Maryam Touzani : J'espère qu' "Adam" pourra donner du courage et de l’espoir à d’autres femmes

Maryam Touzani : J'espère qu' "Adam" pourra donner du courage et de l’espoir à d’autres femmes
Culture
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Un standing ovation avait suivi la projection du film marocain Adam, de Maryam Touzani lors de la 72ème édition du Festival de Cannes, dans la sélection Un Certain Regard.

Adam, premier long métrage de fiction de Maryam, et concourant également à ce titre pour la Caméra d’Or, raconte la rencontre dans la médina casablancaise de Samia (Nisrin Erradi), célibataire, enceinte, et voulant faire adopter son bébé avant de reprendre le cours de sa vie, avec Abla (Lubna Azabal), une jeune veuve n’ayant pas su faire son deuil, et ayant perdu le goût de la vie depuis que son mari lui avait été brutalement arraché.

La présentation du film par Maryam Touzani avait était si touchante, qu’il était devenu presque nécessaire d’en savoir un peu plus sur sa relation avec ce film, sa condition de femme et de mère, et son combat pour faire avancer les droits des femmes, combat qu’elle avait déjà amorcé par le passé, notamment dans le film Razzia (2017), réalisé par son mari Nabil Ayouch, et dans lequel elle tenait le premier rôle féminin. Elle avait déclaré lors de sa projection à Tunis en juillet 2018: « Je crois qu’aujourd’hui, il faut être conquérante, il ne faut plus subir, ne plus attendre, il faut aller là on ne nous attend pas et arracher nos droits. Je n’ai pas envie de céder. Je ne céderai pas un centimètre, ni même un millimètre de cet espace là, parce que j’ai envie d’exister dans le même espace que toutes ces personnes qui veulent m’empêcher d’exister…. Je pense que la plupart des femmes mènent leur combat dans le silence et nous avons besoin de femmes qui mènent leur combat au grand jour pour en inspirer d’autres ».

[caption id="attachment_214680" align="aligncenter" width="837"]Affiche du film Adam de Maryam Touzani Cannes 2019 - Affiche du film Adam de Maryam Touzani.[/caption]

Vous aviez dit que le personnage de Samia est inspiré d'une vraie jeune femme enceinte recueillie par vos parents et qui a du abandonner son enfant. Avez-vous revu cette jeune femme quelques années plus tard? Regrette-t-elle son geste ou choix?

Oui, en effet, c’est inspiré d’une vraie histoire qui m’a profondément marquée. Malheureusement je n’ai pas revue cette jeune femme. La veille du jour où elle devait aller déposer son enfant à l’adoption, je lui avais demandé si elle voulait que je prenne des photos de lui, d’eux. Elle n’en voulait pas… Mais le matin même, avant de quitter notre maison,  elle m’a demandé d’en prendre… Je l’ai accompagnée pour déposer son enfant, et elle a quitté la ville juste après… J’ai fait un tirage des photos, que j’ai laissé chez mes parents. Deux ans après, elle est revenue chercher ces images, mais je n’étais pas là… Il y a des choses dans la vie qu’on ne peut pas oublier. Je sais que sa blessure ne guérira jamais. Mais j’espère qu’un jour elle verra ce film, et qu’elle se dira que moi non plus je ne l’ai jamais oubliée, qu’elle a laissé une trace indélébile en moi, que Adam pourra donner du courage et de l’espoir à d’autres femmes…

Vous aviez également dit lors de la présentation du film avant sa projection que c'est surtout lorsque vous étiez devenue vous-même mère que votre besoin de raconter était devenu plus pressant, et vous aviez terminé votre intervention en vous adressant à votre mère et en lui disant que maintenant vous aviez compris. Pouvez-vous expliquer un peu plus s'il vous plait?

Oui, le besoin de raconter cette histoire est né lorsque j’ai commencé à sentir mon enfant à l’intérieur de moi. J’ai beaucoup pensé à cette jeune femme, à tout ce qu’elle avait vécu. Essayer de ne pas créer de lien avec l’enfant qu’on porte, alors qu’il fait partie de nous, essayer de s’en détacher afin de se préparer à ne pas souffrir, c’est atroce. Quand j’ai ressenti dans ma propre chair ce que cela voulait dire que d’avoir un enfant, le lien si puissant à une mère, l’instinct, j’ai vraiment ressenti ce que avant je n’avais observé que de l’extérieur. Et là, j’ai commencé à écrire, car il fallait que cela sorte. Son histoire est venue se mélanger à mon histoire, à mon expérience de la vie, du deuil, à mes propres blessures, et les deux personnages ont commencé à prendre forme… Et oui, en devenant mère, j’ai compris des choses par rapport à ma mère, à ce lien viscéral, à ce que cela voulait dire que de donner la vie.

