Depuis l’indépendance, on n’a pas connu pareil écueil dû à l’absence, surtout à travers toutes les régions de la République, des denrées alimentaires de première nécessité, particulièrement celles à base de céréales, comme c’est le cas aujourd’hui.
Toutefois, la responsabilité de cette situation quasi lamentable incombe partiellement à nos ménagères, mais surtout aux malfrats qui s’adonnent à cœur-joie dans le trafic des biens de consommation au risque de provoquer chez nous des disettes…
A noter que nos ménagères raflent à tour de bras tout ce qui leur tombe sous les yeux. Question de ne pas subir, un tant soit peu, une pénurie d’aliments et la crainte de ne pouvoir s’en procurer à l’avenir.
Situation devenant encore plus inacceptable d’autant plus qu’aucun frein n’est imposé à cette frénésie et que l’avènement si proche du mois de Ramadan – période festive où les familles dépensent en général sans compter – est au seuil de nos portes.
Du coup, cette crainte, souvent injustifiée, d’un manque quelconque de produits de première nécessité pousse les citoyens aux achats avec frénésie, allant jusqu’à provoquer des pénuries dans les commerces, y compris les grandes surfaces.
Cet état de fait a dégénéré, par voie de conséquence, en l’apparition périodique d’un grand manque de produits à travers presque la totalité des marchés de la République. Et c’est là la juteuse aubaine, tombée du ciel, pour les trafiquants de tout acabit de procéder à leurs honteux trafics.
Il s’agit, entre autres, d’emmagasiner clandestinement des centaines de tonnes de produits alimentaires subventionnés par l’Etat, donc à bon marché, en l’occurrence la semoule, la farine, le sucre, etc., quitte à affamer, dans un premier temps, le citoyen lambda, avant de mettre ces différents produits à sa portée – mais à des prix exorbitants – s’agissant de leurs divers recels.
Par ailleurs, certains trafiquants vont jusqu’à exporter clandestinement les denrées de l’Etat à destination des pays voisins de l’ouest comme du sud, du fait que cela leur rapporte beaucoup plus de profits en monnaies sonnantes et trébuchantes.
Dès lors, rien d’étonnant qu’on assiste, aujourd’hui, impassibles – fait tout à fait impossible ou presque sous Bourguiba ou Ben Ali – à des actes répulsifs rappelant des scènes de famine qu’aurait connues notre pays dans un passé lointain.
Il s’agit des récentes razzias à l’intérieur du pays, particulièrement dans les régions arides du sud. En effet, des énergumènes osent s’attaquer à des poids-lourds chargés de semoule ou de farine. Ils les dévalisent tout bonnement !
Or, la Tunisie n’est plus, comme par le passé, un grand producteur de céréales, fournisseur aussi bien de l’Europe que des Etats-Unis.
Savez-vous, par exemple, que la coquette petite ville maritime de Hergla, située à l’entrée nord de Sousse, fournissait, elle aussi, les céréales à l’Italie, après avoir satisfait les populations des régions du Sahel, «Hadrumète» comprise.
Aujourd’hui, on peut visiter, au sein de cette petite ville portuaire, des silos fort antiques, destinés à engranger, entre autres, du blé et de l’orge.
Depuis, que de choses ont changé ! Notre agriculture est presque entrée totalement en décrépitude. Nos fellahs, grands et petits, ont quitté, pour la plupart, leur lopin de terre sans toutefois s’assurer d’organiser une relève quelconque pour reprendre le flambeau. La jeunesse montante, doit-on le noter, préférant de loin immigrer dans les grands centres urbains où la vie leur semble plus facile et plaisante.
D’un autre côté, nos paysans se contentent, depuis plusieurs décades, de planter des légumes maraîchères ou des oliviers, ne demandant que peu d’entretien, donc moins de frais. Ces derniers étant beaucoup plus rentables que de s’adonner à la culture aléatoire des céréales qu’acquièrent les représentants de l’Etat à vils prix, en général.
A titre d’exemple, la Tunisie ne produit annuellement que la moitié de ses besoins de consommation en blé dur et importe également du maïs, de l’orge et du soja. Cette dernière culture étant indispensable au bétail.
