Personnage atypique de la scène politico-médiatique tunisienne, à la fois avant et après la Révolution, le journaliste et écrivain Taoufik Ben Brik, disparu de la circulation ces derniers temps, revient lors de cette interview sur le Dialogue national, le terrorisme, Ennahdha et l’opposition, sans oublier, bien sûr, de faire le point sur son nouveau livre polémique «Kalb Ben Kalb» (ou «Chien Fils de Chien»).
Pourquoi vos sorties médiatiques sont-elles devenues rares, ces derniers temps ?
Comme vous le savez, j’étais présent, régulièrement, et pendant un bon bout de temps, dans les médias, à travers deux émissions hebdomadaires, en l’occurrence «Le dialogue interdit» sur El Hiwar et «Hors la loi» sur Astrolabe TV. Mais ensuite, lorsque j’ai senti que n’avais plus rien de nouveau à dire et que je me répétais, j’ai décidé de mettre fin à ces deux expériences. Car, après tout, je ne suis pas un produit télévisuel. Mon vrai domaine, moi, c’est l’écriture.
«Ennahdha veut se moquer de nous…»
Quel regard portez-vous sur le Dialogue national ?
C’est terrible ce qui est en train de se passer, en ce moment. Ennahdha veut, à travers ce Dialogue, se venger de ceux qui veulent l’écarter du pouvoir. Elle propose au poste de chef de gouvernement des vieux candidats, qui sentent la mort, tels Ahmed Mestiri (88 ans), et les soutient instamment. Elle exige que le prochain chef de gouvernement soit expérimenté, donc inévitablement un collaborateur de Bourguiba ou de Ben Ali, si ce n’est des deux. En gros, elle veut que le prochain chef du gouvernement soit issu de l’ancien régime, contre qui la Révolution s’est déclenchée. Et savez-vous pourquoi elle fait ça ? Eh bien, tout simplement, parce qu’elle veut se moquer de nous, à la fin. C’est comme si elle nous disait: «Vous voulez m’écarter du pouvoir parce que je suis mauvaise ? D’accord, je vais partir. Mais je vais vous laisser des pires que moi.»
«L’opposition a démontré
qu’elle n’avait pas de couilles»
Mais le Dialogue national ne se limite pas à Ennahdha. L’opposition a, aussi, son mot à dire ?
L’opposition tunisienne a démontré qu’elle n’avait pas de couilles et qu’elle manquait de fougue. Elle n’aurait jamais dû accepter de dialoguer avec Ennahdha, un parti à l’idéologie religieuse, donc nécessairement totalitaire, et qui, de surcroît, a fait écrouler le pays, en l’espace de deux années seulement. Encore une fois, nos opposants ont prouvé qu’ils n’étaient pas les hommes de la situation et qu’ils étaient incapables de croiser le fer.
«BCE rêve, lui aussi,
d’accéder au Palais de Carthage»
Ceci s’applique-t-il aussi à Béji Caïd Essebsi, le principal adversaire électoral d’Ennahdha, selon les sondages d’opinion ?
«Bajbouj» est un destourien démodé, qui sent déjà la mort. Comme la plupart des politiques tunisiens, il rêve, lui aussi, d’accéder au Palais de Carthage. Rien de plus. Il n’a pas de vrai projet.
«Selon les sondages d’opinion étrangers,
Ennahdha n’obtiendrait pas plus de 10% de voix
lors des prochaines élections»
Toujours selon les sondages d’opinion, Ennahdha, que vous attaquez, reste parmi les favoris des prochaines élections !
C’est peut-être les sondages d’opinion tunisiens qui prétendent ça. Car, selon les sondages d’opinion étrangers, qui, à mon avis, sont plus crédibles, Ennahdha n’obtiendrait pas plus de 10% de voix lors des prochaines élections, ce qui témoigne clairement de la chute de popularité dont elle souffre. Aujourd’hui, tous ceux qui ont voté Ennahdha, en 2011, sont déçus par ce parti et ne sont, donc, pas prêts à lui redonner confiance. Les gens ne la supportent plus. D’ailleurs, je pense que, si des élections se tenaient, aujourd’hui, Ennahdha n’obtiendrait que 0% et quelques poussières, pas plus.
Mais attention, pour que les prochaines élections soient vraiment crédibles et transparentes, il faut, d’abord, que les mosquées, qui sont devenues des tribunes politiques, soient neutralisées et les délégués, gouverneurs et maires nommés par Ennahdha remplacés par d’autres, indépendants.
