Les embouteillages, dans le Grand-Tunis, coûtent 600 MD par an à l’Etat

Les embouteillages, dans le Grand-Tunis, coûtent 600 MD par an à l’Etat
Tunis-Hebdo
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Le transport urbain tunisien est au plus mal. L’augmentation incontrôlée du nombre de véhicules à usage personnel et l’absence de restructuration des transports en commun engendrent un phénomène de congestion énergivore au niveau des grandes villes du pays. Sarra Rejeb, secrétaire d’Etat auprès du ministre du Transport, nous expose les principaux problèmes rencontrés dans le domaine du transport urbain et les solutions pour y remédier. Entretien :
T.H. : Quel est l’impact social et économique du transport urbain ? S.R. : C’est le transport majoritaire en Tunisie. Il implique des déplacements quotidiens (domicile-travail, domicile-école...) de personnes ou de marchandises. Par conséquent, il joue un rôle socio-économique fondamental. Ce transport se divise en deux types : le transport en commun (métro, car, bus) et le transport en voiture particulière. Nous œuvrons actuellement pour que le transport urbain évolue dans une logique de mobilité durable et dans le cadre du respect de l’environnement. C’est une vision qui est, pour l’instant, compromise. En effet, la complexité du transport urbain réside dans le grand nombre d’intervenants (ministères du Transport, de l’Environnement, de la Santé, parfois même, diverses associations) et, donc, il est très difficile de mettre en place des réformes qui satisfont tout le monde. Du coup, on fait du surplace. La situation actuelle en Tunisie se caractérise par une forte tendance à utiliser la voiture particulière au lieu des transports en commun. Des chiffres concernant le Grand-Tunis nous indiquent que, pour l’année 2017, 75% des déplacements se font en voiture particulière et 25% par les transports en commun contre, respectivement, 30% et 70% en 1977. T.H. : Quelles sont les difficultés rencontrées dans la gestion de ce transport ? S.R. : La congestion des voitures et la pollution ! Sachez que le taux d’occupation des voitures particulières est seulement de 1,2 personne par voiture ! C’est trop peu ! Cela engendre un encombrement faramineux des routes et c’est extrêmement énergivore. A noter que le secteur du transport est le premier consommateur d’énergie du pays. A titre d’exemple, une personne qui parcourt un kilomètre en voiture consomme dix fois plus d’énergie en tonne équivalent pétrole (TEP) qu’une personne qui prend le métro. Au lieu de remplir l’environnement de l’espace urbain par des voitures, on devrait l’exploiter et l’aménager à des fins écologiques en privilégiant la création de jardins publics ou de rues piétonnes. Il faut inculquer aux gens la culture du transport en commun. C’est bon pour leur santé, leur portefeuille et celui de l’Etat. Rien qu’au Grand Tunis, les embouteillages coûtent 600 millions de dinars par an à l’Etat, je pense que l’on peut faire de grandes économies à ce niveau. T.H. : Malgré l’aménagement des ponts et des échangeurs, la congestion persiste, pourquoi ? S.R. : Il y a beaucoup d’efforts à faire en terme d’infrastructures. Construire des échangeurs à tout bout de champ ne résout pas le problème puisque d’abord, ça coûte cher, c’est rapidement congestionné et parce que la vitesse à laquelle se développe le parc de véhicules est supérieure à la vitesse de construction des échangeurs. Investir dans un métro est nettement plus rentable puisqu’en terme d’occupation de l’espace, un métro équivaut à trois bus ou à 180 voitures. L’insécurité routière est également une autre conséquence de la congestion des villes puisque 66% des accidents enregistrés en 2017 ont eu lieu en agglomérations urbaines soit 4580 accidents sur un total de 6972. T.H. : Avez-vous eu des retours de la part de certains usagers ? S.R. : D’après un récent sondage effectué auprès des usagers de bus, le service de transport en Tunisie est peu performant. Le degré de confort et la durée des trajets (trop longue) ont été vivement pointés du doigt. Pendant les heures de pointe, le niveau de rotation est très faible et la