur les lignes éditoriales des chaînes de télévision. L’indépendance des médias est-elle condamnée à subir ces chapes de plomb qui portent préjudice à leurs libertés ? Les objectifs de la Révolution demeureraient dans ce cas des vœux pieux.