Tout ministre qu’il soit, le valeureux Houcine Jaziri aurait bien fait de tenir sa langue, au lieu de nous accabler avec ses élucubrations concernant l’apartheid et ses comparaisons qui ne sont pas raison à propos de Mandela et Ghannouchi.
Sur ce dernier sujet, Jaziri a, au mieux, fait une grosse gaffe et, au pire, créé verbalement une sorte de monstre, un hybride qu’on pourrait nommer Ghandela ou Mandouchi et qui aurait l’allure d’une effrayante chimère.
Quelle gaffe aurait donc commise Jaziri en comparant Ghannouchi à Mandela? C’est simple, les esprits mal tournés auront vite fait de se souvenir que Mandela est, depuis plusieurs mois en état de survie artificielle et qu’il ne tient à la vie que grâce à une assistance respiratoire. Mandela, que Dieu le protège est à l’article de la mort. Est-ce cela que Jaziri voulait dire? Entendait-il exprimer, en pratiquant le double langage cher aux leaders de la Troika, que la fronde des faucons d’Ennahdha allait envoyer Ghannouchi tout droit au paradis des Frères musulmans? Ou bien ne parlait-il, comme l’un de ses collègues de sinistre mémoire, que de « mort politique » pour le vieux ponte intégriste?
Ainsi, Jaziri aurait dit une chose et son contraire. D’un côté, il semble honorer Ghannouchi d’une comparaison élogieuse et de l’autre, il le compare à un homme malade, en retrait de la vie politique depuis fort longtemps. Si ce n’est pas du double langage!
Attendez, il y a autre chose… Je soupçonne Jaziri d’avoir voulu accabler Ghannouchi, de manière très pernicieuse. Car la comparaison avec Mandela tient la route sur d’autres aspects. En effet, tout en cherchant à engranger un bon point, Jaziri aurait pu glisser une autre peau de banane au vieux cheikh à la bouche liftée.
En effet, tout le monde, que dis-je la planète entière! connait les frasques de Winnie Mandela, l’ancienne épouse de Nelson, impliquée dans plusieurs faits discutables. Alors, je me demande bien si Jaziri ne cherchait pas par cette comparaison, à jeter l’opprobre sur l’entourage de Rached. Pourquoi pas sa fille qui, dit-on, roulerait dans une bagnole digne de Sakhr El Materi et fructifierait des affaires qui vont du mouton roumain aux médias? Jaziri voulait-il laisser entendre que des membres de la famille de Ghannouchi se comportaient comme ceux de la famille de Mandela. Nul ne le sait et il faudrait au moins un cheikh malekite et un autre hanafite pour décrypter les comparaisons jaziriennes.
D’ailleurs, il se peut que dans un excès de hardiesse notre néophyte ès politiques comparées n’ait eu à l’esprit les nombreuses casseroles que traîne Maherzia Labidi ou celles, tout aussi retentissantes de Sonia Toumia. Dans ce cas, il aurait sous-entendu un entourage plus large que le cercle familial. Et rien ne nous dit que le ministre Jaziri ne soit pas doué pour anticiper l’avenir. Dans ce cas, faudrait-il inclure les chers rejetons de Hamadi Jebali et Ali Laarayedh qui eux-aussi trainent des casseroles bien bruyantes? Il a l’air de rien le Jaziri mais il fait d’une pierre trois coups : il lance des fleurs vénéneuses à Ghannouchi, il égratigne les nouvelles sangsues de la République et s’insurge contre ces familles qui se prennent pour les Trabelsi. Et, tout cela sans avoir l’air d’y toucher. Il a de l’avenir, ce cher Jaziri…
Mais il se trompe toutefois sur l’essentiel, car, en bonne logique, on ne saurait en aucun cas comparer Mandela et Ghannouchi. La raison en est simple : Mandela n’a jamais accepté de grâce de personne. Sûr de son droit et fort de son éthique, il a résisté jusqu’à la victoire, sa victoire. Au contraire, Ghannouchi s’est agenouillé devant Ben Ali et accepté la grâce présidentielle qui lui était offerte. Au contraire, Ghannouchi, après un exil doré britannique alors que Mandela était dans les geôles de l’apartheid, a falsifié avec ses partisans la révolution tunisienne pour l’offrir aux monarques absolus qui l’ont nourri et choyé. Au contraire, Ghannouchi n’a jamais reçu ( et ne recevra jamais) l’ovation de tout un peuple dans sa diversité.
Voyez-vous, cher ministre, jamais Mandela ne qualifierait de « ses enfants » ceux que vous savez et jamais il ne promettrait à ses faucons ( et Dieu sait s’ils étaient nombreux) la vengeance. Mandela a tendu la main aux ultras de l’apartheid alors que Ghannouchi rêve d’une Tunisie dans laquelle les Destouriens seraient exterminés. Mais cela, monsieur Jaziri ne le comprendra jamais, tout obnubilé qu’il est par son maroquin et les dignités nouvelles qui l’auréolent.
Au fond, ces comparaisons stupides devraient être mises dans un grenier et oubliées. Il est pathétique de voir certains responsables nous ressortir les clichés usés d’une Tunisie qui se voit en Suisse du Maghreb ou en Singapour de l’Afrique. Car la Suisse n’a jamais été aussi sale que nous le sommes et les Singapouriens ont pour eux une réputation de travailleurs zélés que nous n’avons pas.
Passe encore, mais là où nous touchons le fond, c’est lorsque nos actuels élus n’hésitent pas à se comparer avec Lula le Brésilien, Walesa le Polonais ou Nasser l’Egyptien. Alors que dire lorsque cette mégalomanie de bazar cherche à maquiller un cheikh intégriste, juste digne de ses parrains monarques absolus, en géant de l’histoire contemporaine.
Et s’il tient absolument à sa comparaison bancale, que notre cher flatteur songe que ce dont la Tunisie a le plus besoin aujourd’hui, c’est de concorde, de pardon, de réconciliation, de compromis, de grand dessein, de modestie, de réalisme et aussi de foi en l’avenir. C’est vrai, monsieur Jaziri, tout cela Mandela a su l’insuffler à son peuple.
Mais tout cela, le cheikh Ghannouchi en est incapable. Je comprends dès lors votre frustration, car, cher Jaziri, ces comparaisons que Ben Ali aimait tant, soit dit en passant, sont au fond une manière d’évacuer le réel pour se réfugier dans un monde chimérique dans lequel règnent toutes sortes de Ghandelas et de Mandouchis, à défaut de démocrates sincères qui agissent localement et pensent globalement.
N’ayez crainte, monsieur Jaziri, je ne vous en veux pas, mais prenez garde, car si d’aventure, le cheikh de Monplaisir lisait ce billet, il pourrait vous accabler, vous punir et vous enfoncer jusqu’au cou dans la disgrâce pour comparaison pernicieuse et à double tranchant. Dieu vous garde, si Houcine des gosses de Ghannouchi et des rêves de fer qu’il fait pour la Tunisie. Dieu garde la Tunisie des traitres dont le grand Aboulkacem Chebbi disait qu’ils ne méritaient pas de la nation. Et Dieu garde Mandela des comparaisons stupides et des liaisons dangereuses…