vitesse commerciale peut descendre jusqu’à 6 km/h ce qui rend le voyage de plus en plus pénible. Dans cette optique, il n’est pas envisageable d’injecter de nouveaux bus (payés en devises) tant que la circulation n’est pas fluide et tant qu’il n’y a pas de respect de la priorité au niveau des intersections. Un autre problème du transport urbain en Tunisie, c’est que les gens partent tous en même temps et dans la même direction. Nous avons donc tenté, en 2008 dans le Grand-Tunis, une expérience qui consistait à décaler l’horaire du début de la séance matinale des administrations d’une demi-heure (horaire d’entrée à 9h au lieu de 8h30). Cet étalement de l’heure de pointe a permis de réaliser une augmentation de l’offre de la STT (Société des transports de Tunis) d’environ 5% soit l’équivalent d’une injection de 50 autobus correspondant à une dépense de 25 millions de dinars. T.H. : Pourquoi ne pas aménager des voies pour les bus, des voies pour les taxis etc... ? S.R. : J’ai contribué, en 2010, à la mise en place d’une voie dédiée aux bus et aux taxis lors de l’élargissement de la GP9 menant vers La Marsa. L’idée a bien marché jusqu’à la Révolution puis l’incivisme a repris le dessus. Voyez-vous, malgré toute la bonne volonté du monde et l’application des lois, il est difficile de combattre certaines mentalités. T.H. : Le secteur des transports peine financièrement... S.R. : Le secteur est financé par les usagers, ceux qui achètent leur ticket, et par le budget alloué par l’Etat au ministère du Transport afin de compenser les tarifs réduits et les abonnements. Cependant, les ressources provenant des usagers et celles provenant de l’Etat ne couvrent pas les coûts de transport. Ce système a montré ses limites. Je tiens à préciser que depuis 2003, les tarifs n’ont pas connu d’augmentation, à part une augmentation de 5% en 2010. Le prix des tickets est extrêmement faible compte tenu de la situation économique actuelle du pays. L’augmentation du prix du baril de pétrole et la dégringolade du dinar obligent le ministère du Transport à revoir à la hausse les tarifications. On pourrait, également, compenser la non-augmentation des tarifs en faisant participer les bénéficiaires indirects du transport urbain. Les industriels qui ont une usine et dont les employés viennent travailler chaque jour en empruntant ces transports pourraient verser une certaine somme dans un fonds spécifique de compensation. T.H. : La question de la resquille est-elle toujours d’actualité ? S.R. : C’est effectivement un phénomène très délicat à résoudre car il fait perdre de l’argent. En revanche, le coût des dispositions mises en place pour l’endiguer fait perdre énormément d’argent aussi. Certaines bourgades en Europe, pas très peuplées, ont réglé le problème en rendant le transport gratuit. Cela a permis d’économiser les frais des tickets en papier et de plusieurs autres paramètres. T.H. : Quelles sont les solutions du ministère pour améliorer le transport urbain à long terme ? S.R. : C’est le ministère du Transport qui organise le transport à travers la République. C’est une organisation très centralisée et pas très efficace à mon goût, car les besoins des villes diffèrent selon beaucoup de critères. Gérer Tunis, ce n’est pas gérer Tataouine ! Il faut décentraliser l’organisation des transports urbains et régionaux en créant, au niveau local, une autorité organisatrice unique. Promouvoir une intégration des réseaux de transport collectif dans les grandes agglomérations urbaines. Améliorer l’attractivité des services de transport collectif pour inciter le citoyen à les utiliser. Assurer une harmonisation des politiques d’aménagement du territoire et surtout rationaliser l’utilisation de la voiture particulière notamment dans les centres-villes. T.H. : Qu’en est-il de la collision entre le bateau tunisien et le pétrolier chypriote ? S.R. : L’enquête est en cours. Nous attendons les rapports de la commission mais pour l’instant, nous n’en savons pas plus que les autres à ce sujet.

Interview menée par Mohamed Habib Ladjimi Tunis-Hebdo du 22/10/2018




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