L’année 2020 sera plus difficile que celle qui l’a précédée aussi bien pour les ménages, pour les entreprises que pour l’Etat. Ces agents économiques doivent, désormais, faire preuve de retenue quand il s’agit de procéder à des dépenses.
La conjoncture économique que nous a léguée 2019, faite de déficit commercial abyssal (19,4 milliards de dinars), de dette publique insoutenable (86 milliards de dinars dont 62 Mdt de dette extérieure) et de déficit budgétaire de l’ordre de 5,3% du PIB rend improbable toute idée de reprise en 2020.
Tout ce qu’on peut espérer dans l’immédiat, c’est d’arrêter l’hémorragie et de limiter les dégâts de manière à préserver le pays d’une banqueroute certaine dont les signes avant-coureurs sont perceptibles à l’œil nu.
Les salariés, dindon de la farce…
Comme dans tous les pays qui traversent pareille conjoncture, ce sont les contribuables qui paieront, systématiquement, les pots cassés. On retrouve aux premiers rangs les salariés des secteurs public et privé. Pourquoi eux et pas d’autres ? Parce que ces salariés sont les seuls à être soumis systématiquement à l’impôt par voie d’autorité, celle de l’Etat, par le biais de prélèvements obligatoires auxquels les professions libérales échappent totalement.
Les 1,6 million de salariés, dont 650 mille pour la fonction publique seulement, payent, à eux seuls, environ 6500 MD. Un chiffre qui démontre à l’envi l’immensité de la pression fiscale sous nos cieux, une pression évaluée, par certains experts, à un taux réel de 35,5% quand le gouvernement le situe, au gré d’acrobaties statistiques, aux alentours de 25,4% pour se soulager illusoirement la conscience.
Cela nous amène à reprendre encore une fois la fameuse expression d’Arthur Laffer « Trop d’impôts tuent l’impôt ». L’économiste américain a démontré qu’à un niveau de prélèvements élevé, une hausse de la fiscalité produit une baisse des recettes. A bien des égards, c’est ce qui va se produire, chez nous, dans les prochaines années.
Il ne faudrait pas penser que l’augmentation des recettes fiscales réalisée par l’Etat en 2018 et 2019 va se poursuivre indéfiniment, il arrivera un jour où les agents économiques en auront assez de voir le tiers des dividendes de leur travail confisqué par un Etat incapable de leur offrir, en contrepartie, des services à la mesure de leur contribution fiscale.
Vous pensez que les gouvernants ignorent qu’une telle pression compromet la consommation des ménages, réduit celle des entreprises, comprime le taux d’épargne et en corollaire l’investissement, qui sont, à bien des égards, les moteurs de la croissance ? Non, ils sont conscients de tout cela, mais faute de ressources (investissements extérieurs et emprunts) ils se rabattent sur le maillon faible de la chaîne, en attendant des lendemains meilleurs. Ils improvisent et au jour le jour, comme on dit.
…les ménages et les entreprises saignés à blanc !
L’année 2020 semble commencer sur les chapeaux de roue pour les ménages en rapport avec l’augmentation des prix qui a grevé différents produits de consommation. Nous n’évoquons pas les biens de consommation durables comme les voitures, l’ameublement, l’électroménager, l’électronique, les biens d’équipement, ceux-ci sont en général hors de portée du citoyen lambda.
De plus, au taux d’intérêt débiteur où sont octroyés les crédits, peu de gens sont, aujourd’hui, prêts à franchir le pas d’un endettement, douloureux en tout point de vue, surtout pour acquérir des biens qui ne sont pas de l’ordre de leur consommation courante.
Parlons justement des ces biens de consommation courante. Ces derniers ont-ils échappé à l’inflation ? Oh que non, plusieurs produits ont renchéri en ce mois de janvier 2020 malgré le fait que la taxe à la consommation a été maintenue à son niveau de l’année dernière.
Nous n’allons pas en dresser une liste exhaustive, mais force est de reconnaître que les industriels et les commerçants sont allés dans la démesure, toujours au détriment des ménages. Quand on voit le prix auquel est vendue une brique de beurre, par exemple, on ne peut pas s’empêcher d’entendre retentir la fameuse expression « Le beurre et l’argent du beurre ».
A quoi jouent les industriels de la fromagerie, de la confiserie, des détergents, des cosmétiques ? Pourquoi font-ils monter les prix à un niveau qui dépasse tout entendement ? Pourquoi s’entêtent-ils à affecter l’augmentation du coût de revient aux seuls consommateurs ? Ne doivent-ils pas supporter, eux aussi, une partie de cette charge supplémentaire ?
Nous ne parlons pas des subterfuges auxquels recourent certains de ces industriels comme le fait de maintenir les prix, tout en réduisant parallèlement le poids net du contenu des produits qu’ils vendent. C’est ce qu’on appelle reprendre de la main gauche ce qu’on nous a donné de la main droite.
L’Etat doit prendre ses responsabilités
Où est la responsabilité de l’Etat dans tout ça ? A quel niveau doit-il intervenir et quelle est l’étendue de sa marge de manœuvre ? Eh bien, n’en déplaise à cette fameuse loi 64-91 qui consacre la liberté des prix comme principe général, nous considérons que dans un pays qui fait peu de cas des règles de la concurrence sur le marché, cette réglementation doit être revue pour établir une certaine équité sociale.
Que les moins nantis soient sacrifiés sur l’autel d’un modèle économique qu’on est à mille lieux de pouvoir assumer est un défaut de gouvernance qui incombe aux gens au pouvoir. Qu’ils fassent amende honorable et disparaissent. Mieux vaut un Etat sans gouvernement qu’un gouvernement sans Etat.
Chahir CHAKROUN
Tunis-Hebdo du 20/01/2020