Et si les Arabes avaient compris le discours de Bourguiba à Jéricho…un certain 3 mars 1965 !

Et si les Arabes avaient compris le discours de Bourguiba à Jéricho…un certain 3 mars 1965 !
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Le 3 mars 1965, le président Habib Bourguiba s’est adressé aux réfugiés palestiniens du camp de Jéricho (Ariha) pour leur livrer un discours porteur à la fois d’un projet et d’un diagnostic rationnel de la tragédie qui est la leur depuis la déroute humiliante des troupes arabes face à l’ennemi sioniste en 1948. Encore meurtris dans leur chair et leur esprit, les réfugiés palestiniens de Jéricho écoutaient attentivement pour la première fois, peut-être, un chef d’Etat arabe qui leur a ouvert son cœur et livré le fond de sa pensée sur la question palestinienne sans complexe ni appréhension. Le discours de Jéricho n’était, d’ailleurs, ni enflammé ni grandiloquent, mais plutôt concis et surtout bien raisonné. Il avait très vite pris les allures d’un conseil fraternel d’une honnêteté rarement trouvée chez les chefs d’Etat arabes de l’époque. Au cours de son discours, Bourguiba a exhorté les Arabes d’emprunter la voie du compromis et d’accepter la proposition des Nations Unis en vertu de laquelle la Palestine historique aurait dû être divisée en deux Etats voisins arabe et juif pour préserver la paix au Moyen-Orient. Selon le livre blanc, symbole de la proposition onusienne de l’époque, la part qui revenait aux tenants originels de la terre, les Palestiniens, était à peu près la moitié. Quant à l’autre moitié, elle était réservée à ceux qui voudraient s’y installer parmi les juifs du monde entier. Fidèle à sa « politique des étapes », Bourguiba conseillait, alors, aux Arabes d’accepter les mi- solutions élaborées par les Nations Unis, quelque peu injuste soient elles aux yeux du peuple. Selon Bourguiba, les Arabes devraient intelligemment accepter tout morceau de terre qu’on leur proposait d’autant plus qu’ils n’étaient pas en position de force pour imposer quoi que ce soit à leur ennemi, malheureusement, beaucoup mieux loti sur le plan diplomatique et militaire. Fort de sa longue expérience dans la lutte anticolonialiste, Bourguiba pesait ses mots avec assurance à Jéricho et présentait ses pensées visionnaires dans un style théâtral qui est le sien. Pour lui, la libération totale des terres occupées était conçue comme étant une étape bien avancée dans la lutte et que le bon moment n’était pas encore arrivé pour s’y lancer. Ayant guidé la Tunisie vers l’indépendance complète en 1956, Bourguiba avait certainement l’autorité morale nécessaire pour que les Palestiniens l’écoutent attentivement, surtout qu’il avait réussi, justement grâce à sa « politique des étapes », à bouter hors de la Tunisie le tout dernier soldat français le 15 octobre 1963, un peu moins de deux ans avant le discours de Jéricho.
Les échos du discours de Jéricho
Etant à l’antipode de la vision guerrière de Nasser, le discours de Bourguiba était représenté par les médias égyptiens comme la trahison la plus abjecte de la cause palestinienne. Le malentendu provenait, peut-être, du fait que les Arabes n’avaient encaissé jusque-là qu’une seule défaite face à leur ennemi sioniste, celle de 1948. L’expédition tripartite de 1956 contre l’Egypte en est une autre. Mais celle-ci était plutôt conçue comme une victoire politique, car, avec un soutien américain manifeste, elle a été soldée par la nationalisation du canal de Suez, et ce, contre la volonté des Britanniques, Français et Israéliens. Si l’on se tient à l’esprit de l’époque, il convient alors de dire que la détermination de Gamal Abdel Nasser et l’enthousiasme populaire ambiant avaient de quoi entretenir un brin d’espoir chez les palestiniens. Une sorte d’euphorie populaire portait, alors, les esprits à penser, non sans naïveté, que la victoire militaire était possible et que les armées arabes sauront, tôt ou tard, bouter les colons hors de la Palestine. D’ailleurs, Gamal Abdel Nasser ne cachait pas son rêve de devenir pour le monde Arabe ce qu’était Simone Bolivar pour l’Amérique latine : « El Libertador ». Il s’est arrogé le rôle du commandant suprême de la « nation Arabe » qui, selon Nasser, ne saura retrouver sa gloire qu’après la libération de toute la Palestine. Gamal Abdel Nasser prenait à cœur la préparation de ses troupes pour l’inéluctable guerre de libération. Ses discours ne cessaient de galvaniser les foules devenues assoiffées d’une victoire militaire rétablissant le peuple palestinien dans ses droits et sa dignité. Voilà, en quelques mots, à quoi ressemblait l’état d’esprit de ces foules qui étaient venues tendre l’oreille à qui leur parlait de paix et de compromis à Jéricho le 3 mars 1965. Pourfendu par les médias égyptiens alors arrimés au nassérisme rampant de l’époque, le discours de Jéricho était malheureusement représenté tout au mieux comme un cri de désespoir et au pire comme un acte de trahison. Les propos de Bourguiba ont suscité, alors, le courroux du monde Arabe pour mettre en jeu sa propre réputation et sa popularité. Ayant eu mauvaise presse, le discours de Jéricho a même amené les foules égyptiennes furieuses vers l’ambassade tunisienne du Caire qu’ils étaient à deux doigts d’incendier. Ayant obtenu le feu vert de Nasser, la fameuse radio égyptienne à diffusion internationale « la voix des Arabes » ou « Sawt al arab » s’acharnait sur la personne de Bourguiba en l’accusant de tous les maux. On a même écouté Gamal Abdel Nasser, pas mal de fois, traiter Bourguiba de fou et de traitre, creusant ainsi le fossé qui les séparait déjà.
