Samedi 8 septembre, le maréchal Khalifa Haftar, commandant en chef de l’Armée nationale libyenne, aurait déclaré que « les forces armées algériennes profitaient du chaos qui règne en Libye pour faire des incursions aux frontières ». Haftar aurait également fait allusion à la « possibilité de déplacer la guerre en Algérie en cas de récidives ». Des propos aussitôt relayés par la chaîne de télévision qatarie, Al Jazeera, qui n’a pas manqué de mettre de l’huile sur le feu en attisant la colère des Algériens. Deux jours plus tard, l’homme fort de Libye monte au créneau en affirmant que ses paroles ont été déformées et qu’il n’est pas question d’une quelconque animosité avec le « pays frère ». Mais alors, qu’en est-il réellement ?
Petit saut dans le passé pour faire le point sur l’historique des relations bilatérales qu’ont entretenues, jusqu’à aujourd’hui, l’Algérie et la Libye. Au cours des 41 ans de règne de Mouammar Khadafi (du 1er septembre 1969 au 23 août 2011) à la tête de la Libye, les rapports entre les deux pays d’Afrique du Nord ont été assez amicaux.
Lorsque l’Algérie conclut, en 1983, le Traité algérien de Fraternité et de Concorde avec la Tunisie, la Libye, poussée par un sentiment de jalousie fraternelle, conclut, à son tour en 1984, le traité d’Oujda avec le Maroc. C’était d’ailleurs la seule fois où les relations entre les deux pays s’envenimèrent quelque peu. Il faut dire qu’être parmi les plus grands producteurs de pétrole du monde aide à maintenir une atmosphère de paix et de bon voisinage.
Révolution me voilà
En 2011, les pays du Maghreb sont frappés de plein fouet par la Révolution du jasmin. Bien que la fuite de Ben Ali et la démission de Moubarak se soient faites dans un climat de non-violence, la chute de Kadhafi s’est faite, quant à elle, dans un bain de sang. Très tôt, la Libye est en proie à une hausse de la criminalité et devient un foyer du terrorisme à l’échelle africaine.
L’exode massif des Libyens, la destruction des infrastructures basiques du pays et le contrôle des puits de pétrole par les membres de Daech donnent une idée du chaos qui règne dans ce pays. La Tunisie et l’Algérie deviennent, par la même occasion, des victimes collatérales de cette situation désastreuse puisque les frontières libyennes ne sont plus surveillées par l’armée.
Ainsi, des centaines de terroristes et de contrebandiers pénètrent dans les territoires voisins et commettent leurs méfaits (bataille de Ben Guerdane, par exemple).
Dans ce contexte, les forces armées algériennes se voient dans l’obligation d’intervenir elles-mêmes au niveau des frontières avec la Libye pour tenter d’intercepter les terroristes avant qu’ils n’arrivent en Algérie. Mieux vaut prévenir que guérir en quelque sorte.
Toutefois, de mauvaises langues s’accordent à dire que les Algériens ont l’intention de repousser les frontières avec la Libye pour s’accaparer, petit à petit, des territoires non contrôlés par l’armée. Balivernes ! Car ce serait une folie de déclencher une guerre avec un pays aussi instable et qui n’a plus grand-chose à perdre contrairement à l’Algérie. Quitte à mettre un coup de pied dans un nid de frelons.
Haftar en première ligne
Depuis son retour en Libye, le maréchal Khalifa Haftar est devenu le fer de lance de cette nation en convalescence. Opposant farouche aux islamistes et fervent patriote, Haftar n’a pas l’intention de plonger son pays dans une nouvelle guerre à quelques semaines des élections présidentielles qui auront lieu le 10 décembre.
Lorsqu’il fit allusion aux incursions algériennes, il voulait simplement dire que l’armée algérienne ne se risquerait pas à provoquer la Libye sous peine d’un conflit armé aux frontières. Or, lorsque ses propos ont été sortis de leur contexte par la chaîne Al Jazeera, Haftar est devenu ce chef belliqueux prêt à dégainer les armes en toutes circonstances.
Deux jours après son intervention, le chef des armées libyennes est revenu sur ses déclarations en affirmant qu’il « n’attaquerait jamais un pays arabe ». Il a d’ailleurs qualifié Al Jazeera comme un « journal satanique » qui reflète les réelles volontés du Qatar, à savoir mettre le Maghreb à feu et à sang.
Si l’on partage cette hypothèse, on pourrait faire le lien avec l’éventualité d’un blocus du détroit d’Ormuz par l’Iran qui empêcherait le Qatar de vendre son pétrole à l’étranger. Ce qui profitera à la Libye et l’Algérie qui redeviendront des cadors dans le marché de l’or noir à l’échelle internationale.
Mohamed Habib LADJIMI
Tunis-Hebdo du 17/09/2018