Grand Reportage- Vers un gouvernorat de Tabarka ?

Grand Reportage- Vers un gouvernorat de Tabarka ?
Chroniques
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Tabarka - Les jeunes du nord-ouest n’y vont pas de main morte. A l’image de Sadok qui, haut et fort, sur la terrasse du café des Andalous, martèle ses opinions. Le verbe clair, Sadok m’explique : «Toute cette histoire de constituante, c’est une terrible perte de temps. Ce dont nous avons besoin, c’est de boulot. Et depuis dix mois, on nous berce de promesses. Dès le 24 octobre, je vais exiger des nouveaux élus mon droit à un emploi. Et ils auront tout intérêt à tenir ce qu’ils ont promis». Entre indignation et impatience, les jeunes hommes de Tabarka qui m’entourent nourrissent de légitimes inquiétudes. Ils ont accompagné la chute de l’ancien régime, organisé les comités révolutionnaires locaux, vibré à chaque évolution. Seul leur statut de chômeurs quoique diplômés n’a pas bougé d’un iota. On leur a proposé ce qu’ils qualifient cyniquement de «smig de survie», mais ce qu’ils veulent c’est un travail décent. Et tout de suite ! Ils considèrent avoir attendu toute une année tout en ayant participé au changement. Ils attendent au retour que leur situation s’améliore. Hédi s’exprime à son tour : «Est-ce normal de vivre sans argent ? Il n’y a même pas de petits boulots pour tenir le coup. A mon âge et avec mon niveau universitaire, c’est mon père qui me nourrit». Ahmed, qui est, lui, originaire de Aïn Draham abonde dans le même sens : «Toutes ces études, c’était une blague. Et de toute façon, l’ascenseur social est en panne depuis longtemps. Ça ne sert plus à rien d’étudier. Je suis en principe prof d’anglais. Mais je ne suis pas allé en Angleterre. Pire, au fil des années de chômage, je suis en train de perdre mon anglais. Cette année, j’ai tenu le coup grâce à un cousin, maçon à Tunis, qui m’a permis d’être embauché. Tu comprends, j’ai perdu toutes mes illusions». Pourtant, il est un sujet qui enthousiasme tout le monde : la possibilité de créer un gouvernorat de Tabarka qui aurait une vocation touristique et maritime. Les jeunes du coin y croient dur comme fer. Ils me racontent leur rêve citoyen : «Tabarka pourrait devenir un gouvernorat qui irait jusqu’à Zouara et engloberait Fernane et Aïn Draham ainsi que Sejnane dans l’arrière pays». La carte est ainsi dessinée. Ce projet encore imprécis grignoterait sur les actuels gouvernorats de Béja, Bizerte et Jendouba. Adossé à un aéroport international et une infrastructure hôtelière de qualité, ce potentiel gouvernorat de Tabarka pourrait devenir un pôle touristique d’envergure et dynamiser le développement du nord-ouest. Peut-être aigri, certainement lassé d’attendre, Sadok reprend la parole avec des propos teintés d’amertume : «De toute façon, les touristes tardent à revenir. Peut-être avec les fêtes de fin d’année»… Mon impression est forte : ces jeunes hommes ont perdu leurs illusions et, au fond, ils n’attendent rien en vérité. Ahmed confirme mon sentiment : «Tunis n’a jamais été aussi éloigné de nous. Depuis que l’Etat a vacillé sur ses bases, la capitale s’est encore plus éloignée. Je vois des apprentis-politiciens parader à la télévision mais personne ne semble se soucier de nous». Les élections et leurs résultats vont-ils démentir cette lassitude mêlée d’impatience ? Ici, comme ailleurs, je ressens très fortement cette attente qui prend peu à peu les traits d’une désillusion. Autour de nous, on joue aux cartes sans prêter beaucoup d’attention aux candidats qui défilent dans le poste de télévision. C’est à peine s’ils sont audibles dans le brouhaha ambiant. Et, au fond, comme ils ne disent rien de précis, rares sont ceux qui les écoutent. Narquois, Sadok ajoute à mon intention : «Dites-le à vos électeurs : le peuple veut du travail ! Les mêmes sont en train de nous endormir avec cette constituante, alors que notre situation n’a pas changé». La conversation est déconcertante. Elle se poursuit en abordant divers sujets, mais, je le ressens très fort, l’enthousiasme qui portait ces jeunes semble bel et bien retombé, transformé en amertume. Seul prévaut l’attente d’un hypothétique déclic qui serait la chance du premier emploi… A lire aussi : Grand Reportage – L’autoroute de la dignité



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