En 2021, nos importations totales en céréales étaient de l’ordre de 1095 millions de tonnes avec 47,7% provenant d’Ukraine et 3,97% de Russie. Ces deux pays étant actuellement, comme on le sait, en guerre depuis près d’un mois.
Certes, nous ne sommes pas les seuls à travers le monde à connaître pareilles situations aléatoires. Pas moins de 45 autres Etats sont, plus ou moins, dans notre cas ! Il y a en premier lieu l’Egypte, premier importateur mondial de blé (85% provenant de l’Ukraine).
Il y a le Yémen où près de cinq millions de ses citoyens risquent de souffrir cruellement des affres de la faim. Il y a aussi le Liban, le Soudan, la Somalie…
Cela comprend, également, davantage d’entités africaines dont le Burkina Faso, la République D. du Congo, etc. Au total, il y a des dizaines de pays africains menacés de voir leurs peuples condamnés à végéter véritablement et de subir de graves vissicitudes alimentaires, avec l’éventualité d’entrer en dissidence aux prévisions sombres.
Quant à la situation de la « Petite Tunisie », comme on dit abusivement, elle est aussi fort précaire. Chez nous, la crise alimentaire – si on ne prenait pas assez rapidement des initiatives adéquates et fort courageuses et une fois nos réserves de céréales épuisées – risque, à son tour, de s’installer pour de bon au sein de nos différents fiefs aussi.
Et quand on sait la mélasse dans laquelle se débat notre pays aussi bien politiquement, financièrement (les crédits du FMI toujours aléatoires), que socialement, avec les menaces de grèves généralisées chez nous pour un oui ou pour un non dans plus d’une de nos contrées, on peut d’ores et déjà mesurer l’éventuelle gravité de la situation que nous « effleurons ».
Le bon peuple, du moins, certaines de ses braves franges, ne trouve actuellement que difficilement et la semoule et la farine ainsi que le sucre dont nos familles, à nous tous, ont énormément besoin.
Qu’en sera-t-il encore, mon frère, quand nos appels d’offres internationaux pour l’achat de ces denrées de première nécessité se trouveront bloqués, ou tombent à l’eau ? Et cela du fait de la grande concurrence mondiale. Celle-ci ayant rendu les prix des différents achats exorbitants. Alors que nos moyens financiers, il faut l’avouer, sont perpétuellement en-deçà de nos besoins et de nos légitimes prétentions.
Tout cela en raison – on ne le répètera jamais assez – de la guerre russo-ukrainienne qui risque de se prolonger outre mesure… Toutefois, notre salut ne peut venir que de la culture intensive de nos bonnes terres du nord comme celles du centre de notre pays.
Il faudrait, dorénavant, imposer une réglementation rigoureuse acculant les paysans et les propriétaires de vastes surfaces à cultiver les céréales. Et cela, en priorité et en premier lieu, obligatoirement. Et s’il le faut, par le recours à la loi.
Reste qu’il leur faut un minimum de soutien consistant, entre autres, en des semences de qualité et surtout au recours aux engrais indispensables, particulièrement l’ammonitre et consorts. Et cela, à des prix assez abordables, voire subventionnés pour de bon.
N’oublions pas que quand nos fellahs, «gens toujours assis tout près de leur sous», n’y trouvent pas leurs bons comptes, donc pas suffisamment de profit, ils se détournent tout bonnement de l’affaire. Tout comme ce fut le cas lors du système de coopératives créé par Ben Salah, le super-ministre aux cinq portefeuilles… Et ses lamentables faillites !
Et si on voulait pour de bon sortir la tête de l’eau, il faudrait impérativement agir dans le bon sens : savoir planifier, financer et surtout conseiller à bon escient. Sachant que le salut de la Tunisie ne peut venir que de ses terres.
Fallait-il, toutefois, savoir prendre les bonnes initiatives. Sans les recours adéquats, on n’arrivera jamais à rien de satisfaisant ! Il faut aussi que les voix de nos agriculteurs soient entendues pour de bon !
M’Hamed BEN YOUSSEF
Tunis-Hebdo du 21/03/2022