Au temps de l’islamisme conquĂ©rant, alors que la Troika s’installait au pouvoir avec un projet idĂ©ologique non exprimĂ©, c’est la fondation de Nidaa Tounes qui allait perturber les plans d’Ennahdha.
Se posant en champion du camp opposé et fédérant plusieurs courants, Béji Caid Essebsi a dessiné une alternative à Ennahdha et constitué un front électoral, une machine capable de battre les islamistes et les déloger du pouvoir.
A ce jour, depuis 2011, BCE reste le seul homme politique tunisien Ă avoir fait Ă la fois preuve de courage, de luciditĂ© et d’un dessein pour la Tunisie. Ce n’est pas le cas de beaucoup d’autres qui prĂ©fèrent vĂ©gĂ©ter dans l’attente d’un hypothĂ©tique maroquin ou se transformer en supplĂ©tifs des basses besognes islamistes.
Seulement, la montée en puissance de Nidaa Tounes allait déplacer une nouvelle fois le centre de gravité de la révolution tunisienne.
En effet, ce parti des opposants Ă l’islam politique allait par le jeu des polarisations, enfermer le dĂ©bat national dans les questions identitaires. Cette discussion dĂ©jĂ entamĂ©e au sein de la Constituante, allait devenir le nouvel axe de structuration de l’ensemble du paysage politique.
Ni droite ni gauche, ni socialisme ni libĂ©ralisme: tout tournait autour de l’identitaire quitte Ă en oublier l’Ă©conomie qui continuait Ă couler.
Ce nouveau dĂ©placement du centre de gravitĂ© de la rĂ©volution Ă©tait devenu nĂ©cessaire face aux assauts terroristes, aux assassinats politiques et Ă l’intrusion de Daech dans notre vie politique.
En 2014, le peuple tunisien votera d’abord contre l’Islam politique et sanctionnera le projet nahdhaoui. Au fond, le reste importait peu et, en termes de stratĂ©gie, Nidaa Tounes avait fait l’essentiel.
Ensuite, les secousses par lesquelles passera ce parti n’avaient rien Ă voir avec des crises de croissance. Ce front Ă©lectoral avait menĂ© Ă bien sa mission et, au fond, sa disparition reste programmĂ©e.
D’ailleurs, le vote utile pour les opposants Ă Ennahdha demeurera un passage obligĂ© tant que la loi elĂ©ctorale ne sera pas ajustĂ©e. De mĂŞme, le regroupement au sein d’un front opposĂ© Ă Ennahdha restera Ă l’ordre du jour pour les prochains scrutins. Reste Ă savoir quelle forme il prendra Ă l’avenir.
EchaudĂ©s, montrĂ©s du doigt, les islamistes sortiront les griffes mais devront se plier aux injonctions du Dialogue national qui dĂ©samorcera la crise et, en 2014, ouvrira la voie aux premières Ă©lections libres dans l’histoire de la RĂ©publique tunisienne.
Depuis, la realpolitik et les calcul de tous ordres ont donné le jour à un consensus immobile qui a complètement bloqué la Tunisie. BCE aura bien tenté de contourner cette chape de plomb mais, à chaque fois, les défections et les retournements de veste contrarieront ses plans.
Ennahdha reste-t-il le maĂ®tre du jeu ? Oui et non. Oui car le poids Ă©lectoral de ce parti plaide pour sa prĂ©sence. Non car, malgrĂ© les apparences, le retour du pendule est en cours. C’est la puissante UGTT qui est en train de siffler la fin de la rĂ©crĂ©ation.
Paradoxalement, la Centrale syndicale est en train d’imposer un agenda Ă©conomique au gouvernement. InvitĂ© Ă clarifier ses choix Ă©conomiques, le gouvernement est confrontĂ© Ă ses manquements et son impuissance.
Ce qui importe ici, c’est que le syndicalisme tunisien est en train de nous sortir de l’impasse oĂą nous ont menĂ©es les confrontations au nom de l’identitaire.
Demain, les discours sur la religion ne devraient plus ĂŞtre au cĹ“ur des dĂ©marches partisanes. C’est l’Ă©conomie, clĂ© de la modernisation, qui importera le plus et dĂ©finira les lignes de rupture.
Ceci est d’autant plus important que ce qui reste de Nidaa Tounes et ce qui s’en rĂ©clame encore se caractĂ©rise par son discours d’essence libĂ©rale, proche de celui d’Ennahdha.
Ainsi, le consensus en construction Ă l’heure actuelle se fait Ă l’aune de choix libĂ©raux qui sont dĂ©sormais clairement contestĂ©s par les lignes rouges de l’UGTT.
Symptomatiquement, ce n’est plus le religieux qui entraĂ®ne le traçage de lignes rouges par le parti islamiste mais les choix libĂ©raux de l’attelage au pouvoir qui sont dĂ©limitĂ©s en rouge par le puissant syndicat.
En soi, cela rĂ©vèle que l’Ă©conomie est de retour dans le dĂ©bat et que les contradictions profondes qui ont fait perdre le pouvoir Ă Ben Ali sont de nouveau Ă l’ordre du jour.
Disons-le tout de go, ces lignes de force vont structurer les prochains scrutins de 2019 et nous irons voter pour une Ă©conomie plus ou moins sociale plutĂ´t que pour plus ou moins d’Islam.
A priori, c’est le parti Ennahdha qui a le plus Ă perdre dans ces nouvelles configurations. Mais les onze mois qui nous sĂ©parent des Ă©lections porteront nĂ©cessairement leur lot de surprises.
