Tunisie : Si l’économie souterraine n’existait pas, l’Etat l’aurait inventée !

Tunisie : Si l’économie souterraine n’existait pas, l’Etat l’aurait inventée !
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Soutenir que l’économie souterraine opère hors du cadre légal et institutionnel et échappant au contrôle de l’Etat est un euphémisme. Si l’économie souterraine représente, aujourd’hui, près de 40% du PIB tunisien, c’est, en partie, parce qu’elle est tolérée, voire encouragée par le pouvoir public, et ce, pour différentes raisons, d’ordre social, économique ou encore politique. Moralité : si l’économie souterraine n’existait pas, l’Etat l’aurait inventée !
L’économie informelle est un sujet qui a souvent soulevé les débats des politiques et de la communauté économique, mais elle a fait rarement l’objet d’un consensus car les approches et surtout les enjeux qu’elle suscite diffèrent selon que l’on soit homme politique ou expert économique. Cependant, il y a deux points sur lesquels les deux parties convergent : comme le fait que cette activité est à l’origine du problème de liquidités qui menace les banques tunisiennes, ou encore le point relatif au manque à gagner en recettes fiscales et en cotisations sociales pour l’Etat. Ce qui interpelle le plus, cependant, c’est moins les alternatives à ce phénomène que l’absence de volonté politique de le combattre. A se demander si cette économie souterraine n’est pas, en définitive, une politique d’Etat systématisé ? Aux origines de l’informel ! L’économie souterraine n’est pas un phénomène nouveau. Elle a pris ses origines dans les années 70 avec la multiplication des petits métiers et l’installation des appentis artisans à leur compte, en créant des micro-entreprises, sans avoir acquis les qualifications requises. Plus tard, dans les années 90, c’est du côté du commerce transfrontalier, aux frontières algérienne et libyenne, que l’économie souterraine a pris une autre dimension. Or, quand bien même cette activité était illégale et, de plus, constituait une source de concurrence déloyale pour les sociétés enregistrées qui s’acquittent de leurs obligations fiscales, elle était, à bien des égards, tolérée par le régime de Ben Ali qui l’avait même formalisée. Souvenez-vous le nombre de fois où le pouvoir en place était intervenu auprès des autorités libyennes quand celles-ci avaient décidé de fermer le point de passage Ras Jedir au trafic passager et commerçant. Ce trafic transfrontalier était et demeure encore une source de revenus indispensable pour des milliers de familles du sud et l’on imagine la tension que provoquerait, du jour au lendemain, un arrêt de cette activité dans une région qui manque de tout. Aux yeux du régime, ce n’était pas tant le caractère illégal de cette activité qui préoccupe plutôt que la stabilité sociale et le maintien de l’ordre que cette économie requiert en l’absence de projets de développement, d’emplois et d’équité sociale. Quand l’informel surclasse le formel ! Après la révolution du 14-Janvier, dans l’euphorie du mouvement de liesse qui s’est emparé du pays, on a cru que la démocratie allait établir une justice sociale et une égalité des chances qui ont eu raison du régime de Ben Ali. Mais c’’était méconnaître les intentions de la nouvelle classe politique qui s’est avérée d’une voracité démesurée. Et qui mieux que l’économie souterraine et l’activité de contrebande pour assouvir sa faim. L’immunité et l’impunité que leur a procurées leur statut de députés et de ministres les ont propulsés de simples figurants, autrefois, en acteurs incontournables, aujourd’hui, d’un marché ouvert aux quatre vents. Et c’est mécaniquement, sommes-nous tentés de dire, que l’informel a étendu ses tentacules jusqu’à engloutir les activités conventionnelles. Résultat des courses : près de la moitié du PIB tunisien est aujourd’hui réalisé par l’économie souterraine. Les gouvernements qui se sont succédé depuis la révolution avaient beau soutenir qu’ils allaient entrer en guerre contre l’informel et la contrebande. A l’évidence, derrière leurs promesses électorales se cachent une menace qu’ils ont fait peser sur toute la population qui survit de l’informel. La Persuader qu’elle est dans l’illégalité, n’est-ce pas là le meilleur moyen de la soumettre à la loi du silence ? A partir de là, les hommes politiques ont toutes les latitudes d’entretenir l’économie qui va de pair avec leurs intérêts. Il s’agit de l’économie de rente qui fait, désormais, notre notoriété internationale. Nous entendons par économie de rente la concession des capitaux, des privilèges et des faveurs entre les mains d’une poignée de familles et de lobbies, au détriment de la concurrence loyale et de l’efficience économique. In fine, qu’est-ce qu’on a comme tableau ? Une économie à deux vitesses : une économie de rente que l’Etat entretient au profit des riches et qui lui procure des royalties. De l’autre, une économie souterraine, que l’Etat officiel dit combattre, mais que l’Etat occulte développe à plus grande échelle. Moralité : Le jour où l’économie souterraine disparaîtra, l’Etat disparaîtra avec !

Chahir CHAKROUN Tunis-Hebdo du 19-10-2020




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