La Tunisie a produit 3,3 millions de tonnes de phosphate brut en 2018, contre plus de 8 millions en 2010 !
Alors que le nombre d’emplois dans le secteur phosphaté a triplé depuis 2010, la production a, paradoxalement, baissé de 60% !
S’il y a un secteur d’activité en Tunisie qui transgresse toute logique économique, c’est bien celui du phosphate. Jugez-en : en 2010, le secteur employait près de 9000 personnes pour une production supérieure à 8 millions de tonnes de phosphate brut. En 2018, alors que l’effectif a plus que triplé (il est passé à près de 30.000), la production a été divisée par trois, à 3,4 millions de tonnes.
La face cachée du phosphate !
Est-il logique que lorsque les facteurs de travail augmentent, la production périclite. Non évidemment. Cela s’apparente à un non-sens économique. Pourquoi la Compagnie est-elle, alors, arrivée à un stade tel qu’elle n’est plus capable, aujourd’hui, de payer ses salariés et qu’elle se trouve obligée de recourir aux banques pour financer ses charges ?
La réponse, sommes-nous tentés de dire, est symptomatique, du conflit d’intérêt qui motive les différents protagonistes en lien avec cette société. La CPG est une affaire de gros sous, et tout le monde veut sa part du gâteau. Quitte à boycotter la production.
Oui, les débrayages qui n’en finissent pas dans les sites de production du bassin minier, s’ils ont, quelque part, une légitimité ouvrière, ils cachent, cependant, derrière eux des intentions saugrenues des lobbies. Des lobbies voulant faire main basse sur le trésor souterrain de la région, et ce, au vu et au su de tout le monde. Y compris du gouvernement, du syndicat, des responsables au sein même de la CPG, voire de certains représentants de l’ARP.
L’affaire de corruption dont est soupçonné l’ancien secrétaire d’Etat chargé des mines au ministère de l’Energie, Hachem Hmidi, actuellement en prison pour une histoire de Rolex, n’est qu’un épisode parmi d’autres venant confondre les coupables dans des délits graves. La paralysie dont est l’objet le transport du phosphate par voie ferroviaire est un autre épisode des magouilles qui se trament autour de la CPG. Une activité contrôlée, désormais, par des rapaces de tout acabit qui ont réussi à détourner les rentes de la SNCFT sans que le gouvernement n’y voie objection !
Nous nous n’étalerons pas beaucoup sur les salaires versés à des personnes déjà dans les tombes, ou encore sur les millions de dinars accordés à une dizaine de milliers d’agents improductifs au sein des sociétés d’environnement, de plantation et de jardinage. De l’argent public jeté par la fenêtre pour circonscrire une tension sociale qui n’est pas près de s’apaiser.
Une masse salariale de 500 millions de dinars !
Selon Slim Feriani, le ministre de l’Industrie et de l’Energie, la baisse de la production de phosphate depuis 2010 a entraîné une perte de marchés d’environ 1 milliard de dollars par an. Près de trois milliards de dinars annuellement, suffisants pour qu’on se démarque des prêts du FMI auxquels nous sommes désormais assujettis. Un manque à gagner d’un milliard de dollars, ce sont du coup les réserves de change qui en subissent les conséquences et en corollaire la balance courante et celle des paiements.
La chute vertigineuse du dinar, c’est aussi là l’un des dommages collatéraux causés par la paralysie de la production dans le bassin minier et les conséquences que cela entraîne sur la croissance du pays.
La CPG, c’est enfin, 500 millions de dinars de salaires dont le tiers de la valeur est distribué pour des emplois improductifs.
Romdhane Souid, ex-PDG de la CPG, avait dit que « La CPG dispose de tous les moyens pour mener son travail comme il se doit, mais c’est l’environnement extérieur qui est impliqué dans la perturbation de la production ». Quand bien même son propos résumerait la situation prévalant dans le bassin minier, il sous-entend, nous supposons, que les solutions dépendent plus d’une approche systémique qu’une simple lecture linéaire des choses.
Chahir CHAKROUN
Tunis-Hebdo du 25/03/2019