Dans le cadre de leurs récents mouvements pour protester contre les atteintes à la liberté de la presse et à ses représentants, les journalistes ont remis à Mustapha Ben Jaafar, Président de l’Assemblée Nationale Constituante, un message où ils ont insisté sur la nécessité de faire figurer la liberté de presse dans la constitution de la nouvelle république. Ce n’est pas la première fois qu’ils émettent cette requête puisque dès l’élection de l’Assemblée, ils n’ont cessé d’exiger la consécration de cette liberté dans la loi fondamentale de l’État. Mais ce ne sera pas la première fois en Tunisie où la liberté de la presse sera citée en tant que droit fondamental puisqu’elle est déjà prévue dans l’article 8 de constitution de 1959 au titre des libertés d’opinion et d’expression.
Quel sera alors l’apport de la constitution à concevoir dans le domaine de la liberté de presse si la démarche va se limiter à reprendre une formulation antérieure ? La question se pose d’autant plus que sous l’empire de l’ancienne constitution et malgré les dispositions de l’article 8 susvisé, la liberté de presse n’a jamais été respectée dans l’histoire contemporaine de la Tunisie sauf de façon très limitée dans le milieu des années soixante-dix du siècle écoulé.
Pour verrouiller cette liberté et empêcher les journalistes de jouer convenablement leur rôle,les autorités avaient à leur disposition un code de la presse axé sur la censure et la répression. Les modifications apportées à ce code n’avaient pas changé grand-chose à la situation puisque la censure n’a pas disparu du code et la répression était restée de vigueur jusqu’aux derniers jours de la dictature. Et même si le texte était parfait, les autorités ne se sentaient pas obligées de le respecter dans un État de non-droit.
L’expérience passée nous enseigne donc qu’il existe deux obstacles majeurs à la liberté de la presse : une loi anticonstitutionnelle ( code de la presse ) et l’absence de volonté politique.
S’agissant du code de la presse , son élaboration était permise par la constitution. Selon l’article 8 de la constitution, la liberté de presse s’exerce selon les conditions définies par la loi. Dans la forme, sa mise en vigueur n’a rien d’inconstitutionnel, mais sur le fond, les dispositions qu’ils contenaient étaient très restrictives et contraignantes et se contredisaient avec l’esprit libéral de la constitution de 1959. L’énonciation de la liberté de presse dans la constitution était tout bonnement de la poudre aux yeux .
Pour qu’il n’en soit pas ainsi dans la prochaine constitution, il est indiqué de limiter l’arbitraire de la loi. Celle –ci ne doit contenir ni interdictions à la liberté octroyée ni sanction à raison des opinions exprimées. À cet effet, la formulation du texte constitutionnel est d’une extrême importance en consacrant à la liberté de presse une disposition spécifique et en lui reconnaissant officiellement et explicitement le caractère d’un droit constitutionnel fondamental et sacro-saint. La liberté de la presse doit être exercée sans restriction aucune dans le cadre de la déontologie et l’éthique de la profession. Ainsi plutôt que de faire référence à la loi pour fixer les conditions et modalités d’exercice de la liberté comme c’est le cas de l’article 8 de l’ancienne constitution , il vaut mieux faire renvoi au code de la déontologie de presse à élaborer par les journalistes et leurs syndicats comme le requiert la démarche de la démocratie participative.
S’agissant du second obstacle qui réside dans la volonté politique, le seul garde-fou plausible pour que l’État ne se détourne pas de ses obligations en matière de libertés et des droits de l’homme est la Justice qui doit avoir son dernier mot pour tout ce qui a trait au respect de la constitution et aux droits constitutionnels. Les syndicats et les composantes de la société civile ont également un rôle important à jouer pour la préservation de la liberté de presse à travers la dénonciation des abus et la réaction aux violations de la liberté.
À côté de la reconnaissance solennelle et de la volonté politique, les derniers événements ont démontré que la liberté de presse est également menacée par les extrémistes qui veulent imposer leurs idéaux en s’attaquant aux journalistes et aux citoyens qui émettent des opinions différentes des leurs ou présentent des idées et des avis qui ne cadrent pas avec leurs projets. Pour éradiquer ce danger, l’État doit assumer ses responsabilités. Ce devoir de la part de l’autorité publique doit être également mentionné dans la constitution.
Proposition de formulation
« La liberté de la presse est un droit constitutionnel fondamental. Elle est garantie par l’État qui a le devoir de prendre toutes les mesures et d’intervenir pour la préserver et protéger les journalistes dans l’exercice de leur profession. La cour constitutionnelle et les juridictions de droit commun, chacune en ce qui la concerne , veilleront au respect de ce droit dont les conditions et modalités d’exercice sont définies par les journalistes et leurs représentants dans le cadre du code de la déontologie de presse »
M’hamed BEN SASSI – Professeur de droit à l’ITB