MICRO-TROTTOIR : La Révolution s’essouffle !

MICRO-TROTTOIR : La Révolution s’essouffle !
National
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Décembre 2010 restera dans les annales comme le mois où les Tunisiens, de toutes régions, dans toute leur diversité se sont soulevés contre Ben Ali et son régime dictatorial. Ils ouvraient la voie à d’autres pays et insufflaient ainsi une brise de liberté inédite dans le monde arabe. S’ensuivirent de longs mois d’incertitudes, des élections, les premières démocratiques de notre histoire, et la lourde tâche de reconstruire un Etat et un pays, dans un environnement plus qu’incertain. Deux ans après, quels regards portent les Tunisiens sur leur révolution ? «On nous a fait miroiter le paradis… Et tout ce qu’on a récolté, c’est un peu de liberté» Skander A., 27 ans, agent de sécurité et ancien membre de la Garde Nationale affiche un scepticisme qui révèle l’immensité de sa déception. "Jusqu’aujourd’hui nous n’avons profité de rien, les mêmes problèmes persistent : le chômage, la pauvreté, la cherté de la vie… Rien de tout cela n’a changé". Le regard qu’il porte sur les hommes politiques est assez sévère. "Ils (les politiques) sont restés éloignés du peuple. On n’a pas accès à eux ! La révolution n’a accouché que de promesses, on nous a fait miroiter le paradis, mais la réalité est toute autre. Tout ce qu’on a récolté, c’est un peu de liberté, mais les Tunisiens ne sont pas faits pour ça. Aujourd’hui, tu peux critiquer le gouvernement mais on se rend vite compte que cela ne sert à rien". «On court vers la catastrophe… Et les politiques ne sont pas prêts de se réveiller» Khemais J., 66 ans, retraité de la fonction publique, estime que la jeunesse sortie dans la rue et dont le rôle a été déterminant dans la chute du dictateur, n’a pas reçu ce qui lui est dû. "C’est une révolution faites par les jeunes, mais ceux-ci n’en ont pas profité. Seuls les opportunistes ont récolté les fruits de cette révolution. Tout ce qu’on fait aujourd’hui, c’est perdre du temps ! On aurait pu garder la Constitution, et seulement éliminer les lois liberticides et litigieuses, et aller de l’avant. Cette révolution a été détournée de son but initial. On a certes acquis des libertés, mais celles-ci sont souvent mal utilisées et mal comprises". Sa déception et son mécontentement visent surtout les politiciens. "Notre élite et nos politiques sont responsables de la situation infernale dans laquelle se trouve le pays actuellement. Ils ne sont tout simplement pas à la hauteur, ont failli à leurs missions et rentrent souvent dans des débats stériles. On court vers la catastrophe ! Pour autant, on a l’impression qu’ils ne sont pas prêts de se réveiller et d’assumer leurs responsabilités". «La Tunisie ira toujours bien, quel que soit le régime» Ahmed O., 27 ans, vendeur, ne voit aucune différence entre l’avant et l’après 14 Janvier. "Que ce soit en matière sociale ou économique, la situation n’a pas changé d’un iota et le peuple non plus. Nous avons gardé les mêmes habitudes et le même mode de vie que sous Bourguiba, sous Ben Ali, et nous les garderons encore pour les années à venir. La Tunisie a vécu le colonialisme et la dictature et s’en est bien sortie à chaque fois. Ceci prouve bien la capacité d’endurance des Tunisiens, et qu’importe le régime sous lequel nous vivons, la Tunisie ira toujours bien ! On ne dit pas que la situation est meilleure, mais elle ne peut pas être pire qu’avant". A quand une révolution des esprits et des mentalités ?! Noureddine L., 55 ans, enseignant, est quant à lui confiant, et même s’il a quelques réserves, il souligne que "deux ans, ce n’est pas suffisant pour porter un jugement définitif sur une révolution. C’est un long processus, il lui faudra une dizaine d’année pour le voir aboutir. La liberté, ce n’est pas uniquement aller manifester. Il nous faut maintenant une révolution des esprits et des mentalités, et sensibiliser les gens au vrai sens de la liberté. C’est un travail de longue haleine et c’est aux leaders politiques et aux medias de l’effectuer". «Les régions de l’intérieur ont toujours été à la tête de toutes les batailles… et n’ont jamais rien reçu en retour» Il mesure aussi l’immensité de la tâche qui reste à accomplir. "Sous le régime de Ben Ali et pendant les dernières années de Bourguiba, les institutions de l’Etat, comme l’Education nationale, la Santé ou encore la Justice, ont été complètement saccagées et démolies. Il faut aujourd’hui en réformer quelques-unes, et repartir de zéro pour d’autres. Il faudra aussi se focaliser sur les régions de l’intérieur qui vivent depuis longtemps un état de délabrement économique et social injustes. Elles ont toujours été à la tête de toutes les batailles importantes de la Tunisie, et n’ont jamais rien reçu en retour. Il est temps d’y remédier avant qu’on s’en morde les doigts". «Les Tunisiens sont de plus en plus sur leurs nerfs, et moins enclins à vivre ensemble…» Hela F., 47 ans, infirmière, redoute de plus en plus la situation catastrophique de l’économie tunisienne. "On n’en peut plus, tellement la vie est devenue chère depuis la révolution. La situation matérielle des gens est exécrable, les salaires ne suffisent plus à répondre à nos besoins les plus basiques. Ma mère par exemple n’a plus les moyens de s’acheter ses médicaments, ni même de se soigner correctement, on croyait tous que la révolution allait régler nos problèmes une fois pour toutes, mais elle n’a fait que les aggraver. Ajoutez à cela les problèmes de sécurité dans le pays et l’anarchie qui y règne. Les Tunisiens sont de plus en plus sur leurs nerfs, et moins enclins à vivre ensemble harmonieusement. Tout cela me fait pressentir que les prochaines années seront très pénibles et que la situation va encore empirer". «Ben Ali est tombé… pas son système» Abir J., 29 ans, psychologue, est persuadée que "seules les têtes ont changés". "On ne voit aucun changement. De jour en jour, je me rends compte que Ben Ali est certes tombé mais que son système perdure et a bel et bien la peau dure. Personne aujourd’hui n’a l’intention de le changer car les mentalités n’ont pas évoluées. Le pire c’est que même les hommes politiques qui se réclament de la révolution n’ont pas l’intention de mettre fin à ce système, ils n’ont d’yeux que pour le pouvoir. Le reste, ça ne les intéresse pas". Elle nuance pourtant son jugement sur les acquis des Tunisiens grâce à la révolution. "J’ai fait partie de l’UGET. C’est vrai qu’aujourd’hui, on a moins peur quand on exprime nos opinions, même si de vieux réflexes remontent parfois à la surface puisqu’on a toujours la peur d’être épiés ou surveillés, mais on s’exprime davantage et notre voix est plus audible. Il faut du temps pour que les vieux réflexes disparaissent".



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