Wassila Bourguiba (née Ben Ammar, le 22 avril 1912 à Béja) est la fille d’un petit agriculteur du côté de Béja où elle a longuement vécu au lendemain de son premier mariage. Elle n’a aucun lien de parenté avec feu Hassib Ben Ammar, ancien maire de la capitale et ministre de la Défense nationale*. Dans sa biographie, elle a reconnu qu’elle a vécu près de dix ans dans une hutte en paille.
Elle a connu «Si Lahbib», alors qu’il était encore marié à la Française Mathilde Lorain. Celle-ci s’est, convertie, par la suite à l’Islam et a changé son prénom au profit de Moufida.
Comme Wassila était fort belle, de peau blanche et surtout un tant soit peu voluptueuse, Bourguiba s’en est épris dès leur première rencontre puisqu’il s’agissait de son type de femme.
C’était une sorte de coup de foudre réciproque. Bourguiba, imperturbable, disait à ce propos : «Qui a aimé autant que moi ?» Leur rencontre a eu lieu, la première fois, le 12 avril 1943 à Tunis où elle s’était déplacée pour le féliciter lors de sa libération survenue après cinq ans de détention.
Wassila aussi l’adorait et après quelques rencontres en Tunisie, ils se retrouvèrent une dizaine de jours au Caire où Bourguiba était parti en exil volontaire. Wassila s’apprêtait, alors, à effectuer le grand pèlerinage de La Mecque.
Lors de l’Indépendance, leur fréquentation fut plus régulière et leurs rencontres quasi quotidiennes. Ils vécurent en amoureux dans la clandestinité jusqu’à leur divorce respectif.
Quand Bourguiba prêta serment à l’Assemblée Consultative en tant que premier président de la Tunisie post-beylical, Taïeb Mhiri, alors ministre de l’Intérieur, chargea son directeur de Cabinet, un certain Mahmoud Ellafi -le bourreau des Youssefistes au sein de la triste cité de «Sbet Edhalma» – d’organiser un grand et mémorable défilé de voitures pour la tournée de «Si Lahbib» à travers les artères de Tunis. Et il l’avisa ainsi : «Gare à toi, si ça foire ! N’oublie pas que tu joues là ta tête !»
Dès lors, Ellafi prit en charge les moindres détails de cette tournée triomphale. Et quand le chauffeur de Wassila se présenta au volant de sa voiture pour faire partie du cortège, Ellafi le renvoya, illico-presto, lui et sa prestigieuse passagère qui n’était autre, ce jour-là, que l’amante de Bourguiba.
Le soir même, Wassila bouda le dîner de circonstance, arguant qu’elle a été humiliée au vu et au su de tous par Ellafi. Bourguiba chercha sur le champ à effacer cet affront en coffrant le directeur du Cabinet du ministre de l’Intérieur. Mais avisé à temps, «Si Taïeb» expédia, dare-dare, Ellafi dans le premier avion en partance pour l’Europe, c’était l’Italie…
Une de mes connaissances, un chef de chantier, m’a narré qu’il arrivait souvent à Bourguiba de se rendre au Palais de Carthage alors encore en construction afin de contrôler l’avancée des travaux et de donner des instructions aux bâtisseurs.
Il lui arrivait, m’avait-il dit, de se faire accompagner à l’époque par une femme corpulente. À la fin de la visite, ils s’assoyaient par terre et Bourguiba se mettait à cajoler sa dulcinée et cela devant tout le monde, y compris les ouvriers présents…
Et c’est quand le palais fut fin prêt que Bourguiba accula l’époux de Wassila, un grand propriétaire terrien, de divorcer. Son mariage fut célébré dans ce fameux palais de Carthage par Mohamed Farhat, procureur de la République le 12 avril 1962. Bourguiba Jr., le seul fils de «Si Lahbib», a mal pris l’événement et resta assez longtemps en désaccord avec son père.
Wassila était humble dans son comportement avec les gens modestes. Et on m’a signalé qu’il lui est arrivé plus d’une fois de casser la croûte avec des ouvriers et des maçons lors des travaux de restauration de la villa maternelle.
Wassila Bourguiba n’a nullement pris une part active dans la lutte pour l’indépendance de notre pays. C’est plutôt sa sœur Neïla, décédée le 31 mai dernier, qui a pris la tête de plus d’une manifestation contre les colonialistes et cela à Béja où les Ben Ammar disposaient de leur domaine agricole.
Mais comme le photographe de Bourguiba, un certain Osman, cherchait à se rapprocher de la présidente, il a trafiqué une photo pour redorer l’image patriotique de notre seconde première dame. Il découpa, ainsi, la tête de Neïla, photographiée en pleine manifestation, et la remplaça par celle de Wassila. Et le tour était joué : voici donc Wassila Ben Ammar, leader politique menant une grande manifestation à la place de sa cadette. Bourguiba donna à Wassila le titre de «vénérable» (الماجدة)
Elle est décédée à La Marsa le 22 juin 1999 après des soins infructueux en France. Au crépuscule de sa vie, elle a été embobinée par un juif qui lui a promis, contre une fortune, l’exploitation d’un restaurant de luxe aux Champs-Elysées à Paris.
Bourguiba, alors, en résidence surveillée dans la villa du gouverneur à Skanes, ne manquait pas de se remémorer son grand amour. Il lui arrivait de demander à certains membres de son entourage de «se dépêcher pour se rendre à l’aéroport Tunis-Carthage, car «El Mejda» va débarquer d’un moment à l’autre. Or, elle était décédée depuis belle lurette…
Et comme le disait le général de Gaulle : «La vieillesse est un naufrage !»
………………………………
[*] «Si Hassib» a eu le mérite en 1971 d’accepter ma démission des rangs de l’Armée Nationale. Par la suite, nous sommes devenus des confrères lorsqu’il a rejoint l’opposition. Il dirigeait, à l’époque, l’hebdomadaire arabophone «Erraï» et moi le francophone Tunis-Hebdo. On avait des rapports très amicaux.
M’hamed BEN YOUSSEF
Tunis-Hebdo du 19/11/2018
Prochain article :
II- Wassila Bourguiba, la manœuvrière