Chronique de Hatem Bourial | L’aventure de "Lady Ghriba"

Chronique de Hatem Bourial | L’aventure de "Lady Ghriba"
Tunis-Hebdo
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Le pèlerinage de la Ghriba, c’est pour la semaine prochaine. Selon nos informations, cette année 2019 devrait renouer avec le faste de cet événement qui pourrait rassembler jusqu’à dix mille personnes. Organisé à l’occasion de la fête juive de Lag Be Omer, ce pèlerinage est aussi un hommage à des rabbins réputés. Cette célébration coïncide avec le trente-troisième jour après Pessah. De nombreuses traditions ponctuent le pèlernage, notamment celle qui consiste en la procession de la « manara ». Le pèlerinage de la Ghriba, cette année, sera aussi l’occasion d’un iftar intercommunautaire puisque l’événement se déroule durant le mois de Ramadan. A Djerba, la synagogue de la Ghriba sera en fête pour plusieurs jours et les pèlerins sacrifieront à tous les rituels ancestraux. En Tunisie, il existe plusieurs pèlerinages juifs mais celui de la Ghriba est le plus connu, au point qu’il en est devenu quasiment un événement touristique. En effet, selon un usage non écrit, le succès du pèlerinage ouvre la voie à une bonne année touristique. C’est pour cela que toute la profession scrute avec attention les préparatifs de ce pèlerinage qui aura lieu la semaine prochaine. Le judaïsme tunisien est toujours vivant, avec une communauté de plus d’un millier de personnes, essentiellement concentrée à Djerba, au village de Hara Kebira. Dans les années 1950, il y avait encore en Tunisie près de 120.000 citoyens de confession juive. Les exodes successifs ont impliqué la quasi-disparition de la communauté. Seules quelques villes (Tunis, Sousse, Sfax, La Goulette) gardent encore leurs synagogues et préservent leur patrimoine juif. C’est aussi le cas de Nabeul qui, à son tour, devrait en août prochain accueillir un pèlerinage dédié à Rebbi Slama. D’autres pèlerinages persistent comme à Testour ou El Hamma où des hommages sont rendus à Rebbi Fradj et Rebbi Youssef. Il n’en reste pas moins que le pèlerinage de la Ghriba reste le plus connu, le plus suivi et le plus médiatisé. Nous en aurons une nouvelle illustration dans les prochains jours.

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Que savons-nous de la Ghriba ? Tout le monde sait que c’est une synagogue. Beaucoup savent aussi que plusieurs synagogues tunisiennes ont porté le nom de « Ghriba ». L’une d’elles se trouvait à l’Ariana et j’ai habité à sa proximité. Je me souviens encore des fidèles psalmodiant la Thora à l’intérieur de ce lieu de culte discret mais fervent. L’été venu, avec l’arrivée des vacanciers, la petite synagogue ne désemplissait plus. Ce sont aussi des souvenirs d’adolescence qui me lient à la Ghriba de Djerba et, à chaque séjour dans l’île, je ne manque jamais de me rendre en ce lieu et à d’autres. En fait, Hara Sghira où se trouve la synagogue a été l’un des gros villages juifs de Djerba. Quant à Hara Kebira, lorsque mes pas m’y mènent, j’y retrouve lieux de prières, « yeshivas » et adresses gourmandes. Mon dernier pèlerinage à la Ghriba remonte à 2003. J’y avais accompagné une délégation américaine, venue de New York et composée, pour l’essentiel, de juifs ashkenazes. Ce fut un moment rare car les membres de la délégation découvraient les coutumes des juifs sépharades. Entre la synagogue, l’oukala et la procession, il n’y eut que des temps forts, malgré le contexte sécuritaire plutôt tendu. Depuis, je reviens souvent à la Ghriba de Djerba pour la faire découvrir à des amis et des visiteurs. J’y reviens aussi pour retrouver des amis dans la communauté juive. A chaque fois, je reste admiratif devant l’architecture de la Synagogue et observe chaque détail. En fait, dans sa version actuelle, la synagogue date des années 1920 lorsqu’elle a été restaurée complètement et rénovée selon le style qui depuis est le sien. Toutefois, selon la légende, l’édifice est là depuis fort longtemps et « Ghriba » aurait bel et bien existé. On vous racontera à Djerba qu’il y a des siècles, une étrangère était venue au village de Hara Sghira. Ne trouvant où s’installer, elle ira un peu à l’extérieur du village pour s’installer dans une hutte. Un événement miraculeux se produisit alors qui décida la communauté à édifier un lieu de culte à l’endroit même où se trouvait la hutte de la mystérieuse étrangère. De fait, le terme « Ghriba » signifie aussi bien « étrange » que « mystérieuse ». Le mot a plusieurs sens car il peut aussi signifier « merveilleuse », « inouïe », « extraordinaire ». C’est dire que l’étrangère disparue reste insaisissable ! Comme il fallait bien tenter de la saisir – ne serait-ce que dans son essence spirituelle – une idée a mûri ces dernières semaines, avec pour architecte une artiste plasticienne de renommée, la Tuniso-Russe Olga Malakhova. L’idée était de rendre hommage à la Ghriba et produire des traces artistiques inspirées du personnage mythique et de la synagogue séculaire. Dès ses premiers pas, j’ai pu participer à ce projet en écrivant des textes, en relisant les toiles créées par Olga Malakhova, en essayant de m’inspirer à mon tour des œuvres artistiques. Et ce pas de deux a abouti à un projet artistique, actuellement en plein développement.

