Mathieu Kassovitz était parmi les invités de la 44ème édition du Festival International du Film du Caire, qui s’est déroulée du 13 au 22 novembre dernier. Il y était avec l’équipe de L’astronaute de Nicolas Giraud. Ce film en compétition internationale avait d’ailleurs eu un très grand succès auprès du public égyptien, qui avait adoré son message porteur d’espoir et incitant à toujours essayer de toutes ses forces à réaliser ses rêves, aussi fous qu’ils puissent paraitre.
C’est lors d’une master classe modérée par le réalisateur et directeur général du festival Amir Ramsès, que Mathieu Kassovitz a répondu aux questions qui lui avaient été posées par les spectateurs et divers admirateurs.
Comme réalisateur, vous êtes très inspirant. Vous avez un style particulier.
Je suis un réalisateur qui est devenu acteur. Mon père était réalisateur, ma mère monteuse. Je suis né dans les films. Mon père était un réalisateur très strict. Il utilisait la caméra pour dire des choses, pas seulement pour raconter.
Quand j’avais 12 ans il m’avait montré le film Les dents de la mer (1975) de Steven Spielberg, qui m’avait impressionné. Puis il m’avait dit : « regarde le film, essaye de l’analyser, de comprendre comment il a été fait, pourquoi il t’a effrayé et pourquoi c’est un chef d’œuvre ? ».
C’est ainsi que j’ai réalisé que tout était à propos du mouvement de la caméra. Le réalisateur essayait de dire aux gens que le requin était là, mais ce n’était pas le cas, ce qui l’a amené à créer un chef-d’œuvre. Un bon film vous fait réfléchir. Ce film m’a inspiré. Il faut croire que le public est intelligent il ne faut pas tout lui montrer, il faut surtout lui suggérer.
Tourner un film, c’est comme faire du sport. On essaye à chaque fois de se surpasser.
Et en tant qu’acteur ? Comment est-ce qu’en tant que réalisateur, vous arrivez à jouer avec des réalisateurs complètement différents de vous ?
Le truc, c’est que je ne suis pas un acteur-réalisateur. Je suis un réalisateur-acteur.
J’adore les réalisateurs et à chaque fois que l’un d’eux m’appelle et que je le trouve inspirant, je dis oui et j’y vais. Je viens de terminer un film et j’ai remarqué que le réalisateur ne s’intéressait pas à la caméra et qu’il ne faisait attention qu’aux acteurs et filmait très simplement, cela m’a semblé bizarre, mais je respecte. Chaque réalisateur doit faire son film comme il l’entend.
Jouer dans Le fabuleux destin d’Amélie Poulain (2001) avec Jean-Pierre Jeunet et dans Munich (2005) avec Steven Spielberg ont été des moments forts de ma carrière. Je connaissais Jeunet, je connaissais son travail. Il m’avait envoyé le scénario et j’avais adoré. Très bien écrit. Quant à Steven Spielberg, toute ma vie a tourné autour de lui et de ses films, puis un jour il m’a appelé. Putain, je peux voir ce type travailler ! C’était comme se tenir juste à côté d’un boxeur poids lourd !
En vérité, j’aime les acteurs, mais je n’aime pas être acteur. Un acteur, c’est comme un jouet, une marionnette, tu es la et tu acceptes ce qu’on te demande, ce n’est ni intéressant ni stimulant mentalement. Je me sens complètement vide quand je joue. J’ai l’impression de gâcher ma vie. J’adore être réalisateur, c’est plus dur, plus enrichissant.
Parlez-nous un peu de votre film La haine :
La Haine, qui se déroule en banlieue parisienne, avait choqué les téléspectateurs en 1995. Depuis, personne n’a fait quelque chose comme ça non plus. J’attendais un film qui me ferait dire : Oh merde, c’est différent. Ça commence maintenant, parce que les gens qui étaient enfants quand il est sorti font maintenant des films. Comme Romain Gavras, qui a fait Athéna (2022). C’est la même énergie.
J’ai de la chance car grâce à ce film, je n’ai plus besoin de travailler. Je suis une légende. Moins j’en fais, mieux je me porte, parce qu’à chaque fois que je fais autre chose, les gens disent : Ce n’est pas La Haine. Je devrais juste arrêter.
Athéna, bien que ce soit une œuvre plus puissante que La Haine, aura moins d’impact maintenant. En effet, si vous faites des films politiques, vous devez les faire quand les choses se passent, sinon vous arrivez trop tard. Quand nous avons fait La Haine, personne ne connaissait ces jeunes dans les banlieues. Ce n’était pas qu’un film : c’était une information.
Lorsqu’on fait un film, il faut déjà connaître la fin, pour savoir où aller. Par exemple pour La haine, je savais que ces gamins seraient tués. Et tout le film consistait à montrer qui étaient ces gamins qui ont été tués. Et c’est ce qui rend le film intéressant.
Que pensez-vous du cinéma d’aujourd’hui ?
Pour moi la magie du cinéma a disparu. Je viens d’une époque où un réalisateur voit ce qu’il a tourné trois jours plus tard. Ensuite, avec les techniciens, ils devaient trouver des solutions pour corriger les couleurs, les ombres…. Aujourd’hui, on peut faire tout cela y compris avec un iPhone. Avant il y avait des défis à relever, il y avait de la difficulté. Avant, parfois à cause de la lumière, il y avait une unique prise à prendre avant que cette lumière change. Aujourd’hui on peut créer artificiellement les lumières. Quel intérêt ? La technologie a gâché le travail du cinéaste, chacun peut faire de belles images d’une façon artificielle, presque sans efforts.
Athéna, présenté à Venise en septembre, est une production Netflix. Que pensez-vous de ces plateformes ?
Les plateformes c’est génial, cela aide les jeunes créateurs. Mais ce n’est pas du cinéma. Le cinéma doit être vu dans les salles de cinéma. Ce qu’on voit sur les plateformes ce sont des films, qu’on peut voir sur un pc, un iPhone, une tablette… Au cinéma, il y a une communion, de la magie.
Ce qui a fait le succès et le force de La Haine, c’est qu’il fallait aller au cinéma pour le voir. Quand tout le monde a été choqué par la fin, ils ont commencé à en parler. Si vous êtes choqué chez vous, qui s’en préoccupe ?
Sans oublier qu’une fois que vous savez que ce ne sera pas sur grand écran, vous vous laissez aller. L’Irlandais (2019) de Martin Scorsese est un film de merde. C’est long et ennuyeux.
Il est vrai que les plateformes font aussi de bons films, mais je ne travaillerais pas pour elles. J’adorerais que ces gens viennent me dire qu’ils me donneraient 10 millions de dollars pour faire un film, puis 100 millions de dollars supplémentaires pour le budget, et j’aimerais leur dire : « Allez vous faire foutre, non, je ne le ferais pas, ce n’est pas du cinéma et je ne me prostitue pas ».
Mais n’applaudissez pas ! S’ils me proposent ça, je le ferai !
Neïla Driss