[Avertissement : Il existe un doute sur le nom du défunt Mohamed Ali Snoussi. Le ministère de l’Intérieur et la Présidence de la République parlent de Mohamed Ali Souissi, tandis que l’OCTT et l’association Liberté et Équité parlent de Mohamed Ali Snoussi. C’est ce dernier nom que nous utiliserons ici.]
Depuis l’annonce, la semaine dernière, par l’Organisation contre la torture en Tunisie (OCTT), de la mort de deux détenus, Ali Ben Khemais Louati et Mohamed Ali Snoussi, avec de fortes présomptions de torture à leur encontre, l’affaire ne cesse de prendre de l’ampleur.
Ce jeudi 9 octobre, le président de la République Moncef Marzouki lui-même est intervenu, dénonçant « fermement » la torture lors d’une rencontre avec l’avocate et présidente de l’OCTT Radhia Nasraoui.
Deux jours plus tôt, le mardi 7 octobre, le ministère de l’Intérieur publiait un communiqué à propos du cas d’un certain « Mohamed Ali Souissi », dans lequel il fustigeait la « diffamation » envers le ministère et ses agents et dévoilait les conclusions de l’autopsie pratiquée par le médecin légiste de l’hôpital Charles-Nicolle sur le corps du détenu.
Mohamed Ali Snoussi a été violemment passé à tabac par des policiers, selon des témoins
Conclusion : « la mort n’est pas de cause traumatique » pour Mohamed Ali Souissi. Il existe pourtant de fortes présomptions de torture dans le cas de M. Snoussi, décédé le 3 octobre, et dont les photographies du corps meurtri circulent depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux.
Les voisins et la famille Snoussi de la victime, qui témoignent dans une vidéo filmée par l’association « Liberté et Équité », attestent que, lors de son arrestation, l’homme a été violemment passé à tabac devant chez lui, dans le quartier populaire de Mellassine (Tunis), alors qu’il était nu, les mains menottées à l’arrière.
Un certain flou sur la date de l’arrestation et le lieu de la garde à vue
Il existe par ailleurs un certain flou sur la date de l’arrestation de Mohamed Ali Snoussi et le lieu de sa garde à vue.
Selon Ridha Zaghdoud, chargé de la communication à la Direction générale des prisons et de la rééducation, que nous avons joint le mardi 7 octobre, l’homme aurait été arrêté le 30 septembre et emprisonné à Borj El Amri.
« Le 30 septembre, Mohamed Ali Snoussi a subi une visite médicale d’entrée, comme tout autre prisonnier, et le médecin a dit qu’il fallait le transférer à Charles-Nicolle, affirme M. Zaghdoud. Le lendemain [1er octobre], à 10h25, il était déjà à l’hôpital Charles-Nicolle. Le 3 octobre, on nous a informés de sa mort. »
De son côté, le ministère de l’Intérieur évoque un passage devant la justice le 30 septembre.
En revanche « d’après la famille, il a été arrêté le 24 septembre et emmené au poste de police de Hay Hlel [Tunis, délégation d’Essijoumi] et au centre de détention de Bouchoucha », nous indique Imen Triki, avocate et présidente de l’association Liberté et Équité. « Le 30 septembre, il a été emmené au tribunal », confirme-t-elle.
« Ils auraient dû demander une expertise médicale »
Cela impliquerait six jours de garde à vue, ce qui est conforme à la loi puisque cette dernière prévoit trois jours de garde à vue renouvelables une fois. Il n’existe pourtant aucune information sur ces six jours de garde à vue et ce qui a pu s’y passer.
« Comme Mohamed Ali Snoussi a été arrêté pour une affaire de droit commun et non pas pour terrorisme, la loi n’impose pas la présence d’un avocat pendant la garde à vue », explique Me Triki.
« Mais normalement, ils auraient dû informer la famille sur son état de santé, et demander une expertise médicale en présence de la famille », ajoute-t-elle.
Dans le communiqué du ministère de l’Intérieur concernant le cas « Souissi » publié le 7 octobre, il est écrit que la mort est non pas due à la torture, mais à une infection généralisée (une septicémie).
« Le ministère de l’Intérieur n’a pas le droit de voir les résultats de l’autopsie
« Du point de vue de la forme, le ministère de l’Intérieur n’a pas le droit de s’exprimer sur cette affaire puisqu’il y a une enquête judiciaire en cours. Le seul concerné est donc le juge d’instruction, réagit Imen Triki. Le ministère de l’Intérieur n’a pas non plus le droit de voir les résultats de l’autopsie : il y a la confidentialité du dossier, qui est réservé au juge d’instruction et aux avocats. »
Dans le communiqué, le ministère dénonce par ailleurs la « diffamation » dont il serait la victime, ainsi que les agents de sécurité. « Le ministère de l’Intérieur n’est pas le porte-parole des policiers, il est là pour assurer la sécurité du peuple tunisien », estime l’avocate.
Des « justifications » à la torture
« Selon les témoignages de la famille et des voisins de Mohamed Ali Snoussi, il a été maltraité, ajoute Imen Triki. Et même si la torture n’est pas la cause du décès, la famille a le droit de poursuivre les policiers qui ont maltraité M. Snoussi. »
Dans le même communiqué, le ministère de l’Intérieur fait également la liste des onze accusations pour lesquels était recherché un certain Souissi.
« On a toujours l’impression, quand on parle de la torture, qu’il y a des ‘justifications’ : ‘il a été torturé parce que c’est un terroriste’, ‘parce qu’il était alcoolisé’ ou ‘parce qu’il était drogué’… Mais ce n’est pas la question ! », s’emporte la présidente de Liberté et Équité.
Selon l’article 23 de la nouvelle constitution tunisienne, adoptée par l’Assemblée nationale constituante (ANC) le 26 janvier et promulguée le 10 février 2014, « l’État protège la dignité de la personne et son intégrité physique, et interdit la torture morale et physique ».
Entre la confusion des noms, le fou dans cette affaire, seule la justice pourra éclaircir les choses pour la famille et les associations militant contre le fléau de la torture en Tunisie.