Mais, en écoutant les dernières déclarations de Hamadi Jebali, Ennahdha ne semblerait pas trop favorable à de telles démarches.
«Il n’est pas écarté que des pays du Golfe
ou des renseignements américains
soient derrière le terrorisme en Tunisie»
A votre avis, qui pourrait être derrière le terrorisme qui secoue, actuellement, notre pays ?
Aujourd’hui, on n’a, malheureusement, que des supputations. La question du terrorisme reste indéchiffrable. Mais, je pense que les crimes qui secouent le pays sont, nécessairement, l’œuvre d’un pouvoir, qu’il soit de l’intérieur ou de l’extérieur, un pouvoir qui aurait pour objectif de déstabiliser la Tunisie et d’éteindre sa Révolution.
Le gouvernement d’Ennahdha est sûrement impliqué dans tout ça, ne serait-ce que par son omission. Sinon, comment expliquer le fait qu’il n’a pas réagi, même après avoir reçu un document de la CIA, prévenant de l’assassinat de Mohamed Brahmi ? Dans ce même cadre, les révélations de Taïeb Laâguili sont très significatives.
Sinon, d’un autre côté, je pense que ces actes terroristes ne peuvent pas être exclusivement l’œuvre d’Ennahdha. Le terrorisme est un acte multinational et il n’est, donc, pas écarté que des pays du Golfe ou des renseignements américains soient derrière tout ça ; des parties qui ne veulent pas que la Révolution tunisienne, qui a déjà inspiré d’autres nations dans la région, ne s’étende davantage et menace leurs intérêts.
Bien évidemment, je ne peux rien assermenter, car je ne suis pas, après tout, un Bob Woodward, ce journaliste qui est arrivé à mettre à nu toutes les ficelles du scandale du Watergate.
Venons-en maintenant à votre nouveau livre «Kalb Ben Kalb». Pourquoi, lui avez-vous choisi un tel titre ?
Contrairement à ce que certains pourraient être amenés à croire, et au risque de les décevoir, je ne vise personne à travers ce titre. En tout cas, pas une personne physique. Pour moi, c’est ce livre, en soi, qui est LE «Kalb Ben Kalb», puisqu’il vous mord dès que vous l’ouvrez.
«Je veux que le lecteur fasse des cauchemars,
après avoir lu mon livre.
Je veux lui apporter soit la dépression, soit la joie…»
Vous faites surement allusion au langage trop cru avec lequel vous avez écrit ce livre. N’avez-vous pas peur, d’ailleurs, de choquer les lecteurs à travers cela ?
Pour moi, un écrivain qui ne viole pas l’âme du lecteur, n’est pas digne de ce nom. Ce livre est là pour écorcher les yeux et le cœur de ceux qui le lisent. Je veux que le lecteur fasse des cauchemars, après avoir lu mon livre. Je veux lui apporter soit la dépression, soit la joie. Bref, le faire sortir, ne serait-ce qu’un petit moment, de la triste monotonie dans laquelle il vit.
Sinon, «Kalb Ben Kalb» est une ouverture à la nouvelle littérature mondiale, qui écrit dorénavant avec le langage de la rue, en cassant avec le conformisme. Pour votre information, mon livre est déjà considéré, par beaucoup de grands lecteurs, comme un chef-d’œuvre.
«Dans mon nouveau livre,
je prédis la fuite de Rached Ghannouchi, à la Ben Ali»
Que peut-on lire dans «Kalb Ben Kalb»?
C’est un roman ayant pour protagoniste un certain «Saâd Cowboy» et dont la majeure partie des événements se passe dans «Tbarnet El Kalatous» (ou «Le bistrot Eucalyptus»).
Je prédis, au fur des événements, que Neirouz, la fille de Chokri Belaïd, prendra en main le pays et égorgera la Pauvreté.
Et comme je l’ai déjà fait, il y a une dizaine d’années dans l’un de mes livres avec Ben Ali, je prédis aussi, dans cette œuvre, que Rached Ghannouchi s’enfuira, à son tour, de la Tunisie, mais vers l’Alaska. D’ailleurs, dans mon texte original, vous pouvez lire
«شد شد رشوة هرب للألسكا ينهي و يدعو الآسكيمو و يلحس في الفريقيلو».
En parlant de Rached Ghannouchi, est-ce que vous avez une relation particulière avec lui ?
Non pas du tout. Il m’a appelé une seule fois, en 2000, pour me soutenir dans ma grève de faim. Mais sinon, des personnes de son entourage, tels Jaziri, me rendent souvent visite et me disent que «le Cheikh vous aime !»
Slim MESTIRI