Et si je tentais un nĂ©ologisme qui s’est imposĂ© Ă moi ces derniers jours, passĂ©s sur la route d’un Magical Mystery Tour que les Beatles ou Enrico Macias auraient pu chanter ?
Pourquoi ne pas dire « rĂȘvenir » pour souligner qu’un retour peut ĂȘtre rĂȘvĂ©, vĂ©cu comme un rĂȘve puis rĂ©vĂ©lĂ© dans une fusion entre soi et le pays oĂč l’on revient ? Cette rĂ©flexion concerne d’ailleurs tous les retours fussent-ils provisoires, Ă l’aune des vacances d’Ă©tĂ©.
Dans les diasporas tunisiennes, ces retours sont souvent vĂ©cus dans la nostalgie, la recherche du temps perdu et ce qui reste de la vie familiale. DĂšs lors, rĂȘvenir pourrait devenir un verbe actuel et concerner toutes celles et ceux qui subliment les retrouvailles avec le pays.
**********
Je n’ai jamais eu de certitudes, mais plutĂŽt des convictions au diapason desquelles j’ai toujours vĂ©cu mĂȘme si elles pouvaient paraĂźtre lyriques, nĂ©buleuses ou infiniment tĂ©nues.
Si je le dis maintenant, c’est parce que je vis ces derniers jours, dans un lien en train de se tisser imperceptiblement, un lien insĂ©cable entre mon pays, ses enfants oĂč qu’ils soient et cet inĂ©branlable en moi qui me rĂ©veille chaque matin pour remettre l’ouvrage sur le mĂ©tier.
Virgile et les muses
Depuis une semaine, j’accompagne un groupe d’amis qui a en commun le judaĂŻsme et la Tunisie. Ces amis sont rĂȘvenus au pays natal dont certains n’avaient pas foulĂ© le sol depuis plus de cinquante et soixante ans.
Ils ont fait ce pas, un pas d’abord hĂ©sitant et taraudĂ© par le doute, un pas ensuite peu assurĂ© car l’Ă©cume de l’actualitĂ© impose des prudences Ă©lĂ©mentaires, un pas dĂšs lors curieux de tout comme une Ă©ponge qui boirait le moment, un pas enfin qui reconnaĂźt l’humus d’oĂč nous nous exhumons et retrouve un sens hier encore aboli.
J’ai l’air de philosopher. Probablement parce que je n’ai pas encore pleinement assimilĂ© ce que je projetais d’Ă©crire et que je cherche Ă gagner du temps en bottant en touche, dans les limbes du rĂȘve et du retour.
Ces derniĂšres journĂ©es ont Ă©tĂ© intenses et trĂšs prenantes. Les Ă©motions s’Ă©chevelaient en cascades ininterrompues et, Ă chaque instant, il fallait Ă©couter et ressentir ce qu’une quinzaine d’autres personnes revivaient en leur for intĂ©rieur.
Je suis au mitan d’une quinzaine de mĂ©moires vives qui se dĂ©rouleraient comme un carrousel d’images, d’odeurs, de mots d’abord furtifs puis se conjuguant Ă l’impĂ©ratif du verbe « rĂȘvenir » qui s’est imposĂ© Ă moi.
« Je n’ai jamais eu de certitudes,
mais plutĂŽt des convictions
au diapason desquelles
j’ai toujours vĂ©cu
mĂȘme si elles pouvaient paraĂźtre
lyriques, nébuleuses ou infiniment ténues »
**********
RĂȘvenir Ă la source comme un saumon qui remonte Ă l’origine. RĂȘvenir comme Loth qui prĂ©fĂšre obĂ©ir Ă la transcendance au lieu de se retourner sur les cendres foudroyĂ©es.
RĂȘvenir au pays natal car il est Ă la fois irrĂ©futable et s’Ă©loigne dans les strates de l’oubli. Enfin rĂȘvenir Ă soi, cette identitĂ© profonde qui est le souvenir enfoui, la scĂšne de l’enfance, le topo de nos vies et aussi la mĂ©moire des sĂ©pultures.
Tous les mystĂšres sont profonds mais le nĂŽtre n’a rien d’Ă©nigmatique puisqu’il n’en est pas un. Nous tous, vivons une remontĂ©e des racines et autant que nous sommes, retrouvons les germes intacts de ce qui nous fonde siamois.
Nous sommes ensemble, presque identiques, dans ce mĂȘme corps-nation qui est loin d’ĂȘtre une chimĂšre. Nous sommes pourtant sĂ©parĂ©s, Ă la limite dĂ©chirĂ©s et rompus, objectivement ici et ailleurs mais portant le mĂȘme pays natal.
Nous le rĂ©alisons inconsciemment car pour le moment, ce n’est qu’un rĂȘvenir, un dĂ©sir qui nous aiguillonne, une tension l’un vers l’autre que nous avons la chance de ne pas rĂ©frĂ©ner. En quelque sorte, nous abolissons la distance et la diffĂ©rence qui sĂ©parent pour le dĂ©nominateur commun qui est notre socle irrĂ©fragable.
Cet effort collectif que nous ne rĂ©alisons pas tout Ă fait, demande beaucoup d’Ă©nergie. L’autocar qui nous transporte d’un lieu de vie Ă un lieu de mĂ©moire, en devient Ă l’image d’un melting pot en effusion, d’un creuset d’oĂč nous rejaillissons tels que nous fĂ»mes au passĂ© antĂ©rieur.
La glaise d’antan
Nous savons que nous sommes un chantier du possible. Nous. Nous Tunisiens. Nous Tunisiens dans notre diversitĂ©, notre humour, notre gĂ©nĂ©rositĂ©, notre ĂȘtre dans le monde hors les idĂ©ologies et les miroirs aux alouettes. Nous Tunisiens, chacune et chacun porteurs d’une Ă©tincelle de souverainetĂ© et toujours libres, fondamentalement libres de choisir nos ipsĂ©itĂ©s respectives.
Dans quelques heures, nous reprendrons la route à la rencontre de ce que nous sommes. Nous continuerons à plonger dans nos racines décimées mais toujours exubérantes de vie, notre vivre-ensemble laminé mais perpétuellement renaissant.
Nous marcherons ensemble, synodaux, comme pour une priĂšre, en quĂȘte de communion et de retrouvailles ferventes, comme un rĂȘvenir ardent, palpable et convaincu.
Nous sommes faits de cette argile que nos ancĂȘtres nommaient « fokhar bekri », la glaise d’antan dont nous ont pĂ©tri nos parents, nos Ă©coles, nos valeurs et le sphinx toujours renaissant de notre diversitĂ©.
« Nous sommes ensemble,
presque identiques,
dans ce mĂȘme corps-nation
qui est loin d’ĂȘtre une chimĂšre »