La Tunisie a entamé, lundi dernier, à Bruxelles, le troisième round des négociations avec l’Union européenne sur l’Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA), un projet qui fait déjà des remous, notamment, chez les agriculteurs…
Pour ceux qui ont suivi les différentes étapes d’intégration de l’économie tunisienne dans l’espace commercial mondial, l’ALECA n’est pas un accord parachuté, venu de nulle part comme s’indignent certains. Il n’est, en fait, que le prolongement de l’accord, signé en 1995, entre la Tunisie et l’UE, relatif à la constitution d’une zone de libre-échange entre les deux parties.
L’Accord d’Association entre la Tunisie et l’UE de 1995 prévoyait l’élimination progressive des deux côtés des barrières douanières sur les produits pour faire de cette zone un espace commercial libre.
Cet accord a commencé à être appliqué sur les produits industriels à partir de 2008 et il y a eu un échange de concessions pour une liste de produits agricoles, agroalimentaires et de la pêche dans le cadre de contingents.
L’ALECA est, donc, dans la lignée de l’intégration plus profonde de l’économie tunisienne dans l’espace économique euro-méditerranéen.
Pourquoi alors cette levée de boucliers à l’égard d’un accord dont la teneur et la date d’entrée en vigueur sont censés être connus par tous, aussi bien par le gouvernement que par les gens du secteur touchés par cet accord ? La réponse est symptomatique de la gabegie avec laquelle sont gérées les affaires courantes du pays. A tous les niveaux, sommes-nous tentés de dire.
L’effritement de l’Etat a fait en sorte que les gouvernements qui se sont succédé depuis la révolution ont oublié que la Tunisie est tenue par des accords qu’elle devrait respecter à échéance, au risque d’être sanctionnée.
Notre propos n’est pas, ici, de regretter l’Accord d’Association signé avec l’UE en 1995, que l’ancien régime exhibait, à tort ou à raison d’ailleurs, en criant sur tous les toits que la Tunisie est le premier pays de la rive sud de la Méditerranée à signer un tel accord, avant le Maroc, l’Egypte ou encore Israël.
Notre regret est que nos responsables actuels et anciens n’ont pas agi à temps devant la menace que constitue, désormais, cet espace commercial devant nos produits qu’ils soient industriels, déjà frappés de plein fouet par cet accord, ou agricoles qui seront, dans une dizaine d’années, en concurrence avec les produits européens.
Quand on voit la déchéance de notre industrie du textile et les milliers d’emplois perdus à cause de l’invasion des produits turcs et autres, on comprend l’appréhension des agriculteurs par rapport à l’accord de l’ALECA.
Notre agriculture est-elle à même de tenir la concurrence de l’agriculture européenne ? Non évidemment.
Il est bon de dire que grâce à l’ALECA, les produits et services tunisiens accèderont, à terme, plus facilement à un marché européen de 500 millions de consommateurs, que les conditions d’investissement et le climat des affaires seront améliorés grâce à un cadre réglementaire plus prévisible et plus proche de celui de l’UE et que l’adaptation progressive de l’économie tunisienne aux normes européennes devrait également contribuer à hausser la qualité des produits et services tunisiens, ce qui sera également bénéfique aux consommateurs tunisiens et améliorera leur accès aux autres marchés.
En fait, tout cela n’est qu’une interprétation simpliste d’un modèle libéral dans lequel nous sommes engagés sans que l’on ait, au préalable, assuré nos arrières. Résultat des courses : comme pour les industriels, les agriculteurs auront droit à une fessée.
Chahir CHAKROUN
Tunis-Hebdo du 17/12/2018