Lors de la 70ème édition du Festival de Cannes, le scénariste réalisateur égyptien Mohamed Diab avait été choisi pour être membre du jury, présidé par l’actrice américaine Uma Thurman, de la sélection Un Certain Regard.
Mohamed Diab est né en Egypte en 1978. Après des études commerciales, il a travaillé pendant deux ans dans une banque étrangère. Ne s’y sentant pas dans son élément, il décide de faire des études de cinéma à la New York Film Academy.
La première fois que j’avais entendu parler de Mohamed Diab, c’était par pur hasard. En mai 2012, je me trouvais en France et tous les médias parlaient de la sortie dans les salles de cinéma d’un film égyptien réalisé en 2010: Les Femmes du bus 678. C’était l’événement du moment. Tous parlaient de ce jeune réalisateur qui, dans son premier film, avait osé aborder un sujet interdit dans le monde arabo-musulman et qui devenait une vraie plaie en Egypte: le harcèlement sexuel des femmes dans la ville du Caire.
Ensuite, j’avais découvert que ce même scénariste, avait co-écrit avec sa sœur Sherine, un de mes films préférés: Décor, réalisé par Ahmed Abdallah en 2014.
Décor raconte l’histoire de Maha, une femme d’une quarantaine d’années qui se trouve à la croisée des chemins et doit faire un choix: rester avec son mari qu’elle aime, et vivre avec lui une vie d’artistes, bohèmes sans enfants, ou choisir une voie différente, une vie bien rangée et routinière.
Décor avait été sélectionné en compétition officielle des Journées Cinématographiques de Carthage 2014.
J’avais ensuite retrouvé Mohamed Diab grâce à son deuxième film Clash, qui avait justement fait l’ouverture de la section Un Certain Regard lors de la 69ème édition du Festival de Cannes en mai 2016.
Clash est un film difficile que Mohamed Diab a parfaitement maîtrisé. Le scénario est très bien écrit et la réalisation est une vraie prouesse. En effet, pour plus de réalisme, le réalisateur avait fait construire une réplique d’une fourgonnette de police et y avait tourné tout le film, malgré l’espace réduit dans lequel les acteurs devaient se mouvoir.
Pour ce film Clash, Mohamed Diab avait reçu une lettre de félicitations de la part de l’acteur américain Tom Hanks.
Clash a remporté une quinzaine de prix dans divers festivals, dont justement quatre lors des Journées Cinématographiques de Carthage 2016 (Tanit d’Argent, Meilleur montage, Meilleure image et Prix Nejiba Hamrouni pour le Meilleur long métrage). Et cette année, à Cannes, le film a encore remporté deux prix aux Critics Awards : meilleur scénario et meilleure réalisation.
Ce qui caractérise Mohamed Diab est le sens du détail, et surtout son choix des thèmes qui donnent à réfléchir. En plus, il ose. Il ose dénoncer, il ose aborder les sujets qui fâchent. Dans le film Les femmes du Bus 678 par exemple, il a osé aborder le harcèlement sexuel, qui était un sujet tabou par excellence dans nos sociétés arabo-musulmanes. Dans le film Clash il a osé transcender le politique pour aller vers l’humain. Il a osé s’opposer à l’opinion générale qui prévalait en Egypte et qui tendait à diaboliser les islamistes. Il a osé passer outre et essayer de montrer ces gens sous un visage humain.
Lors de la cérémonie des Critic Awards, Mohamed Diab a dit être très heureux de se retrouver à Cannes. Il en est très fier, et se considère très chanceux d’avoir eu l’honneur d’avoir été choisi comme membre du jury. Il a également complimenté Uma Thurman pour sa simplicité et surtout son esprit d’équipe et son respect pour tous les membres du jury.
Mohamed Diab et ses deux trophées pour son film Clash
Pendant la festival, j’ai eu le plaisir d’interviewer Mohamed Diab. Il a répondu très aimablement à mes quelques questions, essentiellement à propos de son expérience cannoise, qu’il a trouvée très enrichissante, et de ses projets futurs.
Quelles sont vos impressions sur cette édition du festival de Cannes ?
Cette année est exceptionnelle parce qu’il s’agit du 70ème anniversaire du festival.
Pour moi l’année passée, bien qu’épuisante, a été une très belle édition puisque j’y avais un film en compétition, et dieu merci, j’avais eu de très bonnes critiques. Malheureusement je n’avais pas eu la possibilité de voir de films, alors que cette année, au contraire, ce qui est génial est que j’ai pu en voir une tonne : j’ai non seulement pu voir les 18 longs métrages en compétition dans la section Un Certain Regard, mais j’ai en plus essayé de faire mon possible pour voir un maximum d’autres films.
