Le secteur de l’importation des voitures profite à des rentiers qui se comptent sur les doigts des deux mains. C’est la logique des quotas imposée par l’Etat qui les partage. C’est ce que dénonce l’Association de lutte contre l’économie de rente, Alert.
Une polémique ravivée autour d’un marché devenu inabordable
A mesure que le Parlement discute la loi de finances 2026, la question du prix des voitures revient au cœur du débat public. La baisse annoncée de la fiscalité automobile, les interrogations autour de la “voiture familiale” et l’envolée des prix, du neuf comme de l’occasion, ont transformé ce sujet en enjeu national.
Une émission récente diffusée sur la Radio Nationale, relayant un ancien rapport de l’Association de lutte contre l’économie de rente (Alert) et commentée par son membre Dhia Khalfallah, a remis en lumière une réalité connue mais rarement explicitée : le marché automobile tunisien fonctionne toujours selon une logique de rente héritée de l’ère Ben Ali, largement intacte malgré la révolution de 2011.
Un marché structuré par la rareté
En Tunisie, la flambée des prix ne relève pas du hasard. Elle est la conséquence directe d’un système administratif fondé sur les quotas d’importation. Chaque année, l’État limite le nombre de véhicules pouvant entrer sur le territoire — environ 50 000 voitures, selon les estimations.
Ce plafond, très inférieur à la demande réelle, entretient une rareté artificielle aux effets visibles : les voitures neuves demeurent inabordables, certaines voitures d’occasion se vendent plus cher que leur prix d’origine, et une partie de la classe moyenne se retrouve exclue du marché. Une situation exceptionnelle au regard des pratiques internationales, qui s’explique par la manière dont les privilèges sont distribués dans le secteur.
Dix groupes, un système inchangé depuis vingt ans
Selon Alert, dix groupes économiques concentrent aujourd’hui une large part du marché : 73 % de l’importation et de la distribution automobile, 72 % de l’assurance auto et 78 % du leasing. Cette concentration ne se limite pas à un simple oligopole commercial : elle forme un circuit fermé où les mêmes acteurs importent les véhicules, les distribuent, financent leur achat et assurent les automobilistes.
Sous Ben Ali, ces privilèges — licences d’importation, exclusivités commerciales — étaient accordés selon des logiques politiques. Après 2011, les noms ont changé, mais le mécanisme est resté identique. La révolution a modifié les acteurs, non le modèle. “Le même groupe peut vous vendre la voiture, financer votre achat et assurer votre contrat”, résume Dhia Khalfallah. “C’est un cas d’école de l’économie de rente.”
Des marges supérieures à celles des constructeurs eux-mêmes
Un élément particulièrement frappant concerne les marges réalisées dans la distribution tunisienne. Selon les données citées dans l’émission, un concessionnaire tunisien obtient en moyenne 10 % de marge sur une voiture neuve, tandis qu’un constructeur japonais se contente de 5 à 7 %. Autrement dit, la distribution automobile en Tunisie peut rapporter davantage que la fabrication elle-même. Ce paradoxe est permis par la rareté, les exclusivités et le manque de concurrence effective.
L’arrivée massive de marques chinoises — BYD, Chery, Geely, Haval, BAIC ou DFSK — a pu donner l’illusion d’une ouverture du marché. Ces nouvelles enseignes ont élargi l’offre, mais sans modifier la structure du secteur. Les nouveaux concessionnaires se sont insérés dans un système où les exclusivités demeurent, l’accès aux licences reste contrôlé, les marges restent élevées et la véritable concurrence est limitée. Le marché s’est élargi sans se libéraliser.
Une réforme fiscale qui ne touche pas le cœur du problème
La loi de finances 2026 revoit à la baisse la fiscalité automobile — 10 % de droit de consommation et 7 % de TVA, contre plus de 45 % auparavant. La mesure s’inscrit notamment dans le dispositif de la “voiture par famille”, adopté via l’article 55, qui promet une exonération partielle pour un unique véhicule par foyer. Mais ce mécanisme demeure strictement plafonné et ne concerne qu’une fraction limitée des importations.
Pour les observateurs, cette évolution ne modifiera pas la structure du marché. Car ce n’est pas la fiscalité qui crée la rente, mais les quotas, les exclusivités et la répartition opaque des autorisations.
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