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L’idée a jailli le soir de Pessah. Selon un rituel bien ancré, je participais à un dîner pascal avec plusieurs amis juifs. Après la circulation du « seder », les prières d’usage et les petits plats de la tradition, la conversation commença. Et, mot après mot, nous en vînmes à l’idée de rendre hommage à la Ghriba en effectuant des travaux artistiques entre Pessah et Lag Be Omer. Durant une trentaine de jours, Olga Malakhova sera au travail pour créer des tableaux. Pour ma part, durant la même période, je devais écrire des textes poétiques. C’est ainsi qu’est né le projet « Lady Ghriba ». Il s’agit d’une série de sept tableaux – autant que les branches d’une « menora » juive – célébrant la Ghriba et cette mystérieuse fondatrice. C’est un projet artistique à quatre mains qui consiste pour une orthodoxe et un musulman à célébrer une tradition juive. Ce projet est aussi ouvert sur l’imagerie caractéristique du judaïsme tunisien. Depuis quasiment un mois, les œuvres sont en train de naître et offrent un regard inédit sur « Lady Ghriba ». C’est dans le sillage de ses recherches actuelles qu’Olga Malakhova a inséré son travail. Cette artiste a en effet créé une série qui est vouée à « Lady Elissa » et, de manière iconoclaste, rend hommage à la fondatrice de Carthage. Dans son style particulier, foisonnant et onirique, Malakhova est en pleine quête. Il y a du mysticisme et de l’art pur dans sa démarche. Fidèle à l’enseignement de Kandinsky, cette artiste essaie de faire vibrer l’œuvre et laisser parler son inconscient. Et ce sont des toiles surprenantes qui naissent de cette démarche et que j’ai la chance de découvrir, ce faisant. Pour ma part, je continue à écrire, à chercher des points d’appui pour ouvrir des perspectives sur le mystère de la Ghriba. Ce nouveau projet fait suite à un autre travail réalisé en commun avec l’artiste Malakhova. Il avait consisté en décembre dernier à écrire de brefs poèmes de « Hanouka » pour célébrer la lumière. Plusieurs cycles de huit poèmes ont ainsi été réalisés alors que l’artiste réalisait des fonds de tableaux qui, par définition, sont aussi éphémères que la lumière d’une bougie. Ces deux projets portent donc un travail commun. Le dernier en date s’intitule « Lady Ghriba » et devrait être accompli dans une dizaine de jours, alors que commence le pèlerinage de Lag Be Omer. Je vous invite à découvrir les travaux d’Olga Malakhova et voir comment cette artiste a investi cette thématique. Cette aventure artistique est passionnante. Pour les deux personnes qui la portent, elle a signifié beaucoup de questions et autant de réponses. Cette rencontre impromptue avec « Lady Ghriba » est celle d’un regard sur un mythe tunisien que les artistes n’ont jamais abordé. C’est aussi une rencontre humaine avec la tradition juive tunisienne. C’est enfin un hommage à la diversité tunisienne et au melting pot qu’est notre pays. Bientôt, nous verrons l’ensemble des travaux réalisés par Olga Malakhova. J’aurai aussi l’occasion de vous présenter quelques écrits qui sont autant de clins d’œil à « Lady Ghriba ». Dans le droit fil du pèlerinage qui aura lieu dans les prochains jours…

Hatem Bourial Tunis-Hebdo du 13/05/2019




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