Dans son édition d’aujourd’hui, le magazine français Marianna publie une interview exclusive et explosive de Cheikh Abdelaffath Mourou, vice-président d’Ennahdha, nouvellement appelé pour siéger au Conseil des sages et surtout, un des fondateurs d’Ennahdha. Et pourtant, dans cet entretien, Cheikh Mourou accuse ! Il accuse Rached Ghannouchi de mener le pays au désastre et lui demande de quitter Ennahdha. Il soutient Hamadi Jebali dans son initiative et exprime clairement la lutte fratricide entre le président du mouvement, Rached Ghannouchi et son Premier ministre. Mais Abdelfattah Mourou va plus loin en prédisant la défaite d’Ennahdha aux prochaines élections…
«La direction d’Ennahdha mène le parti
et la Tunisie au désastre…»
Mais dans cet entretien réalisé hier, Cheikh Mourou fait une fixation sur ses divergences avec Rached Ghannouchi, qu’il a bien tenté de «tirer vers la modernité» comme il le déclare, mais en vain. «Je suis le fondateur de ce parti ! Bien avant Rached Ghannouchi qui m’a rejoint ensuite. J’ai tenté de le tirer vers la modernité… je l’ai quitté et puis je l’ai rejoint à nouveau après le dernier congrès de juillet 2012. Les jours passés au pouvoir par Ennahda sont une leçon : ils prouvent qu’il ne suffit pas d’être musulman pour guider les gens. Il faut pouvoir s’en faire aimer et connaitre leurs besoins. Il y a quelques jours, j’ai demandé à Rached Ghannouchi s’il pouvait circuler sans peur en Tunisie. Il m’a répondu que non, qu’il avait peur des gens. Je lui ai demandé : comment expliques-tu que le peuple tunisien veuille te chasser ? Il n’a pas répondu. Je lui ai dit que moi, je circulais à pied, partout, et que chacun me saluait en souriant».
«Rached Ghannouchi et sa direction
sont en train de faire d’Ennahdha une affaire familiale…»
A partir de cet exemple, Cheikh Mourou veut expliquer la cassure qui est en train de s’opérer au sein d’Ennahdha et pour y remédier il demande même à ce qu’un congrès extraordinaire d’Ennahda soit convoqué «pour en changer la direction qui mène le parti et la Tunisie au désastre», dit-il. «Rached Ghannouchi et sa direction sont en train de faire de notre parti une affaire familiale. Qu’il soit contrôlé par des gens qui ne s’ouvrent pas à la réalité et à la modernité est une catastrophe. Je dénonce Habib Ellouz qui, pendant la manifestation devant l’ambassade de France, criait que les laïcs tunisiens devaient dégager. Mais la Tunisie leur appartient à eux aussi !»
«Rached Ghannouchi doit se retirer…»
Cheikh Mourou va plus loin en demandant à Rached Ghannouchi de se retirer… pour le bien du pays et pour que la Tunisie ne tombe pas entre les mains des salafistes et des «ultras de la gauche». Mourou révèle même qu’il est derrière l’initiative de Hamadi Jebali proposant de former un gouvernement technocrate : «C’est moi qui ai soufflé à Jebali l’idée d’un gouvernement de technocrates, apolitique ! D’ailleurs il m’a pris dans son comité des sages. Rached Ghannouchi doit se retirer pour que d’autres puissent instaurer la paix sociale en Tunisie. Nous avons besoin de dix années de paix pour faire de notre petit pays un nouveau Singapour. Rien ne nous manquera pourvu que nous ayons la liberté entre nos mains. On n’a pas fait la révolution pour donner les clés du pays aux salafistes et aux ultras de la gauche…»
«C’est moi qui ai soufflé à Jebali l’idée
d’un gouvernement de technocrates, apolitique !»
Cheikh Mourou dénonce également le laxisme dont a fait preuve jusqu’à présent Ennahdha vis-à-vis de la violence et enrage sur le sort qui est fait à «son» mouvement, «son œuvre», dit-il. «Les salafistes m’ont agressé et Ennahda ne m’a pas défendu. Je dénonce le laxisme qui a permis toutes ces violences. Je dénonce ce qu’on est en train de faire de la mouvance islamiste. Elle est mon œuvre ! Ce que je demande, depuis le début, c’est l’islam dans son essence. L’islam sans développement civilisationnel et sans croissance, ce n’est pas l’islam. La culture de Rached Ghannouchi et de ses partisans est une monoculture. Or nous sommes multiculturels en Tunisie, nous sommes le produit de 25 civilisations. Quand un prédicateur saoudien est venu avec des petites filles voilées, je lui ai dit : ce que vous faites en Tunisie n’est pas acceptable pour les Tunisiens. Je lui ai dit cela à la télévision».
«La place d’Ennahda est dans l’opposition
et elle y restera pendant 20 ans»
Abdelfattah Mourou est convaincu qu’Ennahdha va quitter le pouvoir dans quelques mois et lui prédit même de végéter dans l’opposition durant 20 ans à cause de ses erreurs. «Oui. La place d’Ennahda est dans l’opposition et elle y restera pendant 20 ans. C’est ce que je prédis, moi son fondateur et son vice-président. Le peuple tunisien ne veut plus d’Ennahda. Il faut que le temps passe et qu’on oublie ses fautes. Il faut qu’une nouvelle génération apprenne à concilier l’islamité et la modernité. Parce que le problème de la Tunisie ne se situe pas entre les islamistes et les laïques. La clé, c’est la modernité».
Interrogations
Reste à savoir maintenant que cache cette interview dans laquelle Abdelfattah Mourou a des mots très durs envers son compagnon de toujours Rached Ghannouchi ? Bien qu’ayant été séparés durant des années, Cheikh Mourou est revenu dans le giron du mouvement par la grande porte avec en sus le poste de vice-président.
Est-ce une stratégie de diversion dans un contexte politique très tendu ? Est-ce un moyen de se placer comme bouclier afin que la tension baisse au sein d’Ennahdha qui connaît actuellement des luttes intestines ; et par conséquent de déplacer cette tension vers lui ? On s’interroge sur tous ces aspects que ne révèle pas l’interview !
Réactions
Voici quelques réactions sur tweeter et Facebook suite à la publication de l’interview d’Abdelfattah Mourou. Si certains voient dans les déclarations de Cheikh Mourou, un changement radical de position qui augure beaucoup de bouleversements au sein du mouvement Ennahdha, d’autres restent sceptiques face aux propos du vice-président d’Ennahdha et y voient une habile stratégie dont le but est de redorer le blason du parti.