Arrêté le 1er juillet 2008 en compagnie de son père dans le cadre de la violente répression des manifestations syndicales organisées dans la région de Redeyef, le militant Moudhafer Laabidi avait porté plainte le 9 juin 2014 pour les sévices subis sept jours durant lors de sa détention au commissariat de Gafsa jusqu’à ce qu’il signe des aveux. Aujourd’hui, il attend toujours qu’une enquête soit ouverte…Soutenu par l’ACAT, ONG chrétienne contre la torture et la peine de mort et TRIAL (Track Impunity Always), association de droit suisse au service des victimes des crimes les plus graves (génocides, crimes contre l’humanité, crimes de guerre, tortures et disparitions forcées), Moudhafer Labidi a porté plainte le 9 juin 2014. Une plainte restée sans suite et qui préoccupe l’ACAT.
Dans une lettre adressée au ministre de la Justice, Hafedh Ben Salah et datée du 14 juillet 2014, l’ACAT réitère sa demande quant à l’ouverture d’une «enquête indépendante, sérieuse et impartiale» sur les sévices subis par Moudhafer Labidi d’autant plus que la plainte n’a toujours pas été enregistrée par le greffe du tribunal de Gafsa :
[quote_box_left]«Je souhaite vous faire part de ma préoccupation concernant le fait qu’aucune enquête n’a été ouverte à la suite du dépôt d’une plainte, le 9 juin 2014, concernant les tortures subies par Moudhafer Labidi lors de son arrestation en 2008».[/quote_box_left]
«En 2013, l’ACAT et son partenaire suisse TRIAL ont engagé un avocat tunisien, Me Lotfi Ezzeddine, avec lequel elles ont documenté les tortures subies par M. Labidi afin de déposer une plainte devant la justice tunisienne.
«À ce jour, la plainte n’a toujours pas été enregistrée par le greffe du tribunal de Gafsa et l’ACAT craint que le procureur prenne pour prétexte la création d’une instance de justice transitionnelle pour refuser d’ouvrir une enquête pour torture et renvoyer la victime vers l’instance dont les prérogatives sont encore mal définies et qui n’aura, de toute façon, aucun pouvoir judiciaire».
«Dans ces circonstances, je vous demande de bien vouloir vous assurer qu’une enquête indépendante et sérieuse sera ouverte dans les plus brefs délais concernant les sévices subis par Moudhafer Labidi et que cette enquête présentera les garanties de sérieux, d’indépendance, d’impartialité et de diligence requis par les standards internationaux et notamment par la Convention des Nations unies contre la torture ratifiée par la Tunisie».
Rappelons que Moudhafer Labidi avait été arrêté alors que les manifestants protestaient contre la fraude ayant entaché le concours de recrutement de la Compagnie des phosphates de Gafsa, principal employeur de la région. Le jeune militant, alors âgé de 23 ans, avait été interrogé et torturé pendant sept jours au commissariat, de même que son père et d’autres personnes présumées avoir participé aux manifestations syndicales.
Après avoir signé des aveux sous la torture, il avait été présenté devant un juge d’instruction qui avait ordonné son placement en détention. Le juge d’instruction n’avait pas demandé l’ouverture d’une enquête pour torture malgré les traces de coups et le récit des sévices fait par la victime.
En décembre 2008, Moudhafer Labidi a été condamné à six ans d’emprisonnement aux côtés de 37 autres accusés, eux aussi torturés pour la plupart. Il a bénéficié d’une libération conditionnelle près d’un an plus tard, probablement en raison des fortes protestations que cette vague de répression a suscitées.
Depuis septembre 2012, l’ACAT et son partenaire suisse, TRIAL, ont développé un grand nombre d’actions pour aider les victimes de torture à obtenir justice en mettant en œuvre un programme de renforcement des capacités de travail des avocats travaillant sur les dossiers de torture.
En novembre 2012, dans le cadre de ce projet, l’ACAT et TRIAL ont formé une vingtaine d’avocats tunisiens, puis engagé plusieurs d’entre eux, pour travailler sur 14 dossiers de victimes ayant été torturées en Tunisie avant ou après la révolution, dont le dossier de Moudhafer Labidi.
Le 14 janvier 2014, l’ACAT et TRIAL ont publié un rapport, «Tunisie, un printemps inachevé : dix cas de torture passés au crible», qui dresse le bilan de leur travail et formule des recommandations à l’attention des autorités tunisiennes pour améliorer la lutte contre l’impunité.