Le réalisateur Mohammad Rasoulof a quitté l’Iran sans autorisation officielle. Après un voyage épuisant, il reste incertain s’il pourra assister au Festival de Cannes avec son film « The seed of the sacred fig »
Dans un récent retournement de situation, Mohammad Rasoulof, réalisateur émérite d’Iran, a surpris le monde du cinéma en quittant clandestinement son pays pour l’Europe. Alors que sa condamnation à une peine de prison semblait compromettre toute possibilité de le voir à Cannes ou de réaliser des films dans un avenir proche, sa présence en Europe ouvre de nouvelles perspectives. Dans un communiqué publié depuis sa nouvelle localisation, Rasoulof partage ses réflexions et ses défis, offrant un aperçu rare et poignant de son parcours tumultueux.
Dans une déclaration émise depuis un endroit non divulgué, Rasoulof décrit la répression éprouvante de son équipe en Iran et demande à la communauté cinématographique internationale un « soutien efficace ».
Communiqué :
13 mai 2024 – Le célèbre cinéaste iranien Mohammad Rasoulof a confirmé qu’il a réussi à quitter son pays natal et réside actuellement dans un endroit non divulgué en Europe, laissant entrevoir la possibilité qu’il puisse être présent à la première mondiale de son dernier film The Seed of the Sacred Fig, projeté en Compétition lors du Festival de Cannes de cette année.
Jean-Christophe Simon, PDG de Films Boutique et Parallel45, déclare : « Nous sommes très heureux et soulagés que Mohammad soit arrivé en toute sécurité en Europe après un voyage dangereux. Nous espérons qu’il pourra assister à la première de The seed of the Sacred Fig à Cannes malgré toutes les tentatives pour l’empêcher d’être présent en personne. »
La nouvelle de son départ clandestin survient peu de temps après sa condamnation à huit ans de prison ainsi qu’à des coups de fouet, une amende et la confiscation de ses biens par le tribunal révolutionnaire de l’Iran. Comme l’a déclaré l’avocat de Rasoulof, Babak Paknia, sur X après le verdict, « La principale raison de cette condamnation est la signature de déclarations et la réalisation de films et documentaires. Selon le tribunal, ces actions étaient des exemples de collusion dans le but de commettre un crime contre la sécurité du pays. »
Rasoulof est interdit de quitter l’Iran depuis 2017. Il a purgé une peine de prison de juillet 2022 à février 2023, et a été libéré anticipativement en raison d’une amnistie générale pour des milliers de prisonniers en Iran à la suite de manifestations généralisées. Peu de temps après sa libération, il a été informé qu’un nouveau dossier était ouvert contre lui, cette fois concernant son film There Is No Evil/Le diable n’existe pas (2020) qui, en son absence forcée, a remporté l’Ours d’or au Festival international du film de Berlin.
Rasoulof n’est pas étranger à Cannes, ayant présenté Au revoir (2011), Les manuscrits ne brulent pas (2013) et Un homme intègre (2017) lors du festival. Tous ses films portent un regard critique sur les conséquences de la vie sous un régime autoritaire. L’identité de la distribution et de l’équipe ainsi que les détails de l’intrigue et du scénario de son nouveau film ont été gardés secrets en raison de craintes de représailles de la part du régime iranien.
Déclaration de Mohammad Rasoulof (datée du 12 mai 2024) :
« Je suis arrivé en Europe il y a quelques jours après un voyage long et compliqué.
Il y a environ un mois, mes avocats m’ont informé que ma condamnation à huit ans de prison avait été confirmée en appel et serait mise en œuvre sans délai. Sachant que les nouvelles de mon nouveau film seraient révélées très bientôt, je savais sans aucun doute qu’une nouvelle peine serait ajoutée à ces huit ans. Je n’avais pas beaucoup de temps pour prendre une décision. J’ai dû choisir entre la prison et quitter l’Iran. Le cœur lourd, j’ai choisi l’exil. La République islamique a confisqué mon passeport en septembre 2017. Par conséquent, j’ai dû quitter l’Iran en secret.
Bien sûr, je m’oppose vivement au récent jugement injuste contre moi qui me contraint à l’exil. Cependant, le système judiciaire de la République islamique a rendu tant de décisions cruelles et étranges que je ne me sens pas en droit de me plaindre de ma peine. Des peines de mort sont exécutées alors que la République islamique cible la vie des manifestants et des militants des droits civils. C’est difficile à croire, mais en ce moment même où j’écris ceci, le jeune rappeur Toomaj Salehi est détenu en prison et a été condamné à mort. La portée et l’intensité de la répression ont atteint un point de brutalité où les gens s’attendent à des nouvelles d’un autre crime odieux du gouvernement chaque jour. La machine criminelle de la République islamique viole continuellement et systématiquement les droits de l’homme.