En plus de ce besoin pressant que vous aviez de raconter cette histoire vécue, pensez vous que le cinéma pourrait aider à dénoncer ces misères que vivent ces jeunes mères célibataires en particulier et les injustices dont sont victimes les femmes en général? Est-ce que votre film s'inscrit aussi dans cette logique?

Je crois en le pouvoir du cinéma pour amener du changement, pour provoquer une remise en question, créer du débat et faire bouger les choses. Mais au delà de ça, je pense que le cinéma a le pouvoir de nous faire ressentir les choses d’une autre manière, de l’intérieur,  et donc de changer notre regard, notre perception, là où les lois avancent timidement. Le vrai changement ne peut se produire que si le regard des gens change, les mentalités… Et le cinéma peut sans aucun doute jouer un rôle là-dedans.

[caption id="attachment_216459" align="aligncenter" width="748"]Cannes 2019 - Nisrin Erradi, Maryam Touzani, et Lubna Azabal Adam Cannes 2019 - Lubna Azabal,  Maryam Touzani et Nisrin Erradi.[/caption]

Dans le film, les deux actrices étaient parfaites. Comment les aviez-vous choisies? Est-ce que vous saviez qu'une telle alchimie pouvait exister entre elles?

Adam est un film de personnages, et il était primordial pour moi de trouver la vérité que je cherchais dans chacune des comédiennes, séparément, mais aussi d’avoir une réelle symbiose entre elles. Je connaissais le travail de Lubna Azabal, dont j’admirais le talent, et j’avais trouvé son interprétation dans Incendies (2010) magistrale. Je sentais dès le début qu’elle pourrait incarner Abla avec la puissance et la fragilité que j’imaginais dans ce personnage. Avec Samia, c’était un coup de foudre. Je ne la connaissais pas, et j’avais été éblouie par son talent et par sa sensibilité. Justement, j’avais voulu rapidement voir si cette synergie que j’imaginais pouvait naître. Nous avions passé du temps à trois, et la magie entre elles s’était opérée naturellement... Nous avions ensuite beaucoup travaillé sur l’intériorité des personnages, sur leur vécu, sur la charge émotionnelle qu’elles portaient… Quand on aime tellement ces personnages, on a besoin de sentir que ceux où celles qui leur donnent vie les comprennent vraiment, les ressentent.

Jusqu'à quel point est ce que votre mari, scénariste, réalisateur et producteur vous a aidé? Pensez vous qu'il vous a influencée dans votre façon de diriger vos actrices, réaliser votre film, etc...?

Nabil Ayouch est une source d’inspiration pour moi. J’admire véritablement son travail de réalisateur. Son regard, sa sensibilité, la vérité qui le motive et qu’il va chercher dans ses films… J’ai beaucoup appris de lui et avec lui, sur les tournages de ses derniers films, de sa manière de gérer son plateau, de son travail avec les comédiens… Nabil a été là dès la naissance du désir de faire ce film chez moi. Il m’a soutenue, accompagnée. Il m’a aidé à avoir confiance en moi pour réaliser ce premier film, car un premier film est toujours très particulier. Il a cru en moi, en ce que je voulais dire, et il a accompagné ce désir. On a beaucoup parlé, il a collaboré à l’écriture en lisant, en discutant avec moi, en questionnant, en proposant… Les échanges avec lui autour du film ont toujours été très riches, de l’écriture au montage. Je suis fière et heureuse de l’avoir eu à mes côtés, en tant que producteur et en tant que personne. Avec Nabil nous avons des sensibilités très proches, mais qui s’expriment de manière très personnelle, et c’est une vraie richesse.

Quels sont vos projets pour le futur?

Pour le moment, je laisse le temps au temps. Je n’aime pas forcer les choses. Il y a indubitablement des choses qui m’habitent, auxquelles je pense. Mais il faut que ça se fasse naturellement.

Neïla Driss

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