Le tournant de la guerre des six jours
Deux ans après le discours de Jéricho éclata la guerre des Six Jours, lundi 5 juin 1967, opposant l’entité sioniste à l’Egypte, la Syrie et la Jordanie. Quoique courte et furtive, cette guerre aura changé la géopolitique de la région à jamais et donné raison à Bourguiba au prix d’une défaite dont les Arabes ne se sont toujours pas remis. Sous prétexte du blocus du détroit de Tiran à ses navires, Israël a pris d’assaut les pays arabes limitrophes pour détruire la moitié de leur aviation avant la fin de la première journée de guerre. Au bout de six jours, le sort des Égyptiens, Syriens et Jordaniens aura été scellé sur une défaite spectaculaire. Vaincu sur tous les fronts, les Arabes se sont vu privés, d’un seul coup, de la péninsule du Sinaï, la bande de Gaza, le plateau du Golan et la Cisjordanie. Pire encore, à cause de cette guerre, la vieille ville d'Al Qods s’est trouvée, pour la première fois, sous l’emprise de l’occupation, et depuis, elle sera baptisée Al-Qods occupé jusqu’au jour d’aujourd’hui. Plusieurs villes par lesquelles Bourguiba avait, pourtant, passé librement, il y a deux ans, lors de sa tournée au Moyen-Orient sont tombées, l’une après l’autre, sous le joug de l’occupation.
L’empreinte du Bourguibisme dans le processus de paix
Ce n’est qu’après avoir été éjecté de Beyrouth en 1982 que l’organisation de libération de Palestine (OLP) était tentée de prendre langue avec les Israéliens pour parvenir à une solution négociée. C’était, d’ailleurs, à Tunis que les leadeurs de l’OLP ont choisi de s’établir après leur défaite militaire à Beyrouth. Le changement de siège était accompagné d’un changement de méthode, car, une fois à Tunis, Yasser Arafat et son équipe ont commencé un cycle de négociations secrètes couronné en 1993 par la conclusion des accords d’Oslo. Un an après, Yasser Arafat et Ishak Rabin ont signé l’accord Jéricho-Gaza en vertu duquel l’Autorité Nationale Palestinienne (ANP) nouvellement créée s’est dotée de quelques pouvoirs sur ce qui reste de la Palestine. Cet accord était suivi de celui de Taba de 1995 qui, en plus de la création d’un Conseil Législatif Palestinien, visait à découper les territoires occupées en zones à souveraineté différenciée en attente d’une solution finale au conflit. Réprimée tant d’années, la « politique des étapes » est remontée à la surface pour permettre au mouvement de libération nationale de sortir de l’ornière. Après tant d’années d’exil en Jordanie, au Liban et en Tunisie, Yasser Arafat a finalement pu littéralement « mettre les pieds sur terre », sur sa terre : la Palestine. Mahmoud Abbas, bras droit de Yasser Arafat et l’un des architectes des accords d’Oslo, a reconnu que le long séjour de l’OLP à Tunis a eu un impact indéniable sur l’attitude des leaders palestiniens. La politique du « tout ou rien » ne fait plus partie de l’agenda de l’OLP et de l’Autorité Nationale Palestinienne. Sans en avoir l’air, se contenter d’une autonomie relative sur une portion du territoire palestinien était, alors, conçu comme étant une bonne étape vers la libération totale de la terre occupée. C’était l’incarnation même de la « politique des étapes » prêchée par Bourguiba il y a 52 ans.
Le discours de Jéricho revisité aujourd’hui
A mesure que les années passent, on se rend compte de que la visite de Bourguiba à Jéricho était bien une chance historique manquée. Si les Arabes avaient compris le discours de Bourguiba à Jéricho, ils auraient, peut-être, avancé à pas de géant dans la résolution du conflit israélo-palestinien. Malgré le clair passage de la logique du « tout ou rien » à la « politique des étapes », les Palestiniens n’arrivent toujours pas à changer le rapport de force en leur faveur. Tant de choses se sont passées entre 1965 et 2017 et font qu’avec le temps la marge de manœuvres des dirigeants palestiniens s’est rétrécie. Car ce n’est pas tout de prendre les bonnes décisions, encore faut-il les prendre au bon moment. Avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, les choses s’avèrent, d’ores et déjà, plus compliquées. Plus que jamais, les Palestiniens semblent plonger dans une léthargie en même temps que l’espérance se dissipe petit à petit.



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