Les médecins d’hier n’étaient pas, certes, aussi nombreux que ceux d’aujourd’hui et ne disposaient nullement d’autant de matériel électronique adéquat pour mener à bien leur tâche, ni autant de médicaments de toutes sortes, mais ils ne manquaient, tout de même pas, d’efficacité ni d’ingéniosité.
Souvent, ces toubibs d’une autre époque réussissaient à établir le bon diagnostic à l’aide de simples analyses. Les médicaments qu’ils prescrivaient sortent généralement de l’ordinaire et bien loin, parfois, des traditionnelles pilules de la pharmacopée.
Quand j’étais bébé, je fus atteint de la coqueluche. Le docteur conseilla à ma mère de m’emmener, de temps à autre, faire un tour en mer à bord d’une embarcation et cela, le matin de bonne heure. Une fois, au niveau du rivage de Sousse, comme je prenais peur des vagues et que je commençais à hurler, des marins pêcheurs ont accouru à notre rencontre croyant, tout à fait à tort, qu’on allait se débarrasser de moi en me noyant.
Une autre fois, j’ai perdu l’appétit et je devins tout pâle. Mes parents alertèrent, alors, le docteur Ghachem – à noter que ce pauvre médecin fut abattu dans un village du Sahel par méprise à la place de son frère M’Hamed, un félon qui faisait partie du gouvernement pro-français. Dr Ghachem conseilla, donc, de m’envoyer, le temps d’un séjour, respirer l’air frais de la campagne et de préférence, dans une oliveraie. Ce qui fut fait auprès de ma tante à Ouerdanine.
Cette même tante avait une jeune fille tout juste sortie de la puberté. Comme la santé de cette fille laissait fort à désirer, elle l’emmena en consultation auprès du docteur Sakka à Oued Naouar, à l’entrée de Sousse Sud. Le docteur Sakka avait un frère plus âgé que lui.
Son aîné, lui aussi, médecin et un des premiers Soussiens à disposer, à l’époque, d’une voiture. C’était une sorte de caisson noir, une authentique boîte à sardine. La famille Sakka serait, d’après des écrits généalogiques, originaire de Chypre. Toutefois, le fondateur de cette famille tunisienne, Mohamed Sakka, fut promu caïd de Monastir le 26 août 1886.
Le médecin de Oued Naouar, le benjamin des Sakka, conseilla donc à la mère de ma cousine Fatma, lors de la consultation, de la faire marier au plus vite : «C’est bien la seule chose qui pourra la guérir», lança-t-il à ma tante.
Mais la pauvre fille ne connut l’hymen que dix ans après et avec son propre cousin décédé plus tard suite à un virulent cancer de la gorge du fait qu’il grillait près de deux paquets de cigarettes par jour.
Il y a, aussi, un autre médecin auquel je me dois de rendre un vibrant hommage. Il s’agit du docteur Bouraoui. Ce dernier, un vrai militant destourien, effectuait, chaque vendredi, des consultations gratuites dans son cabinet.
Ces types de médecins sont proches de la nature et ils l’exploitent à bon escient pour soigner leurs patients. On les appelle homéopathes ou sophrologues pour certains. Il s’agit d’un modèle de thérapeutes presque éteint de nos jours. Ils ont été remplacés par des praticiens ayant recours aux différents types d’herbes sauvages.
Quant au professeur feu Sleim Ammar, il a, entre autres, décrit dans son excellent livre «Poème de la médecine arabe», édité en 1990, comment un docteur de la cour impériale à Bagdad a vite guéri la favorite de l’empereur d’une luxation de l’épaule.
Après l’examen d’usage, il s’est penché sur la tête du roi et lui chuchota : «Sire, pour la guérir, je dois exécuter un geste indécent. Acceptez-vous cette initiative ?» Après une brève réflexion, le monarque donna son accord. Alors, le toubib s’approcha de la princesse et projeta sa main dans son entrejambe. D’un geste instinctif, cette dernière essaya de le repousser tout en cachant son intimité.
C’est ainsi que la luxation, grâce à ce mouvement brusque, ne fut plus qu’un mauvais souvenir…
M’hamed BEN YOUSSEF
Tunis-Hebdo du 11/03/2019