Il était prévu qu’elle brille sur la scène mondiale. Ghofrane Belkhir, championne tunisienne d’haltérophilie, devait participer aux Championnats du monde à Førde, en Norvège. Mais à l’aéroport d’Oslo, quelque chose a changé. Son passeport et ses bagages restaient sur le comptoir. Ghofrane avait disparu.
Ce n’était pas un incident isolé. Derrière ce départ soudain se cache une tendance inquiétante : des sportifs tunisiens qui, envoyés à l’étranger pour défendre les couleurs de leur pays, choisissent parfois de ne pas revenir. Entre aspiration légitime à de meilleures conditions de vie et opportunité de carrière, le sport tunisien semble être à la croisée des chemins.
Des trajectoires qui racontent le phénomène
- Ghofrane Belkhir – haltérophilie (octobre 2025)
Elle laisse derrière elle les applaudissements, les entraîneurs inquiets et une fédération qui cherche des réponses. La Norvège devient le point de bascule entre une carrière prometteuse et une fuite vers l’inconnu. - Abir Zarrouki – lutte (février 2024)
À Nice, lors d’un stage de perfectionnement, la jeune championne d’Afrique de lutte, 18 ans, décide de prendre un chemin inattendu. Ses coéquipières la voient partir, laissant derrière elles un vide et une inquiétude palpable. - Khalil Zaouali – football (février 2023)
À 19 ans, le jeune footballeur quitte son club, l’Avenir Sportif de Rejiche, pour traverser clandestinement l’Italie. Une décision qui choque son entourage mais illustre la quête d’une carrière que la Tunisie ne peut plus toujours offrir. - Trois jeunes haltérophiles – Espagne (septembre 2024)
Lors du Championnat du monde junior à León, trois jeunes hommes disparaissent dans l’inconnu, laissant la fédération tunisienne et les autorités espagnoles dans l’incertitude. Une enquête est ouverte, mais le geste des athlètes traduit une réalité partagée : l’Europe représente une alternative tangible à des conditions trop limitées dans leur pays.
Derrière chaque départ, des raisons qui s’accumulent
Ces fuites ne sont pas motivées uniquement par le désir de briller ailleurs. Elles traduisent une accumulation de facteurs structurels. Les salaires modestes, les primes limitées et les infrastructures insuffisantes dans le pays sont des réalités quotidiennes pour de nombreux sportifs tunisiens.
L’encadrement reste inégal, avec un manque de coachs spécialisés, un suivi médical partiel et des structures professionnelles fragiles. Par ailleurs, l’attractivité des clubs étrangers, la visibilité internationale et les contrats plus compétitifs renforcent l’idée que l’Europe ou d’autres destinations offrent un horizon plus prometteur. À cela s’ajoutent des considérations personnelles : sécurité, stabilité de vie et perspectives d’avenir, souvent absentes du quotidien tunisien.
Les conséquences de ces départs sont tangibles. Les équipes nationales perdent leurs jeunes talents les plus prometteurs. Les fédérations doivent réorganiser en urgence les stages et compétitions. L’image du sport tunisien à l’international en souffre, affectant crédibilité et attractivité. Enfin, les sponsors et partenaires financiers se montrent plus prudents, freinant le développement global. Chaque départ devient un signal d’alerte sur les failles structurelles d’un système sportif qui peine à retenir ses meilleurs éléments.
Face à cette réalité, les fédérations tentent des mesures de prévention : rappels des athlètes, négociations, incitations financières et accompagnement matériel et médical. Mais ces initiatives butent souvent sur des limites structurelles : budgets insuffisants, bureaucratie lourde et infrastructures inadéquates. Les solutions existantes restent fragiles face à la pression des opportunités à l’étranger.
Au final, les disparitions d’athlètes tunisiens lors de compétitions ou stages internationaux dépassent le simple fait divers. Elles révèlent une fragilité du sport national et la nécessité d’un engagement structurel profond. Investir dans l’encadrement, renforcer les infrastructures et offrir un soutien concret aux jeunes talents apparaît comme la seule solution pour que le rêve d’un podium ne devienne pas un chemin vers l’exil, et pour que la Tunisie puisse conserver et valoriser ses champions.