Cette édition a été pour moi comme un cours intensif de cinéma, une expérience pédagogique, surtout que s’agissant du 70ème anniversaire, j’ai pu rencontrer énormément de mes idoles présentes pour l’occasion et même d’avoir l’honneur de figurer parmi elles dans la photo de famille de cet anniversaire.
Pensez-vous avoir appris de cette expérience ?
Oui, certainement. Ce que j’ai surtout appris, c’est regarder des films avec d’autres artistes et des personnes qui comprennent l’art. J’ai pu les observer évaluer les films, en discuter, argumenter, être en désaccord… J’écoutais le point de vue de chacun avec beaucoup d’attention et un esprit ouvert pour apprendre.
Il est certain également que regarder aussi attentivement tous les films de la sélection, c’est à dire 18 longs-métrages, en étant de l’autre côté, m’a fait comprendre comment et selon quels critères ces films ont été sélectionnés. Etre membre de jury m’a vraiment ouvert les yeux.
Pouvez-vous nous dire quelque chose à propos du film tunisien La belle et la meute ? Et si possible ce que le jury en a dit ?
Je suis fan de Kaouthar Ben Hania.
Nous avons aimé son film. L’année dernière j’étais à Cannes avec mon propre film Clash, qui avait fait l’ouverture de la section Un Certain Regard. Je n’avais rien gagné et pourtant à chaque fois que je rencontre un membre du jury de l’année dernière, il me dit avoir beaucoup aimé mon film.
Alors ce que j’ai appris cette année est qu’il y a beaucoup de films et que parfois on donne un prix au film à propos duquel les membres du jury ne sont pas tous en désaccord. Parfois je peux beaucoup aimer un film, parfois un ou deux membres du jury peuvent même en adorer un autre alors qu’un troisième membre du jury ne l’aimera pas du tout. Si un seul membre du jury n’aime pas un film, on ne peut lui donner un prix. Un prix est finalement un compromis.
Le film La belle et la meute était vraiment très émouvant. J’ai pleuré en le regardant. J’ai d’ailleurs dit personnellement à Kaouthar à quel point je l’ai aimé. Je pense que c’est le début de quelque chose de très important et que Kaouthar est une très grande cinéaste.
Ou trouvez-vous l’inspiration pour vos scenarios ?
La plupart de mon inspiration pour mes scénarios vient de mon entourage et de mon observation des gens et de l’actualité. Je suis de très très près les actualités. Je lis tous les journaux.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le film Décor ? Comment un homme pouvait-il écrire tout ce que Maha, une femme, ressentait ?
Le film Décor a d’abord été écrit par ma sœur Sherine. Je l’ai co-écrit avec elle et je pense qu’en ce qui concerne les sentiments de la femme, ils sont à porter au crédit de Sherine. Toutefois, par le passé, j’avais écrit sur les femmes dans mon film Les Femmes du bus 678. J’ai su décrire ce qu’elles ressentaient. J’ai d’ailleurs toujours eu de très bons commentaires de femmes qui me disaient avoir cru que ce film avait été écrit et réalisé par une femme.
Les membres du jury Un Certain Regard 2017
Et pour conclure, pouvez-vous nous dire quels sont vos projets d’avenir ?
Je suis en train de monter un projet de film à très gros budget à Hollywood. Et je fais un film en Palestine, avec lequel j’espère venir à Cannes l’année prochaine ou celle d’après. Ce film Deja, s’inspire de véritables histoires de prisonniers palestiniens qui purgent des peines de longue durée dans les prisons israéliennes. Il va suivre une jeune palestinienne de 17 ans, conçue par insémination artificielle, qui part en Israël à la recherche de son père biologique et qui va vivre une histoire d’amour tumultueuse avec un prisonnier de son âge.
Tout comme Les Femmes du bus 678 et Clash, Deja sera caractérisé par une forte protagoniste féminine. J’aime montrer les femmes arabes et écraser tous les stéréotypes. Dans les films occidentaux, les femmes arabes sont souvent représentées comme soumises alors que dans la vie réelle, elles sont souvent plus fortes que les hommes.
Je souhaite bien du succès à Mohamed Diab, qui, il y a quelques jours, a été élu membre de l’Académie des Arts et des Sciences du Cinéma, dans la section scénaristes, ce qui va lui permettre de voter pour l’Oscar du meilleur scénario et l’Oscar du meilleur film.
Neïla Driss
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