La réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania entre en compétition officielle à la Mostra de Venise avec son nouveau long-métrage The Voice of Hind Rajab (La voix de Hind Rajab). Cette sélection confirme le rayonnement international de l’une des voix les plus singulières du cinéma arabe contemporain, quelques mois seulement après sa nomination aux Oscars pour Les Filles d’Olfa (Four Daughters).
Dans une déclaration bouleversante, Kaouther Ben Hania revient sur la genèse fulgurante de ce projet né d’un choc personnel. C’est en pleine campagne pour les Oscars, alors qu’elle s’apprêtait à tourner un film qu’elle préparait depuis dix ans, qu’un enregistrement audio va tout bouleverser. Lors d’une escale à l’aéroport de Los Angeles, elle entend la voix d’une fillette appelant à l’aide : « J’ai entendu un enregistrement de Hind Rajab qui suppliait qu’on vienne l’aider. J’ai immédiatement ressenti un mélange de tristesse accablante et d’impuissance. C’était physique, comme si le sol s’effondrait sous moi. Je ne pouvais pas continuer comme prévu. »
Hind Rajab, 6 ans, est une enfant palestinienne de Gaza. Le 29 janvier 2024, alors que sa famille tente de fuir les bombardements israéliens, leur voiture est prise pour cible. Hind est la seule survivante, cachée dans le véhicule avec les corps de ses proches. Elle appelle à l’aide via un téléphone portable. L’enregistrement de sa voix – devenu viral – capte en temps réel l’attente, la peur, la solitude. Malgré l’alerte lancée par le Croissant-Rouge, l’enfant ne sera jamais secourue. Elle est retrouvée morte quelques jours plus tard, avec les secouristes envoyés pour elle. La voiture qui les transportait avait reçu 355 balles.
Profondément marquée par ce drame, la réalisatrice entre en contact avec la famille de Hind, avec les équipes du Croissant-Rouge, et obtient l’intégralité de l’audio original, soixante-dix minutes d’un enregistrement insoutenable. C’est à partir de ces voix réelles et de ces témoignages qu’elle décide de bâtir un film de fiction : The Voice of Hind Rajab.
Le film repose sur un dispositif minimaliste : un lieu unique, aucune image de violence, mais un hors-champ qui oppresse. Un choix assumé : « Les images violentes sont partout autour de nous : sur nos écrans, nos téléphones. Ce que je voulais montrer, c’est l’invisible – l’attente, la peur, le silence insupportable quand personne ne vient. »
Dans cette mise en scène de l’attente, du silence, de l’inaction face à l’urgence, Kaouther Ben Hania interroge ce que le cinéma peut encore dire, ce qu’il peut préserver face à l’accélération du temps médiatique. Pour elle, The Voice of Hind Rajab n’est pas seulement un film sur Gaza : « Cette histoire ne parle pas seulement de Gaza. Elle évoque un deuil universel. Le cinéma peut préserver une mémoire. Il peut résister à l’amnésie. Que la voix de Hind Rajab soit entendue. »
Produit par Nadim Cheikhrouha, Odessa Rae et James Wilson, le film a été soutenu par Totem Films pour les ventes internationales. Il a également bénéficié d’une subvention du Fonds de soutien à la création artistique et littéraire, relevant du ministère tunisien des Affaires culturelles.
Après La Belle et la Meute, L’Homme qui a vendu sa peau ou encore Les Filles d’Olfa, Kaouther Ben Hania continue d’explorer les failles du monde à travers des dispositifs singuliers. Avec The Voice of Hind Rajab, elle signe un film de résistance et de mémoire, où le cinéma devient à la fois écoute, hommage, et cri contre l’oubli.
Neïla Driss