Mis à part le milieu cinématographique, peu de gens connaissaient Nadia El Fani avant le 14 janvier 2011. C’est son film documentaire « Ni Allah Ni maître » diffusé à la faveur de l’euphorie post révolutionnaire qui la sort de l’anonymat. Si le film ne suscita aucune réaction lors de sa projection dans le cadre de « Doc à Tunis » en avril dernier, quelques semaines plus tard sa programmation à la salle de cinéma Africart déclencha des actes de violence menés par un groupe de salafistes scandalisés par un film qui constitue, à leurs yeux, une atteinte à la foi musulmane. Une polémique s’en est suivie sur la liberté de création.
Les avis divergent entre ceux qui soutiennent la créativité artistique au nom de la laïcité et la liberté d’expression, et ceux qui sans être extrémistes estiment ce genre de film éminemment provocateur et dépourvu de tout intérêt.
Conscient vraisemblablement de son caractère polémique susceptible d’écorner la sensibilité des croyants, Nadia El Fani rebaptise son film. C’est donc sous le nouveau titre « Laïcité inch’Allah » que la cinéaste propose son documentaire, récemment récompensé en France par le Comité Laïcité République.
Quand bien même ce prix international se veut un soutien à « la laïcité qui n’est pas contradictoire avec la religion », aux dires de Patrick Kessel, président de la Ligue en question, il est besoin de rappeler que le film de Nadia El Fani constitue au fond une prise de position personnelle non sur la laïcité, mais plutôt sur son droit à exprimer son athéisme. La nuance est de taille. En effet, le documentaire de la cinéaste tunisienne, tourné en plein de mois de ramadan précédant la Révolution, évoque le thème de la liberté de ne pas observer le jeûne. Sans rentrer dans les détails, quelques aspects du film sont de nature à égratigner la fibre religieuse. Nadia El Fani a beau souligner son intention de ne pas vouloir stigmatiser l’islam, toujours est-il que sa volonté de revendiquer son athéisme s’apparente à une sorte de prosélytisme. Le prosélytisme n’est jamais de bon aloi. Tout se passe comme si on pouvait mettre sur un pied d’égalité la profession de foi religieuse et l’athéisme dans un pays majoritairement musulman.
S’il ne faut en aucun cas cautionner la violence et les menaces de ceux qui sont hostiles à Nadia El Fani, force est de préciser le risque inutile pris par la cinéaste pour traiter un sujet on ne peut plus sensible et délicat. Dans certains pays occidentaux où la démocratie et la laïcité sont une tradition, de tels sujets font très souvent l’objet de controverses, que dire par conséquent d’une Tunisie fraîchement initiée à la liberté d’expression et qui n’est nullement habituée aux débats d’idées et encore moins à celui inhérent à la religion.
Il n’est nullement question de dénier à Nadia El Fani la liberté de créer, mais seulement de se demander si son travail relève d’une œuvre d’art. Rien n’est moins sûr. Car la création artistique c’est moins l’expression prosaïque et crue de la réalité qu’une manière subtile de traiter de l’ordre établi.
Car faut-il rappeler en définitive que le prix qui vient récompenser le film de Nadia El Fani n’est pas décernée par ses pairs, mais par une instance à vocation politique. Là est toute la symbolique de la récompense.