Avant que les services de renseignement de la République islamique ne soient informés de la production de mon film, certains des acteurs ont réussi à quitter l’Iran. Cependant, beaucoup d’acteurs et d’agents du film sont toujours en Iran et le système de renseignement les presse. Ils ont subi de longs interrogatoires. Les familles de certains d’entre eux ont été convoquées et menacées. En raison de leur apparition dans ce film, des affaires judiciaires ont été intentées contre eux et ils ont été interdits de quitter le pays. Ils ont perquisitionné le bureau du directeur de la photographie, et tout son équipement de travail a été emporté. Ils ont également empêché l’ingénieur du son du film de se rendre au Canada. Lors des interrogatoires de l’équipe du film, les forces de renseignement leur ont demandé de me faire pression pour retirer le film du Festival de Cannes. Ils essayaient de convaincre l’équipe du film qu’ils n’étaient pas au courant de l’histoire du film et qu’ils avaient été manipulés pour participer au projet.
Malgré les vastes limitations auxquelles j’ai été confronté, ainsi que mes collègues et amis, lors de la réalisation du film, j’ai essayé d’atteindre une narration cinématographique qui soit loin de la narration dominée par la censure dans la République islamique, et plus proche de sa réalité. Je suis convaincu que restreindre et réprimer la liberté d’expression ne peut être justifié même s’il devient un stimulant pour la créativité, mais quand il n’y a pas de chemin, un chemin doit être tracé.
La communauté cinématographique mondiale doit assurer un soutien efficace aux créateurs de tels films. La liberté d’expression doit être défendue, clairement et fort. Les personnes qui affrontent courageusement et désintéressément la censure au lieu de la soutenir sont assurées de l’importance de leurs actions par le soutien des organisations cinématographiques internationales. Comme je le sais par expérience personnelle, cela peut être une aide inestimable pour leur permettre de poursuivre leur travail vital.
De nombreuses personnes ont contribué à la réalisation de ce film. Mes pensées sont avec toutes ces personnes, et je crains pour leur sécurité et leur bien-être. »
Hier soir, sur son compte Instagram, Mohammad Rasoulof a également publié :
« Il y a sept ans pour la deuxième fois, vous avez eu mon passeport.
Il y a deux ans, vous êtes entré chez moi pour la deuxième fois et vous avez pris tout ce que vous pouviez avec vous.
L’année dernière, avec mon avocat, nous sommes allés à plusieurs reprises dans différentes institutions, mais vous avez dit que je n’avais pas le droit d’avoir un passeport. Vous ne saviez pas que mon identité n’est pas dans mon passeport.
Si vous pensez que les frontières de l’Iran sont entre vos mains, vous dormez profondément. Si l’Iran géographique souffre sous les bottes de votre tyrannie religieuse, l’Iran culturel est vivant dans l’esprit commun de millions d’Iraniens qui ont été forcés de quitter l’Iran à cause de votre oppression et de votre barbarie et aucun pouvoir ne peut lui imposer sa volonté. À partir d’aujourd’hui, je suis un résident de l’Iran culturel. Une terre sans frontières que des millions d’Iraniens ont construite avec une histoire et une culture anciennes dans tous les coins du monde. Et ils attendent impatiemment de vous enterrer vous et votre machine d’oppression dans les profondeurs de l’histoire. Alors comme un cercueil de cette terre, une nouvelle vie commencera.
L’histoire de ce que j’ai traversé sur ce chemin reste pour un meilleur moment.
Maintenant je dois vite terminer les dernières étapes techniques de post-production de The Seed of the Sacred Fig.
Je suis reconnaissant envers mes amis, parents et personnes qui m’ont aidé à sortir de la frontière et à atteindre un endroit sûr dans ce voyage difficile et long avec gentillesse, altruisme et parfois en risquant eux-mêmes… Je suis en vie pour vous dire… »
Face à ces injustices insoutenables, il est tout bonnement inadmissible qu’un homme, un artiste, soit pris pour cible de la sorte pour avoir exercé son droit fondamental à la liberté d’expression et à la création artistique. Ces actes répressifs dévoilent une volonté autoritaire de museler la voix de la dissidence et d’étouffer toute forme de pensée critique. Il est scandaleux de voir comment les régimes autoritaires se permettent de bafouer les principes les plus élémentaires de démocratie au nom de leur propre survie politique. La question qui se pose est la suivante : pourquoi la simple acte de créer, de donner vie à des idées et à des histoires, est-il devenu un crime passible de lourdes peines et de persécutions brutales ? Ces attaques contre la liberté d’expression et la liberté de création sont une atteinte directe à la dignité humaine et à la conscience universelle. Il est de notre devoir, en tant que citoyens du monde, de dénoncer avec force ces abus de pouvoir et de défendre sans relâche les valeurs fondamentales de la démocratie et des droits de l’homme.
Neïla Driss
