L’Antiquité tunisienne nous a légué un grand nombre de statues qui, généralement, sont exposées dans nos musées.
Ces statues peuvent se limiter à un buste mais parfois, elles représentent un personnage debout.
Ce qui rend ces statues étranges, c’est qu’elles n’ont que rarement des têtes. Elles sont décapitées et n’ont ni identité ni visage, ce qui les rend fascinantes.
Qui était représenté par ces statues sans effigie, sans nom ni trace ? On peut se perdre en conjectures tout en étant assuré de ne jamais percer ces énigmes.
Comment ces statues ont-elles perdu leurs têtes ? Les uns vous diront que les conquérants arabes du septième siècle les ont décapitées pour marquer leur rejet de l’idolâtrie.
Plus prosaïquement, d’autres vous expliqueront que des aventuriers devenus archéologues ôtaient les têtes pour ne pas s’encombrer des corps. Les statues étaient étêtées car les têtes se vendaient mieux tout en étant plus faciles à transporter.
L’une et l’autre explications restent insuffisantes et le mystère entier. Ces statues sans tête sont-elles nos Bouddhas de Bamian ou bien les victimes de rapines ?
Marcher le long de cette allée des décapités est pour moi, un parcours initiatique. Chaque statue est une énigme et les drapés des unes ou l’érosion des autres, en font des objets à l’esthétique fuyante.
Chaque fois que je remonte cette allée, je me repose les mêmes questions tout en me laissant envelopper par les toges de marbre blanc.
J’ai appris à nommer chaque statue, à lui imaginer une tête ou à l’affubler d’un destin. Parfois, nous dialoguons et, en silence, elles me racontent le bruissement des siècles et la disparition des signes.
J’aime imaginer que la nuit tombée, ces statues revivent et retrouvent provisoirement leur maintien de pied en cap.
Sait-on jamais ce qui peut se passer la nuit dans un musée entre gisants, personnages de bas-reliefs et statues spectrales ?
De jour, j’arpente toujours la même allée, retrouvant Auguste ou Clytemnestre, Junon ou Diane, héros, chimères et demi-dieux.
Mon allée immobile m’attend toujours et dans les chuchotements que je suis seul à entendre, se murmurent les secrets des têtes introuvables.