Après plus de dix ans de gestation, le nouveau pont de Bizerte serait, dit-on, techniquement fin prêt et le projet ficelé. Reste à savoir combien dureront les travaux et quand est-ce que cet ouvrage d’art sera fonctionnel ?
Le nouveau pont de Bizerte est, sûrement, le projet d’infrastructure qui a le plus dormi au fond du tiroir de l’administration tunisienne. Et on ne sait pas trop les raisons.
Manque de volonté des autorités nationales et régionales, défaut de financement, connexion entre le politique et le monde des affaires pour l’octroi du marché ? Peut-être toutes ces raisons à la fois ?
Un pont qui a fait son temps !
Entre-temps, la ville de Bizerte suffoque, étouffée par un trafic automobile incommensurable qui se produit quotidiennement aux abords des deux rives du canal, surtout durant les heures de pointe (de 7h00 à 9h00 et de 16h à 19h).
Cela sans compter la levée du pont, le soir (vers 20h30), pour permettre aux navires commerciaux et militaires de naviguer, un intermède qui peut durer jusqu’à une heure quand il est question de passage de deux navires à la fois.
Inauguré en juin 1980, le pont mobile de Bizerte a fait (largement) son temps et semble, aujourd’hui, sinon obsolète, du moins peu propice à la circulation. En témoigne le nombre de fois où il est question de travaux au niveau de l’asphalte ou encore des pannes mécaniques dont il est victime de temps à autre.
Abstraction faite, aussi, des accidents qui surviennent en mer, du fait que le port de commerce est adjacent au pont mobile.
En août 2021, un grand navire commercial est entré en collision avec le pont mobile alors qu’il quittait le port de commerce. Le navire a viré et a heurté le pont du côté de la ville.
« Le projet, dans le contexte actuel de renchérissement
des matières premières, sera extrêmement coûteux.
Il pourrait dépasser 1 milliard de dinars.
Ce qui est énorme en termes d’investissements
et des charges financières qui en découleraient »
On a évité le pire. Ce genre d’accident n’est pas rare surtout lorsque les vents soufflent fort, les courants marins rendant souvent difficile la manœuvre des navires. Il faut savoir que le port commercial accueille, bon an mal an, de 600 à 650 navires.
Ceci étant dit, avec la croissance démographique et la multiplication du parc automobile de la ville, il est certain que le pont n’était plus en mesure de répondre aux contraintes de la circulation.
Plus de 55 mille véhicules l’empruntent quotidiennement ; un nombre qui peut doubler en été avec le retour des Tunisiens résidents à l’étranger et l’affluence des estivants locaux.
Un financement revu à la hausse !
La construction d’un nouveau pont à Bizerte était inévitable, et cela depuis des années déjà. Mais qu’est-ce qui a fait que ce projet se dilate et se prolonge dans le temps ?
Les difficultés techniques inhérentes au projet ? Les démarches quant à l’expropriation des domaines et propriétés des particuliers se trouvant sur le tracé du projet ? Le choix de la zone où le nouveau pont y devrait être édifié ? Les banques qui financeront le projet ? Le nom de l’entreprise qui construira cet ouvrage d’art ? Evidemment, toutes ces problématiques ont concouru à ce retard.
Mais osons dire les choses comme elles sont : ceci n’est que la partie visible de l’iceberg. En effet, après la Révolution, la question du nouveau pont de Bizerte a pris une connotation politique telle que les partis au pouvoir se sont saisis du dossier pour que le marché, juteux à bien des égards, ne leur échappe pas. Un investissement de 780 millions de dinars, ça fait couler la salive, beaucoup de salive !
Un chiffre qui n’est, toutefois, plus d’actualité aujourd’hui. Car depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Le prix des matières premières a renchéri entre-temps, concomitamment à la baisse de la valeur du dinar. Le coût global du projet pourrait atteindre 950 millions de dinars, si ce n’est beaucoup plus. Les lignes de crédit seront assurées par la Banque Africaine de Développement (BAD) et la Banque européenne d’investissement (BEI).
La fiche technique du nouveau pont
Le nouveau pont qui sera bâti sur le canal de navigation marine du Lac de Bizerte sera long de 2,7 km. Cela sans compter l’aménagement d’une route de 7,4 km (de la fin de l’autoroute A4 à la route locale n° 438).
Le projet comprend, en outre, la construction de 4 échangeurs aux niveaux des croisements (la route nationale 8- A4, l’entrée du pole technologique, l’entrée de la ville de Menzel Abderahmen, et la route nationale n°11) et de 2 ouvrages techniques (aux niveaux de la cimenterie et de la route municipale).
Comme vous pouvez vous en apercevoir, le projet est grandiose, titanesque même, ce qui rend d’ailleurs aléatoire toute projection quant à la durée des travaux et l’entrée effective de l’exploitation de l’ouvrage.
Il est prévu que la réalisation du nouveau pont central se poursuivra pendant 38 mois, alors que les travaux de liaison avec les routes et les échangeurs nécessiteront une période de deux ans. Ce dont nous doutons fort.
Quand on sait qu’il a fallu cinq bonnes années pour que le Stade 15-Octobre change de pelouse (du gazon naturel au synthétique), ça ravive notre scepticisme quant aux prévisions de réalisation annoncées du pont.
En tout cas, il faudrait attendre les résultats des appels d’offre relatifs à la construction de la troisième partie du pont, au niveau du tronçon reliant les délégations de Bizerte-Nord à celles de Bizerte-Sud, qui seront lancés vers juin-juillet, pour se prononcer. A cet égard, des entreprises chinoises, japonaises et françaises seraient dans la course. Peut-être que d’autres se présenteront d’ici-là.
« Il a été procédé à la démolition de 44 maisons
situées sur le tronçon du nouveau pont
et leurs propriétaires ont été dédommagés »
Ce qui est certain, c’est que le projet fait saliver. Bien entendu, la meilleure offre sera retenue par l’acheteur public (le critère du moins-disant), n’empêche que le projet, dans le contexte actuel de renchérissement des matières premières, sera extrêmement coûteux. Il pourrait dépasser 1 milliard de dinars. Ce qui est énorme en termes d’investissements et des charges financières qui en découleraient (taux d’intérêt).
45 MD pour les opérations d’expropriation
En tout état de cause, aujourd’hui le pont est techniquement fin prêt. La première tranche du projet, inhérente, entre autres, aux obstacles qui se dressent sur le tracé, a déjà commencé.
Jusqu’à janvier 2022, il a été procédé à la démolition de 44 maisons situées sur le tronçon du nouveau pont et leurs propriétaires ont été dédommagés. Les autorités régionales s’activent pour leur trouver de nouveaux logements et à résoudre, dans le même temps, avec le Contentieux de l’Etat les problèmes fonciers restés en suspens.
Il faut noter que les lots relevant de la première tranche du tracé du pont sont au nombre de 320 dont les propriétaires ont accepté les sommes qui leur ont été proposées par les services de l’Etat.
L’opération d’expropriation pour cause d’utilité publique dont la somme des indemnisations atteindrait 45 millions de dinars, serait, dit-on, achevée à 90%.
Peut-on en déduire que la réalisation du nouveau pont de Bizerte est en marche ? Il est prématuré de faire des jugements. Ce qui est certain, c’est que les démolitions ont bien eu lieu. Reste maintenant l’épineuse phase de construction.
Chahir CHAKROUN
Tunis-Hebdo du 21/02/2022