La Cinémathèque tunisienne a repris ses activités de belle manière, avec la projection du documentaire espagnol « Les Bâtisseurs de l’Alhambra », un film hybride doublé d’une réflexion sur le vivre-ensemble.
Un documentaire peut-il être poignant au point où il vous tient en haleine durant deux heures ? Car le tour de force d’Isabel Fernández, la réalisatrice du film « Les Bâtisseurs de l’Alhambra » aura été de susciter l’alliage idéal et découvrir la confluence exacte qui fait de cette œuvre, un travail cinématographique d’exception.
Isabel Fernández ouvre son film en posant un enjeu, celui d’une Renaissance précoce qui aurait eu pour théâtre l’Andalousie mythique. Elle introduit ensuite un palais dont les initiateurs vont rêver la démesure. Pour cela elle présente ses personnages utopistes ou accablés par leur destinée et les fait graviter autour de l’Alhambra.
Visionnaire, maître des mots et de la cour, Ibn Al Khatib est le personnage central de cette épopée, représentée par la naissance d’un palais. Dans l’expectative, entre crise mystique et fêlures personnelles, Ibn Al Khatib est également taraudé par le contexte politique de Grenade et la succession du sultan Youssef.
À travers ce personnage, Isabel Fernández tisse une métaphore de cette Andalousie sûre d’elle-même mais vacillante et en passe de se désagréger. Tout est dans la manière : le film avance alors que le chantier de l’Alhambra annonce un édifice d’exception. Ce sont les personnages et leur matrice Diwan Al Incha qui donnent le tempo.
La réalisatrice Isabel Fernández
Par conséquent, le film prend une double étoffe, s’enrichit de péripéties inattendues et révèle des êtres fragiles, aux prises avec leurs rêves d’éternité. On ne peut que songer à l’Ibn Rochd mis en scène par Youssef Chahine dans « Le Destin ». D’ailleurs, l’iconographie des deux œuvres est proche et souligne le souci d’Isabel Fernández : obtenir une image parfaite et précise et instaurer une dialectique entre les personnages et le palais.
Le film y parvient avec éloquence et poésie. On entre aussi bien dans les arcanes du palais grenadin que dans les démons intérieurs qui agitent ses bâtisseurs. Enfin, le recours à de nombreux historiens donne à cette œuvre, la profondeur historique qui double la texture humaine des personnages.
Isabel Fernández n’est pas une nouvelle venue dans le monde du documentaire, un genre qu’elle arpente depuis une quinzaine d’années, récoltant distinctions et succès d’audience. Avec « Les Bâtisseurs de l’Alhambra », elle met en place un dispositif d’hybridation qui donne à ce film, le caractère d’un récit à la fois historique et biographique. Travaillant sur cette œuvre depuis sept ans, la réalisatrice peut être satisfaite du résultat. Quant au public, il a chaleureusement applaudi, salué le casting basé sur des comédiens arabes, essentiellement marocains et rayonnant autour de la composition magistrale de l’Égyptien Amr Wakad.
Devant le succès public de cette projection qui a eu lieu mardi 19 septembre, un second rendez-vous a été annoncé pour le lundi 25 septembre. Soulignons que ce film était projeté dans le cadre de la présidence espagnole de l’Union européenne, en partenariat avec l’ambassade d’Espagne en Tunisie et l’Institut Cervantès. À la Cinémathèque tunisienne, on ne pouvait rêver meilleure reprise conjuguant qualité filmique, dialogues culturels, débats passionnants et guichets fermés tant le public était nombreux.
H.B.