Nous avons vu, la semaine dernière, que Radio Tunis (qui était désignée, à ce moment-là, par le nom de Radio P.T.T.) a été inaugurée le 14 octobre 1938.
L’historien Fayçal Chérif nous apprend que l’inauguration de cette Radio était venue en riposte à l’installation en Libye par l’Italie de Radio Tripoli, en langue arabe, dotée d’une puissance de 50 kwatt.
J’ai également parlé, dans ma précédente chronique, de la radio qu’avaient fondée, alors que notre pays était occupé par les troupes de l’Axe, de jeunes nationalistes tunisiens courageux. Et je voudrais apporter quelques précisions, là-dessus.
« Cette seule radio, purement tunisienne, encouragée par les autorités allemandes, était Radio-Patrie (أذاعة الوطن) dirigée par Mahmoud Messadi, Hassine Triki et Besbes, en février 1943. Au même moment, ce groupe publiait un organe de presse « Al Chabab » (الشباب) obtenu grâce à la permissivité des autorités de l’Axe, particulièrement allemandes.
L’éclosion de cette première véritable radio tunisienne ne dura pas longtemps (février-début mai 1943) et ses instigateurs et dirigeants durent quitter la Tunisie, à l’arrivée des troupes alliées.
Rachid Driss et Triki gagnèrent Berlin où ils fondèrent le Bureau du Maghreb arabe, publièrent un journal et utilisèrent les ondes de Radio Berlin pour les besoins de la propagande nationaliste tunisienne » (1).
Revenons, à présent, à Radio Tunis : l’une des premières choses qu’ils firent, organiser un concours pour recruter des psalmodieurs du Coran. Furent recrutés les cheikhs Ali Barrak, Allala Ghazali, Tijani Ghodhbane, Mohamed Najjar, Amor Chaouachi, et Mohamed Ettounsi.
D’autre part, en consultant les programmes de cette radio, on est frappé par le nombre d’émissions féminines. A signaler, à ce propos, que les regrettées Chérifa Messadi (qui était mariée à l’époque au regretté Bouzid) et la grande lutteuse pour la cause féminine dans notre pays faisaient partie des productrices de ces émissions.
Quant à la première speakerine tunisienne c’était la regrettée Arbia Zaouche qui avait choisi pour pseudonyme Selma. Cette speakerine est décédée jeune, à la fleur de l’âge, et voici sa notice nécrologique parue dans la revue kairouanaise « Leila » :
UNE DOUCE VOIX S’EST TUE…
Une longue et cruelle maladie a brusquement ravi une de nos compatriotes les plus éminemment douées, Mlle Arbia Zaouche, dans la plénitude de sa jeunesse, à l’affection de ses parents et à l’estime de ses amis.
Rares sont les personnes qui savent que sous le pseudonyme de Selma, Mlle Arbia Zaouche a été la première speakerine de langue arabe en Tunisie.
A l’époque héroïque des débuts de Radio-Tunis, la première causerie qu’elle fit devant le micro provoqua une énorme sensation dans les milieux tunisiens. Les auditeurs, qui avaient capté à cette époque les accents émus de sa voix, n’en croyaient pas leurs oreilles : quoi !
Une femme s’exprimait à la radio, correctement et avec assurance dans le plus bel arabe classique qui soit, mais le charme féminin de sa voix lui acquit bientôt la sympathie des auditeurs.
Sa prononciation, qui était d’un naturel agréable et nuancé, rendait plus savoureuse dans sa bouche la langue du Coran. Douée d’un esprit vif et curieux, musicienne accomplie, elle chantait et jouait de plusieurs instruments, elle était passionnée de musique et de poésie.
Elle avait collaboré à notre Revue dès les premiers jours de sa création et tenu avec succès sous le pseudonyme d’Assia la difficile chronique mondaine. Si nous soulevons aujourd’hui avec tristesse le voile funèbre de son anonymat, c’est pour rendre hommage à sa véritable et forte personnalité digne de notre souvenir admiratif.
Leila, Août 1940
Pour terminer, j’étais un grand amateur de la radio-De mon temps, il n’y avait que la T.S.F (transmission sans fil) d’ailleurs.
Au début, elle était un luxe et rares étaient les foyers qui possédaient un poste de radio. J’ai découvert, quant à moi, pour la première fois, la radio (puis le frigidaire) chez mon oncle maternel qui était greffier au tribunal, gagnait bien sa vie et pouvait se payer tout ce que mon père n’avait pas les moyens d’acheter, puis dans les cafés que je fréquentais. Et je n’ai acheté mon premier poste de radio (d’occasion) que le mardi 6 janvier 1948. Je l’avais payé, à l’époque, 11.500 francs.
Et je m’étais vite passionné pour certaines émissions, en arabe et en français, de Radio Tunis.
Je vouais une grande admiration à certains speakers dont Mahmoud Bourguiba, M’hamed Ali Ben Salem, Mohamed Hefdhi Zlitni et Abdelaziz Laroui.
J’aimais, beaucoup, également, les émissions de Najia Thameur à qui j’écrivais souvent pour émettre mon avis sur les questions qu’elle soulevait dans ses émissions. Les auditeurs de Radio-Tunis (dont je faisais, enfin, partie) ne pouvaient pas, d’autre part, ne pas aimer Hamouda Maâli et apprécier les pièces qu’il mettait en ondes et dont il était l’interprète principal.
A propos de la Troupe théâtrale de Radio Tunis signalons que les premiers contractuels au début des années cinquante de cette excellente troupe furent : Najoua Ikram, Mohamed El Hédi, Taoufik Abdelli, Abdelmajid Boudidah, Fatma El Bahri et Abdelaziz Arfaoui. Ils touchaient 16.000 francs par mois plus les cachets.
Pour terminer, nos lecteurs ne sont sûrement pas sans savoir que par la suite, moi-même je deviendrai producteur à Radio-Tunis et R.T.C.I.
Citons quelques-unes des émissions que j’ai produites à la radio.
A la R.T.T :
نجوم المسرح
ألكسندر ديما (Alexandre DUMAS )) في تونس
A R.T.C.I. :
Avignon ou l’histoire d’une ville et d’un homme.
La Tunisie dans les lettres françaises
Tunisie, Figures marquantes
Il était une fois la chanson tunisienne
Il était une fois le football en Tunisie
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1) Fayçal Chérif : La Radio tunisienne, 70 ans et encore ses dents (Réalités, n°1172, du 12 au 18/6/2008)
Moncef CHARFEDDINE
Tunis-Hebdo du 19/11/2018